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Entre refus du dialogue et appels à la démission du président de la République : Combat de coqs

© Celia Lebur, AFP | Des heurts ont éclaté à Libreville lors d'une manifestation de l'opposition, samedi 20 décembre.
© Celia Lebur, AFP | Des heurts ont éclaté à Libreville lors d’une manifestation de l’opposition, samedi 20 décembre.
En réponse aux appels au dialogue entendus çà et là, le président de la République a opposé une fin de non-recevoir tandis que le Front de l’opposition pour l’alternance réitère sa volonté de le voir quitter le pouvoir le plus tôt. Même s’il peut en avoir les allures, ce duel à mort n’est pas toujours aussi politique que certains l’affirment.

Même dans les moments les plus solennels, leur ombre plane et leurs positions en imposent. A l’occasion de son message de fin d’année, le président de la République a repris le couplet qu’il avait entonné le 12 septembre 2012 afin de dire sa non-adhésion à toute idée de concertation politique nationale. Face à la nation, Ali Bongo a eu la même posture que devant les deux chambres du Parlement réunies en congrès, s’adressant non pas à son auditoire du jour mais davantage au directoire de l’Union Nationale voire au Front de l’opposition pour l’alternance. «En adressant une fin de non-recevoir à tous les appels au dialogue entendus çà et là ces derniers jours, il entendait d’abord marquer son refus de la Conférence nationale souveraine qui pour lui est une idée de l’Union Nationale», analyse un ancien chef de rubrique du quotidien L’Union, qui précise : «Dans son esprit il ne répondait ni au chef du Bureau des Nations-unies pour l’Afrique centrale (Unoca), ni aux partis politiques français ni aux organisations de la société civile nationale mais à André Mba Obame, Zacharie Myboto, Jean Eyéghé Ndong, Casimir Oyé Mba, Paulette Missambo auxquels on doit désormais ajouter Jean Ping, Jacques Adiahénot, Divungui Di Ndinge et Moukagni-Iwangou». Et de trancher : «Ali Bongo se comporte comme s’il s’agit d’une querelle de personnes, d’une bataille d’ego».

Blocage psychologique

De prime abord, la prise de position du président de la République est fondée sur sa volonté de réaffirmer la primauté de sa position institutionnelle. Dans le fond, elle vise d’abord à rappeler que le citoyen Ali Bongo est beaucoup plus puissant que ses compatriotes signataires de l’acte constitutif du Front de l’opposition pour l’alternance. «Le ’’ce petit-là’’ de Jean Eyéghé Ndong lors du meeting de Port-Gentil, la déclaration de Jean Ping faisant état de sa détermination à «aller jusqu’au sacrifice suprême», le requête en destitution de Moukagni-Iwangou devant la Haute Cour de justice ou encore le fait que Zacharie Myboto et Mba Obame n’aient jusque-là jamais prononcé le mot «président» pour le désigner constituent les mobiles du blocage psychologique d’Ali Bongo», décrypte un enseignant de psychologie à l’Université Omar Bongo pour qui le débat politique national tourne en un «combat de coqs», un «bal des egos». Trop de passion, de références au passé des uns et des autres et pas assez de prise de hauteur.

Si le débat politique national s’enlise, la responsabilité en incombe d’abord à… celui qui est en responsabilité. En dénonçant continuellement «la haine» que les leaders de l’opposition nourriraient à son endroit et en permettant à sa garde rapprochée de les qualifier d’«ingrats» ou les inviter à «placer leurs enfants en première ligne» des manifestations, Ali Bongo a laissé le débat s’abaisser au niveau des individus tout en y introduisant les familles. Cinq ans maintenant que le président de la République n’arrive pas à trouver son positionnement exact : un jour il se présente en garant des institutions qu’il demande aux uns et aux autres de respecter, le lendemain il se pose en leader de parti voire en chef de file du «PDG émergent», selon la formule de notre confrère Echos du Nord. Dans l’opinion, cet équilibrisme fait des dégâts. Trop de dégâts. Si l’essentiel des composantes de la nation ne le présent plus que comme «l’émergent en chef», ses affidés oscillent entre le président de la République et le «distingué camarade». On l’a ainsi vu esquisser des pas de danse durant les «université d’été» des jeunesses du PDG, présider le conseil national ou le congrès du PDG, célébrer le cinquième anniversaire de son accession à la magistrature suprême avec les seuls militants PDG auxquels s’étaient joints quelques leaders de partis de la majorité. Comme toujours, ces événements ont été rythmés par des chansons aux paroles absolument éloquentes et clivantes voire sectaires : «on vous connait», «laissez-nous avancer», «ingrats», «jaloux».

Parfois, on en arrive à se demander si le président de la République n’a pas lui-même cultivé cette image de chef de clan, légitimant inconsciemment cette défiance qu’il dénonce et qui semble tant le heurter, au point de le conduire à une sorte d’enfermement. A aucun moment, Ali Bongo n’a paru vouloir se placer au-dessus de la mêlée et des contingences politiciennes, s’inscrire dans une perspective et une dynamique historique. Systématiquement, il a entretenu les querelles d’ego et conflits de personne. Là où certains dénoncent un «coup d’Etat électoral», ses proches parlent de «machine», de «système», allant jusqu’à affirmer qu’il a été plus malin qu’André Mba Obame. Quand on évoque le nécessaire respect des libertés fondamentales, ses laudateurs bombent le torse, convoquent la «violence légitime» et invitent Jean Ping au martyr. A ceux qui militent pour l’ouverture des médias et la liberté de presse, ses affidés opposent le passé de Zacharie Myboto, oubliant que le président de l’Union Nationale fut ministre de l’Information dans un contexte de parti unique. «Les références régulières au passé des uns et des autres ne sont pas pour permettre à Ali Bongo de mieux habiter sa fonction et de prendre la mesure des enjeux. D’une part, elles le contraignent à demeurer l’ancien ministre de la Défense et, d’autre part, elles le maintiennent dans des questions d’intendance, l’empêchant ainsi de prendre la hauteur nécessaire à sa fonction actuelle», analyse encore un ancien journaliste à L’Union.

Incertitudes

La personnalisation du débat politique semble être la marque de fabrique du mandat en cours. Convaincue que les leaders de l’opposition s’en trouvent gênés aux entournures, la majorité en use et en abuse jusqu’à lui faire perdre tout effet. Et, pourtant, bien qu’ils ne soient pas toujours à l’aise avec leur passé, les leaders de l’opposition, eux, s’efforcent de passer à autre chose, à une lecture plus juridique et institutionnelle des choses. Dans ses vœux à la nation, Zacharie Myboto l’a explicité : pour lui, le président de la République est autant illégitime qu’illégal. Contrairement à ce qu’auraient cru certains observateurs, il n’a évoqué ni la filiation ni les origines d’Ali Bongo, préférant camper dans le registre juridique et institutionnel. Dans le tohu-bohu ambiant, le Front de l’opposition pour l’alternance est persuadé de mener un combat pour le respect de la loi et des institutions. Mais, pour remettre à plat les institutions, il exige le départ de leur clef de voûte. Une tâche qui ne s’annonce pas de tout repos. Pour y parvenir, il mise sur une unité à toute épreuve, un soutien populaire massif et une neutralité bienveillante de la communauté internationale.

Pendant ce temps, la majorité au pouvoir se braque et bande les muscles. Le film complet des événements du 20 décembre dernier laisse croire qu’elle bénéficie de l’appui des institutions et forces de défense et sécurité. Convaincue du soutien ou tout au moins de la bienveillance de l’autorité judiciaire et du Parlement, elle est certaine que la requête en destitution introduite par Jean de Dieu Moukagni-Iwangou restera lettre morte. Certaine de pouvoir user de la «violence légitime» pour circonscrire ou mater tout mouvement populaire, elle dénonce ceux qui «violent délibérément les lois de la République, posent des actes de défiance à l’autorité de l’Etat tout en mettant en péril la vie de nos concitoyens». En ramenant le débat aux supposés agissements des leaders de l’opposition, Ali Bongo et ses soutiens refusent de tenir compte du point de vue des syndicats et de la société civile ainsi que de l’atonie qui gagne l’ensemble de l’administration, du secteur privé et plus largement du pays. En clair, ils se bandent les yeux devant le mécontentement qui se généralise et la lame de fond qui se lève. Visiblement, le président de la République se projette déjà vers son objectif ultime : la présidentielle de 2016. Mais, d’ici là, beaucoup d’eau va nécessairement couler sous les ponts. A l’allure où vont les choses, les jours à venir s’annoncent chargés d’incertitudes, périlleux. A moins qu’un événement imprévu ne contraigne l’un ou l’autre des camps à revoir sa copie.

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