Accueil > Un policier condamné pour avoir blessé un lycéen avec son flash-ball

Un policier condamné pour avoir blessé un lycéen avec son flash-ball

par Sylvain MOUILLARD

Publie le jeudi 2 avril 2015 par Sylvain MOUILLARD - Open-Publishing

Cette décision, bien que rarissime, ne satisfait ni la famille de la victime ni le syndicat de police Alliance.

L’argumentation de la présidente du tribunal de Bobigny est implacable, lapidaire. Le gardien de la paix Jean-Yves Césaire s’est rendu coupable, le 14 octobre 2010, d’un usage disproportionné de la force, hors de toute légitime défense, en tirant avec son flash-ball sur Geoffrey Tidjani, 16 ans à l’époque, qui tentait de bloquer un lycée de Montreuil (Seine-Saint-Denis). L’adolescent avait été grièvement blessé au visage. Le policier a aussi falsifié le procès-verbal rédigé après les événements, ce qui aurait pu provoquer une « erreur judiciaire », comme l’avait pointé le procureur de la République au moment de son réquisitoire, le 5 mars.

Debout à la barre, Jean-Yves Césaire, un colosse antillais de 43 ans, ne moufte pas. Il est condamné à un an de prison avec sursis, un an d’interdiction d’exercice et deux ans d’interdiction de port d’arme. Une décision rarissime dans les affaires de bavures dues au flash-ball. Dans la salle, ses collègues policiers encaissent, en poussant quelques soupirs.

A quelques pas de là, Geoffrey Tidjani ne semble pas réagir. Trente minutes plus tard, il quitte la salle numéro 5 du tribunal de Bobigny sans un mot, escorté par ses soutiens de l’Assemblée des blessés, des familles et des collectifs contre les violences policières. Pour seule réaction, ces derniers brandissent des affichettes proclamant : « Le flash-ball mutile et tue » ; « Les policiers nous blessent, poursuivons-les ! »
« Une opération de la cataracte à faire tous les cinq à dix ans »

Du côté de la défense, même silence radio. L’interprétation du jugement est assurée par le syndicat Alliance, classé à droite. Christophe Ragondet, responsable en Seine-Saint-Denis, ne fait pas dans la finesse : « Ce tribunal, et ce n’est pas la première fois, affirme clairement qu’en cas de violences urbaines, le flash-ball ne doit pas être utilisé. Bientôt, il ne nous restera plus que nos poings et notre pistolet. Puisqu’on nous refuse les moyens non létaux, nous laisserons faire en cas de violences urbaines. » Il demande au législateur de « prendre ses responsabilités » et de clarifier le « cadre juridique » permettant d’utiliser un flash-ball.

Christian Tidjani, le père de la victime, n’est pas plus satisfait, pour des raisons diamétralement opposées. A ses yeux, le policier aurait dû être « radié ». « Il a menti et risqué de mettre Geoffrey en prison, dit-il. Dans un an, cet homme pourra retourner dans la rue. Il aura un tonfa et pourra de nouveau rédiger un faux. » Il brandit un portrait de son fils photographié après le tir de 2010 : « Geoffrey, c’est ça ! »

Le gamin a la moitié gauche du visage tuméfiée. La balle en plastique de 4 cm de diamètre lui avait provoqué des fractures multiples de la face, une hémorragie dans l’œil et des fractures du nez. Il avait fallu six interventions chirurgicales pour sauver son œil. « Il aura toujours une [opération de la] cataracte à faire tous les cinq à dix ans, explique son père. D’ici peu, il doit se faire opérer de la cloison nasale pour des sinusites chroniques. Toute sa vie, mon fils ira chez le médecin. »
Une définition « particulièrement approximative » de la légitime défense

En rendant sa décision, la juge a décidé de détailler, longuement, ses motivations. Elle a dénoncé la « banalisation » de l’usage du flash-ball, une arme qui peut provoquer des blessures « graves », voire « irréversibles », épinglé « l’insuffisante conscience de sa dangerosité ». « Je n’avais que ça sous la main », avait déclaré à l’audience le policier, qui pensait que le flash-ball n’avait l’effet que d’un « gros coup de poing ». L’année des faits, il n’avait pas effectué les trois tirs d’exercice de rigueur, le commissariat étant en panne de munitions. L’enquête relèvera une autre carence : le dispositif de visée du flash-ball, déjà relativement imprécis lorsque l’arme est utilisée conformément aux directives, de 10 à 30 mètres de la cible, était défectueux. L’arme tirait 12 cm trop haut, augmentant d’autant le risque de toucher le visage.

« Calme et pondéré », selon sa hiérarchie, Jean-Yves Césaire s’est aussi rendu coupable, sur les procès-verbaux post-intervention, d’avoir « procédé à un habillage justifiant des conditions légitimes de l’usage de la force » : « Il ne peut s’exonérer de sa responsabilité pleine et entière dans cette rédaction douteuse », tacle la présidente. C’est la publication d’une vidéo amateure et anonyme, sur le site Rue 89, qui avait permis de balayer la version du policier, selon laquelle son équipage s’était retrouvé sous une « pluie de projectiles » le jour des faits. « Geoffrey Tidjani a été touché alors qu’il poussait une poubelle au travers de la route et se trouvait de profil gauche par rapport aux policiers, rembobine la présidente. A aucun moment, on ne le voit lancer un projectile sur les forces de l’ordre ou se baisser pour en ramasser. » Elle parle d’une définition « particulièrement approximative » de la légitime défense.

Cette condamnation par le tribunal de Bobigny « fera date », selon Pierre-Emmanuel Blard, l’avocat de Geoffrey Tidjani. Depuis l’introduction du flash-ball, il y a une dizaine d’années, dans l’arsenal des forces de l’ordre, peu de dossiers comparables sont arrivés jusqu’aux tribunaux. Deux autres condamnations ont été prononcées : à Versailles (Yvelines) en janvier 2011 pour un tir qui avait éborgné un jeune homme aux Mureaux en 2005, et le 20 mars dernier, aux assises de Mayotte, où un gendarme a écopé de deux ans de prison avec sursis pour avoir éborgné un enfant de 9 ans. Depuis 2004, l’Association des chrétiens pour l’abolition de la torture (Acat) a recensé au moins 30 blessés graves et un décès à la suite de l’utilisation de telles armes.

http://www.liberation.fr/societe/2015/04/02/un-policier-condamne-pour-avoir-eborgne-un-lyceen-avec-son-flash-ball_1233807?google_editors_picks=true