Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Le blog de cepheides

Le blog de cepheides

articles de vulgarisation en astronomie et sur la théorie de l'Évolution

paleontologie

Publié le par cepheides
Publié dans : #Évolution, #paléontologie

 

 

neandertal-femme-Wilma.jpg 

 

     

 

     En 1993 (presque vingt ans déjà !), avec « Jurassic Park », Steven Spielberg nous gratifia d’un film remarquable qui connut un succès mondial. Bourré d’effets spéciaux (pour l’époque), on y voyait s’ébattre, dans un parc d’attractions dédié, une foule de dinosaures plus « vrais que nature ». Jurassic-Park--Brachiosaurus.jpgOn y expliquait que, à partir d’ADN dinosaurien retrouvé dans l’estomac de moustiques fossilisés dans de l’ambre, on était arrivé à reconstituer dans son intégralité le génome de ces immenses disparus. Toutefois, il s’agissait bien de science-fiction puisqu’on sait que cette manipulation est impossible, l’ADN se dégradant inexorablement au fil des années. Pourtant, avec l’avancée continue de la Science, certains chercheurs se remettent à croire réalisable ce prodige, quoique, évidemment, par d’autres techniques. Rêves fous ou réalité à venir ?

 

 

 

Le génie génétique change la donne

 

     

partie de génome humain

 

     C’est vrai : depuis quelques années, ce que l’on appelle le génie - ou ingénierie – génétique a fait de tels progrès qu’il paraît à présent possible d’agir directement sur les chromosomes du vivant. Comment ? En se fondant sur les nombreuses études déjà effectuées en génétique, cette nouvelle discipline se propose de reproduire ou de modifier le genome des êtres vivants (le génome est l’ensemble du matériel génétique compris dans l’ADN d’un individu) et ce quels qu’ils soient.  En réalité, cet ensemble de sciences concerne bien des domaines : par exemple, la médecine en corrigeant le gène porteur d’une mutation responsable d’une maladie ou en assurant la production de protéines thérapeutiques, la recherche fondamentale en analysant les fonctions de tel ou tel gène, l’agriculture en créant des plantes modifiées génétiquement, etc.

 

    De ce fait, des opérations autrefois utopiques deviennent aujourd’hui envisageables (à défaut d’être encore totalement réalisables). Faire revivre des espèces depuis longtemps disparues paraît donc à la portée des scientifiques mais, bien entendu, tout dépend de l’ancienneté de cette disparition et des matériels à disposition. Voici deux exemples pour comprendre de quoi il s’agit :

 

 

*  les mammouths, disparus il y a environ 5000 ans

 

mammouth laineux

 

     Il s’agit peut-être là de l’opération la plus réalisable de celles que nous allons évoquer car la disparition de cette espèce d’éléphant laineux est en fait récente au regard de l’évolution. Et ce d’autant qu’il existe des cadavres de mammouths parfaitement bien préservés dans la glace sibérienne : des documentaires nous montrent leur extraction (et leur nouvelle conservation) presque chaque mois. Compte-tenu de ces facilités, la technique retenue est celle du clonage cellulaire, une opération déjà tentée avec succès avec la brebis Dolly il y a maintenant plus de quinze ans. L’ADN de ces animaux est en partie détruit par le froid ? Un scientifique japonais a réussi ce type de clonage en 2008 avec une souris conservée seize ans dans un congélateur alors… Certains scientifiques avancent sans sourciller que cette résurrection venue du néolithique pourrait se faire dans les cinq ans à venir !

 

     On comprend aussi que ce qui est possible avec les mammouths l’est également avec des espèces disparues plus récemment : je pense au Dodo de l’Ile de la Réunion ou au chien marsupial appelé loup de Tasmanie (Thylacine) dont le dernier représentant fut abattu dans les années 1930.

 

 

*  l’Homme de Néandertal disparu il y a environ 30 000 ans

 

     Nous sommes ici un peu plus loin dans le temps et, bien sûr, il est totalement impossible de retrouver la moindre cellule nucléée suffisamment préservée sur les seuls restes accessibles, les squelettes de cette espèce d’homo. Une autre technique s’impose donc : la modification de l’ADN humain.

Homme de Néanderthal
ossements néanderthaliens

Expliquons-nous. Certains os néandertaliens nous sont parvenus en assez bonne condition, suffisamment en tout cas pour qu’on tente de reconstituer à partir d’eux leurs ADN. C’est ainsi que, en 2010, une équipe du Max Planck Institute (Allemagne) a réussi à reconstituer 70% du génome de l’homme de Néandertal. Le premier stade est donc de disposer de ce génome complet.

     On sait par ailleurs que Néandertal et Homo Sapiens possèdent 99,7 % de patrimoine génétique en commun. Dès lors, il « suffirait » de prendre de l’ADN humain, de le modifier afin de le « néandertaliser », d’introduire cet ADN modifié dans une cellule humaine préalablement dénucléée et de l’injecter dans l’ovule d’une mère porteuse… A priori relativement faisable… sauf que, plus encore que pour le mammouth, se posent d’énormes problèmes éthiques sur les quels nous reviendrons en deuxième partie de ce sujet.

 

 

 

Le cas très spécial des dinosaures

 

 

     Et les dinosaures (qui font l’objet de cet article) dans tout ça ? Avec eux, nous sommes encore plus loin dans le passé. Beaucoup plus loin puisqu’il ne faut alors plus compter en milliers mais en dizaines de millions d’années. Les os des dinosaures sont de véritables restes fossilisés et depuis longtemps transformés en pierre. Impossible bien sûr d’en tirer la moindre trace biologique ! C’est là qu’intervient une autre facette du génie génétique. Puisque l’on ne peut pas s’appuyer sur un matériel résiduel exploitable, pourquoi ne pas chercher les éléments survivants de ces grands sauriens dans le monde d’aujourd’hui… Or, quels sont les actuels descendants des dinosaures ? Les oiseaux, évidemment !

 

     L’idée ne semble pas si utopique que ça si l’on considère que les embryons d’une espèce vivante renferment dans leur ADN les traits de leurs ancêtres. Simplement, l’Evolution étant passée par là, ces gènes ne s’expriment pas car ils ont été inhibés au cours de l’histoire de l’espèce. Par exemple, chez l’Homme, l’embryon présente transitoirement des ébauches de branchies lors de la gestation, témoignage – heureusement réprimé – de notre passé aquatique.

 

dinosaures
vélociraptors

 

     Les scientifiques ont donc cherché un oiseau qui pourrait être un bon candidat à ce type d’étude et les plus avancés d’entre eux se sont intéressés… au poulet. En effet, lors de son développement, l’embryon de poulet présente des caractéristiques rappelant sérieusement ses ancêtres dinosauriens : des dents (!), des mains avec des griffes, une queue, etc. Supposons que l’on puisse inactiver les gènes inhibiteurs de ces caractères très spéciaux et notre poulet possédera une queue lui servant de balancier, des ailes qui ne se formeront pas (puisqu’elles sont la résultante de la fusion des doigts ancestraux) et resteront des pattes à trois doigts, une mâchoire où s’implanteront des dents. A l’arrivée, notre volatile aurait plus l’air d’un petit vélociraptor que d’un poulet fermier !

 

     Les recherches concernant les possibilités d’inhiber certains gènes afin de faire (ré)apparaître des caractères ancestraux oubliés dans les profondeurs de l’Evolution sont, semble-t-il, plus avancées qu’il n’y paraît. Certaines équipes, à l’aide de facteurs de croissance, de protéines spécifiques, de stimulations diverses ont réussi, par exemple, à faire surgir durablement des dents rudimentaires chez des embryons de poulet. En somme, ce qui fait défaut, ce n’est pas la technique mais l’information car manque encore à l’appel l’identification de nombreux gènes intervenant dans ces étranges expérimentations. On peut parier que, le temps passant, on en découvrira de plus en plus jusqu’à posséder le descriptif de tous les gènes nécessaires à l’opération. Revoir des dinosaures – ou des animaux qui leur ressembleraient étrangement – n’est pas si loin de la réalité et Michael Crichton, qui écrivit Jurassic Park, n’était peut-être qu’un précurseur en la matière.

 

     Reste un aspect - non scientifique cette fois – qui mérite certainement d’être évoqué : a-t-on moralement le droit de poursuivre dans ces directions ? Où se situe la limite entre la connaissance scientifique et l’éthique ? A-t-on, par exemple, le droit de faire vivre un homme de Néandertal dans le monde d’aujourd’hui ?

 

 

 

L’éthique ou l’anticipation d’effets pervers

 

 

     Les questions qui se posent face à de telles initiatives de « résurrection » (le mot n’est pas trop fort) me semblent – mais cela n’engage que moi – se situer selon trois différents aspects :

 

 

*  du point de vue de l’Evolution elle-même

 

     Tenter de faire réapparaître des espèces disparues peut sembler à beaucoup vouloir aller CONTRE la Nature. En effet, disent ceux-là, si l’Evolution a éliminé tel ou tel, c’est que ces individus n’étaient plus adaptés au monde dans lequel ils vivaient : on évoque alors la sélection naturelle qui est précisément un des principaux moteurs de cette Evolution. Dès lors, au-delà de la prouesse technique, quel peut bien être l’intérêt de ressusciter des sujets destinés à se retrouver dans un univers inapproprié ?

 

    Ce n’est pas si simple, rétorquent leurs opposants qui contestent le caractère inadapté de telle ou telle espèce. Par exemple, avancent-ils, les grands sauriens ont certes disparu totalement mais n’est-ce pas (au moins en grande partie) le résultat d’une catastrophe imprévisible, relevant exclusivement du hasard (la météorite géante du crétacé aurait pu éviter la Terre… et nous ne serions pas là pour en parler) et non d’un changement du milieu terrestre ? Que dire aussi des espèces de plus en plus nombreuses disparues par la faute de l’Homme ?

 

     Il n’est pas faux de dire que ces arguments sont tous valables et qu’ils sont plus ou moins réels selon les espèces concernées.

 

 

*  du point de vue de la morale

 

     A-t-on le droit de ramener à la Vie des individus qui, qu’on le veuille ou non, auront fatalement des problèmes d’adaptation dans notre monde d’aujourd’hui ? Je n’insisterai pas sur le parc aux dinosaures du film Jurassic Park qui n’est, en somme, qu’un zoo très spécial de la taille d’une île et où l’on a cherché à rétablir une flore en rapport avec les nouveaux occupants (mais des occupants d’époque et de milieux différents !). Il s’agit là d’un travail considérable en temps et en argent qui me semble – et pour longtemps encore – hors de notre portée.

 

     En revanche, ressusciter un Néandertalien pose des problèmes autrement plus fondamentaux : il s’agit là d’un homme dont l’intelligence est certainement voisine de nos

Joseph Carey Merrick
Néanderthal, nouvel elephant man ?

ancêtres sapiens de son époque… (On pourrait d’ailleurs tout aussi bien ressusciter un homo sapiens de l’aurignacien ce qui soulèverait les mêmes interrogations). Car enfin, ce Néandertalien, il faudra bien l’éduquer, l’étudier, l’intégrer à un monde pour lui du futur, avec le risque de, peut-être, en faire une bête curieuse exposée au regard d’un public plus ou moins averti ? Voilà qui rappelle des pratiques du XIXème siècle et Eléphant Man. L’intérêt scientifique – certain – de l’opération compense-t-il cet aspect moins glorieux ?

 

 

* du point de vue de l’écologie

 

     A plusieurs reprises, j’ai évoqué dans ce blog les ravages que l’Homme et ses vertus civilisatrices font courir à l’ensemble de la planète. La recherche du profit à tous crins de certains est heureusement contrebalancée (quoique de façon à l’évidence très insuffisante) par tous ceux qui luttent pour la préservation de la biodiversité. Imaginons qu’on puisse effectivement « recréer » des espèces disparues. Je devine immédiatement ce qu’avanceront ceux qui bétonnent, déforestent, forent, détruisent la vie naturelle sans vergogne : « Ce n’est pas grave puisque, de toute façon, si une espèce disparaît, il suffira de la faire revivre par le génie génétique ! ». En d’autres termes, si on peut faire revivre des espèces, plus aucune n’est en danger ; on aboutit alors au contraire de ce que veulent les partisans de la recréation des espèces disparues…

 

 

     Comme on le voit, rien n’est jamais simple et une avancée scientifique d’envergure est souvent porteuse de son contraire délétère : j’en veux pour preuve l’énergie nucléaire utilisée à la fois en médecine et dans les armes de destruction massive. L’idée de ressusciter des espèces disparues contient forcément des approches contradictoires : il reste à chacun à se faire une opinion sur son utilité.

  

 

 

 

Sources

.  Wikipédia France

.  Science & Vie, n° 1131, déc. 2011

 

 

Images

 

1. Wilma, femme de Néandertal (sources : astrosurf.com) 

2. film Jurassic Park 3 - 2001 (sources : jurassicpark.wikia.com) 

3. fraction de génome humain (sources : larousse.fr)

4. mammouth (sources : geo.fr)

5. ossements de Néandertaliens (sources : sciencesnaturelles.be)

6. vélociraptors (sources : informarmy.com)

7. Joseph Carey Merrick "Elephant Man" (sources : doctorsecrets.com)

  pour lire les légendes des illustrations, passer le pointeur de la souris dessus

 

 

Mots-clés : Jurassic Park - génome - ADN - génie génétique - mammouth - clonage cellulaire - brebis Dolly - homme de Néandertal - dinosaures - théorie de l'Évolution - Michael Crichton - sélection naturelle - Elephant Man - biodiversité

 les mots en gris renvoient à des sites d'informations complémentaires

 

 

Sujets apparentés sur le blog

1. la notion d'espèce

2. l'empire des dinosaures

3. la disparition des dinosaures

4. les mécanismes de l'Evolution

5. Néandertal et Sapiens, une quête de la spirualité

6. les extinctions de masse

  

 

 

 Dernier sommaire général du blog : cliquer ICI

  

l'actualité du blog se trouve sur FACEBOOK 

 

 Mise à jour : 10 mars 2023

Voir les commentaires

Publié le par cepheides
Publié dans : #paléontologie, #Évolution

 

 

sauroposeidon.jpg

 

 

 

Les dinosaures – les terribles reptiles – dominèrent notre monde durant plus de 140 millions d’années ce qui est considérable… et un chiffre difficile à saisir pour notre cerveau habitué à des durées bien plus modestes. A titre de comparaison, la présence de l’homme moderne représente une durée de moins de 0,0005 % de celle de ces animaux sur la Terre et celle de l‘homme dit « civilisé » encore 10 fois moins.

 

Apparues vers le milieu du Trias (première partie de l’ère secondaire ou mésozoïque), rapidement, ces étranges créatures – qui effraient et fascinent tout à la fois - se diversifièrent et se reproduisirent pour, à la fin du crétacé (et de l’ère secondaire), représenter jusqu’à 95% de la biomasse des vertébrés et dominer pratiquement toutes les niches écologiques : une réussite adaptative remarquable ! Comment ils ont pu dominer ainsi cette planète et pourquoi ils ont assez brusquement disparu sont des questions forcément passionnantes.

 

 

Le monde du début

 

Le Trias moyen, première période de l’ère secondaire, voit donc apparaître ces nouveaux occupants d’une terre jusque-là dominée par les reptiles mammaliens (ancêtres éloignés des mammifères) et autres crocodiles archaïques.

 

Nous sommes à – 225 millions d’années et la Terre de ce temps-là pangee-au-trias.pngest bien différente. Un seul continent l’occupe, la Pangée, entourée d’un océan unique, la Panthalassée. On peut donc imaginer un centre continental où il ne pleut guère - et donc semi-désertique - associé à un pourtour bien plus humide et tempéré où s’épanouit une abondante végétation composée de grands conifères et de fougères mais pas encore de plantes à fleurs. Les simulations sur ordinateur du climat de l’époque suggèrent l’alternance de violents épisodes pluvieux, un peu comme les moussons d’aujourd’hui. C’est dans ce milieu somme toute plutôt favorable qu’apparurent les premiers dinosaures.

 

 

Une évolution rapide

 

Comme toujours lorsqu’on parle d’évolution, il faut chercher à identifier le caractère particulier qui permet à une espèce (et ses descendantes) de supplanter, par sélection naturelle, les occupants en place. Une des hypothèses souvent retenue par les spécialistes est Dinosaures.jpgl’apparition chez les dinosaures de pattes placées sous le corps. En effet, jusque-là, les reptiles ne possédaient que des membres latéraux leur permettant certes de marcher et de courir mais au prix d’un abdomen et d’une queue traînant sur le sol ce qui est un handicap pour la mobilité. De plus, une partie des efforts des individus se perd alors dans les ondulations latérales de la reptation. Avec la présence de membres verticaux, les grands sauriens acquièrent une marche plus facile, plus aisée, associant des pas plus longs à une bonne stabilité du corps, responsable, quant à  elle, d’une augmentation possible du poids corporel. Un atout peut-être décisif dans ce monde de compétitions et d’antagonismes en tous genres.

 

Une autre hypothèse avancée par les scientifiques est la disparition des reptiles mammaliens survenue vers la fin du Trias supérieur lors d’une extinction de masse, disparition qui aurait permis la colonisation des niches laissées vacantes par les nouveaux arrivants.

 

Quoi qu’il en soit l’expansion et la diversification des grands sauriens furent rapides et généralisées.

 

 

Diversification des dinosaures

 

Peu après leur apparition il y a 225 millions d’années, les dinosaures se séparent en deux branches : les saurischiens et les ornithischiens. La différence entre ces deux groupes est anatomique : les premiers ont un bassin de lézard (pubis orienté vers l’avant) tandis que les ornithischiens ont un bassin comme celui des oiseaux (pubis vers l’arrière). C’est d’ailleurs cette caractéristique très particulière qui fait dire aux spécialistes que les oiseaux sont bel et bien des descendants directs de cette lignée de grands sauriens… Viennent ensuite des diversifications qui conduisent aux théropodes carnivores et aux sauropodes (et tyranosaure2.jpgornithischiens) herbivores. Le fait que les prédateurs carnivores (théropodes) aient conservé la bipédie du début tandis que les herbivores retournèrent pour la plupart à la quadrupédie explique en partie le succès évolutif de ces animaux mais pas seulement.

 

J’ai déjà eu l’occasion d’évoquer (voir sujet : les humains du paléolithique) que la course à la survie est presque toujours une course vers le gigantisme (dans les limites des contraintes mécaniques bien sûr). En effet, il est toujours plus simple pour un prédateur de se saisir d’une proie plus petite : la lutte est plus facile même s’il faut la renouveler plus souvent. De ce fait, la sélection naturelle, au fil des millions d’années, privilégie les individus plus massifs (de même que plus combatifs) moins souvent attaqués ce qui, à terme, avantage également les prédateurs plus grands en une sorte de course sans fin. En revanche, dès que la prédation devient moins féroce (par exemple dans un milieu isolé, avec peu de prédateurs, comme une île), au fil du temps, les espèces ont tendance à diminuer de volume vers une taille moyenne voisine de celle d’un grand chien. Les dinosaures qui vivaient dans un milieu très compétitif ont vu leur taille augmenter avec les années ce qui est également un bon facteur d’adaptation.

 

Une autre explication de la diversification de ces « lézards géants » réside (comme j’ai déjà eu l’occasion de la mentionner dans le sujet sur la tectonique des plaques) dans la dérive des continents, un phénomène impossible à saisir durant une vie humaine (quelques cm par an seulement) et même pendant la durée d’une civilisation. Nous évoquons en effet ici des durées bien supérieures qui se comptent en millions d’années. On comprend donc que cette dérive qui va progressivement fractionner le supercontinent Pangée en plusieurs morceaux va séparer des espèces entières de dinosaures qui, dès lors, vont évoluer séparément et donc forcément différemment… pour les remettre en présence lors d’une autre dérive de plaque tectonique et provoquer alors de nouvelles compétitions et adaptations.

 

 

Le règne des dinosaures

 

Les scientifiques ont décrit jusqu’à présent plusieurs centaines d’espèces différentes de dinosaures (700 à 800) et il est très vraisemblable que beaucoup d’autres espèces restent à mettre au jour. Jurassic Park, l’excellent film de Steven Spielberg, l’a bien montré : à peu près toutes les formes et toutes les tailles de ces animaux ont existé. Le plus grand d’entre eux fut probablement le sauropode Argentinosaurus qui, avec ses 8O tonnes, était haut comme un bâtiment de six étages et long comme trois autobus mais il existait aussi de minuscules créatures (toutes proportions gardées) qui, comme le microraptor, mesurait à peine soixante centimètres et devait peut-être chasser en meute.

 

Toutes les tailles mais également toute la Terre ! Stricto sensu, on n’a sémantiquement le droit de parler de dinosaures que pour les animaux terrestres. Néanmoins, certains autres animaux leur étaient apparentés et surent conquérir des environnements nouveaux : je pense, par exemple, aux reptiles marins comme les ichthyosaures (apparus avant les dinosaures et disparus également avant eux) dont l’agilité en mer pterodactyle.jpgéquivalait à celles des dauphins actuels ou les ptérosaures, les fameux « reptiles volants », disparus également lors de la grande extinction du Crétacé, et dont toutes les tailles existaient (certains spécimens avaient une envergure de douze mètres).

 

Cette remarquable adaptation des grands sauriens se fit aussi – on l’a déjà évoqué -  dans le long terme ; ils régnèrent si longtemps que leurs représentants successifs assistèrent à la modification totale des continents. De la Pangée du Trias, il ne reste rien au Crétacé. Outre l’écologie des terres, avec la formation de blocs séparés qui deviendront bien plus tard les continents que nous connaissons, le climat lui-même s’est considérablement modifié. Vers la fin du Jurassique, après une période chaude et humide, le climat s’était refroidi mais le voilà à nouveau réchauffé et considérablement adouci vers le Crétacé moyen au point que vers – 70 millions d’années, il ne reste plus rien des calottes glaciaires. Inévitablement, la flore elle-aussi se transforme avec l’apparition des plantes à fleurs qui, peu à peu, repoussent les conifères et les fougères géantes du Jurassique. Les dinosaures ? Eh bien, ils s’adaptent parfaitement à tous ces changements ; pour les herbivores, on passe de la domination des sauropodes à celle des ornithopodes (qui, comme l’indique leur nom, ont des pieds ressemblant à ceux des oiseaux). Ces derniers sont tous herbivores et c’est dans ce groupe qu’on trouve les iguanodons et leshadrosaure-Brachylophosaurus-canadensis fameux hadrosaures à bec de canard. Bien entendu, ces changements entraînent forcément de nouveaux prédateurs carnivores. Toujours de nouvelles espèces de dinosaure pour des milieux différents…

 

Pourtant, en quelques milliers d’années, cette extraordinaire domination remontant à des temps presque immémoriaux va subitement cesser.

 

 

Disparition des grands sauriens

 

Le sujet fascinant à la fois les scientifiques et le grand public, on a beaucoup écrit en ce domaine et force est de constater que, s’il est possible d’émettre des hypothèses vraisemblables, il est néanmoins difficile de conclure définitivement. En fait, à y regarder de plus près, il semble que cette disparition relativement soudaine (en termes d’évolution) soit plutôt la conséquence de phénomènes intriqués.

 

On connaît bien sûr la météorite du Yucatan, longuement évoquée dans ce blog (voir le sujet : la disparition des dinosaures) et il est assez vraisemblable que son rôle a été primordial dans cette extinction de la fin du Crétacé. Il faut d’ailleurs bien préciser que les dinosaures n’ont certainement pas été les seuls à être décimés à cette époque : il s’agit en effet de la dernière extinction de masse connue qui emporta également de nombreuses autres espèces tant terrestres que, surtout, marines (les ammonites par exemple).

 

Toutefois, il reste un doute : certains auteurs expliquent que la disparition des grands sauriens semblait bien amorcée avant le passage de la météorite ; ils expliquent que des lignées entières de dinosauriens paraissaient en déclin, du moins selon certaines fouilles paléontologiques et qu’un tel phénomène ne peut s’expliquer que sur plusieurs milliers d’années. On pointe alors du doigt un autre événement, fort actif à cette époque : les trapps du Deccan. Il s’agit d’un épisode volcanique très important et durable : on en retrouve des traces durant plusieurs millions d’années. Ces trapps (escaliers en suédois) sont en rapport avec ce que l’on appelle un point chaud, c'est-à-dire la remontée de roches brûlantes depuis le manteau terrestre. S’en suit alors un écoulement volcanique trapps-du-deccan.jpgcontinu sur une surface immense (le tiers de l’Inde actuelle !) avec des épaisseurs de plusieurs km.  La tectonique des plaques ayant fait son œuvre, l’Inde est de nos jours à 4500 km de ce point chaud résiduel qui se trouve à présent juste sous l’île de la Réunion. A l’époque de la disparition des dinosaures, il semble qu’un paroxysme éruptif se soit produit pendant peut-être 15 à 20 000 ans, un temps assez long pour avoir transformé le milieu (réchauffement climatique, émanation de gaz, pluies acides, etc.) mais quand même trop rapide pour avoir permis une adaptation efficace des grands sauriens. Dans cette optique, la météorite aurait apporté le coup de grâce à des espèces déjà fragilisées.

 

Il existe d’autres hypothèses, plus discutées, comme l’explosion proche d’une supernova, voire le passage, il y a 65 millions d’années, du système solaire à travers la ceinture de Gould (complexe d’associations d’étoiles dont l’origine reste inconnue). Les trapps et la météorite restent quand même les meilleurs candidats pour expliquer cette extinction du Crétacé mais qui sait ?

 

 

L’empire d’homo sapiens

 

Aujourd’hui, grand singe évolué de la lignée des mammifères ayant pu prospérer lorsque les niches écologiques du crétacé se sont libérées, l’Homme domine la planète. Depuis peu de temps. Si l’on compare la durée du règne de l’Homme moderne à celle des dinosaures, c’est comme mettre côte à côte un grain de sable et une montagne de plusieurs km. Pourtant, durant ce laps de temps si court, l’Homme a plus changé la Terre que quiconque auparavant. Il agit rapidement et transforme son environnement sans trop se soucier des conséquences. Compte tenu de cela, je doute fortement qu’il puisse régner ici bas aussi longtemps que les grands lézards, ses lointains prédécesseurs.

 

 

 

Sources :

les dossiers de la Recherche, n° 39, mai 2010 ;

Wikipedia France ;

CNRS (https://www.cnrs.fr/cw/dossiers/dosevol/)

 

 

Images

 1. sauroposeidon : un herbivore du crétacé aussi énorme que l'Argentinosaurus (sources : prehistoricanimal.blogspot.com/)

   2. la Pangée fractionnée au Trias (sources : fr.academic.ru)   

   3. combat de dinosaures (sources :  boolsite.net)

   4. Spinosaurus (sources : forum.hardware.fr)

   5. Ptéodactyles (sources : eternelpresent.ch)

  6. hadrosaure (sources : techno-science.net)

  7. les trapps du Deccan (sources : futura-sciences.com)

 

 

(Pour lire les légendes des illustrations, passer le pointeur de la souris dessus)

 

 

 

 Sujets apparentés sur le blog :

 

1. les extinctions de masse

2. la disparition des dinosaures

3. placentaires et marsupiaux, successeurs des dinosaures

4. ressusciter les dinosaures

5. la grande extinction du Permien

 

 

Mots-clés : reptiles mammaliens - Pangée - verticalisation des membres - saurischiens - ornithischiens - théropodes - sauropodes - extinctions de masse - tectoniques des plaques - isolement géographique - Argentinosaurus - ichthyosaure - ptérosaures - ornithopodes - météorite du Yuacatan - trapps du Deccan - supernova - ceinture de Gould -

(les mots en gris renvoient à des sites d'informations complémentaires)

 

 

 

 Dernier sommaire général du blog : cliquer ICI

  

l'actualité du blog se trouve sur FACEBOOK

 

 

mise à jour : 6 mars 2023

Voir les commentaires

Publié le par cepheides
Publié dans : #Évolution, #paléontologie

 

 

 

 

homo-sapiens-neandertal-flores.jpg

 

 

 

Du début de mes études secondaires il y a, hélas, fort longtemps, je me souviens des cours d’histoire où, durant quelques brèves journées, un professeur fort patient cherchait à nous expliquer les prémices des civilisations humaines. On évoquait alors « les hommes de Cro-Magnon » et autres pithécanthropes. Je ne sais pas pour mes autres compagnons d’infortune mais, quant à moi, cette période de notre protohistoire m’ennuyait passablement car, comme bien des enfants d’aujourd’hui, je ne m’intéressais vraiment qu’aux dinosaures ou à la rigueur au tigre à dents de sabre (ou smilodon que j'appelais - je ne sais pourquoi - machairodus). A cette époque, il est vrai, la recherche sur le paléolithique n’en était qu’à ses débuts et on sortait à peine des préjugés des décennies précédentes : aujourd’hui, bien des idées préconçues ont été battues en brèche et on a complètement repensé les rapports de sapiens avec son environnement au point qu’on sait à présent que notre illustre ancêtre n’était pas seul à peupler le monde et que son ascension n’était certainement pas inévitable.

 

 

Homo sapiens, le survivant

 

Apparu il y a environ 125 000 ans, homo sapiens est aujourd’hui le seul représentant du genre homo encore présent (et même bien présent…). Ce ne fut pas toujours le cas puisque jusqu’à il y a une quarantaine de milliers d’années plusieurs espèces d’homo coexistaient. Les récentes prospections (et, surtout, les analyses génétiques) l’affirment : à cette époque pas si lointaine en terme d’évolution, il semblerait que quatre espèces différentes d’homo aient vécu en même temps.

 

On situe le plus souvent l’origine de l’humanité sur la terre africaine, plusieurs « migrations » ayant ensuite peuplé les autres continents, notamment Europe et Asie. Avant, et durant des millions d’années, il y eut des dizaines de précurseurs – de façon parfois concomitante - dont certaines caractéristiques relevaient encore des ancêtres communs avec les grands singes tandis que d’autres annonçaient déjà l’homme dit moderne (voir le sujet : le dernier ancêtre commun) ce qui, disons-le au passage, rend illusoire la recherche d’un unique ancêtre commun des hommes actuels.

 

homo sapiens hors d'Afrique
migration d'homo sapiens

 

Reste le fait que ne subsiste plus aujourd’hui que sapiens et qu’on ne peut pas ne pas se demander quelles sont les raisons de la disparition des autres : ne serait-ce pas tout simplement l’action prédatrice de nos ancêtres directs qui en serait responsable ? Après tout, qu’on le veuille ou non, la Vie est avant tout une compétition et il est certain que, en ces temps anciens, il ne tombait probablement pas sous le sens de partager les territoires et leurs multiples ressources : la disparition ou l’assimilation, en quelque sorte. Et probablement beaucoup de la première et un tout petit peu de la seconde pour Néandertal.

 

 

Neandertal, un cousin proche ?

 

Vers le milieu du XIXème siècle, tandis qu’on s’intéressait surtout aux premiers squelettes réellement exploitables de « grands sauriens », on mit à jour dans la petite vallée allemande de Néandertal, une sorte « d’homme primitif » dont les caractéristiques très simiesques semblaient toutefois partiellement « humaines ». Combattue par certains, l’appartenance de Néandertal au genre homo était peu contestable mais on voyait alors en lui une espèce de primate rudimentaire (silhouette trapue, faciès grossier, intelligence évidemment réduite), archaïque pour les uns, dégénéré pour les autres. La paléontologie moderne a rendu à Néandertal sa place qui est celle d’un contemporain de sapiens, probablement aussi évolué que lui à cette époque. J’ai longuement eu l’occasion d’évoquer dans un sujet précédent (voir le sujet : sapiens et Néandertal, une quête de la spiritualité) ce que nous comprenons aujourd’hui de cette autre espèce d’homme, notamment quant à sa dimension culturelle.

 

Une question restait toutefois en suspens : sapiens et Néandertal ont-ils pu s’accoupler et avoir des descendants ? En d’autres termes ces neandertal-enfant.jpgdeux homo étaient-ils suffisamment proches pour se métisser et, si oui, a-t-on encore le droit d’évoquer des espèces différentes ? Un nouvel élément de réponse vient de nous être apporté par la génétique : alors que celle-ci, jusqu’à présent, évoquait une non-fécondabilité entre les deux espèces, une étude récente affirme le contraire. Bien que la concordance génétique entre sapiens et Néandertal soit de 99,7%, les auteurs ont cherché une correspondance génétique plus fine entre le génome d’un néandertalien (difficilement obtenu à partir de quelques os) et ceux d’un Européen, d’un Asiatique, d’un papou de Nouvelle-Guinée et d’un Africain : les résultats montrent que le patrimoine génétique de Néandertal est plus proche de celui de l’Asiatique, de l’Européen et du papou que de celui de l’Africain. Pour les auteurs, il ne peut y avoir qu’une explication possible : il y a eu des croisements entre sapiens et Néandertal après que le premier soit sorti d’Afrique. Ces auteurs estiment que de 1 à 4% - non codant - de notre patrimoine génétique actuel provient de Néandertal…

 

On doit donc aujourd’hui penser (mais cette étude demande à l’évidence d’autres confirmations) que sapiens et Néandertal n’étaient pas si éloignés que cela l’un de l’autre : plutôt deux sous-espèces que deux espèces distinctes d’où, pour certains scientifiques, la nécessité de revenir à l’ancienne classification « homo sapiens neanderthalensis ». Cela dit, le « métissage » sapiens-Néandertal reste toutefois marginal et la disparition de notre cousin vers 30 000 ans avant JC, un mystère.

 

 

L’Homme de Florès, toujours une énigme

 

Au début des années 2000, une publication jeta l’émoi chez les scientifiques : on avait découvert en Indonésie, dans une grotte de l’île de Florès, une nouvelle espèce d’homme ! Il s’agissait d’un bipède, mesurant environ 1 mètre de hauteur pour un poids d’une vingtaine de kg. Il était flores-homme.jpgcapable de fabriquer des outils (retrouvés avec les squelettes), outils de l’époque acheuléenne (environ 500 000 ans avant JC) mais, fait totalement troublant, la datation des squelettes les faisait remonter à seulement 18 000 ans avant JC. Les spécialistes sont comme à l’habitude partagés et si l’on a pratiquement rejeté l’hypothèse d’un nanisme médical acquis (microcéphalie carentielle), bien des scientifiques restent encore sceptiques…

 

Il n’en reste pas moins que l’on s’oriente plutôt vers un descendant local d’homo erectus ou d'homo habilis, « épargné » en quelque sorte par son insularité. Une insularité qui explique également sa petite taille : on sait en effet que, en l’absence de prédateurs, les espèces ont tendance à voir leur taille diminuer, du moins ceux ayant une taille supérieure à celle d’un chien, alors que les plus petites ont tendance à grandir, tout cela en une sorte de compétition vers une taille médiane… Quoi qu'il en soit, cet homo était si petit que, par référence aux livres de Tolkien actuellement bien en vogue grâce au cinéma, on le présente à présent souvent au grand public sous l'appellation de "hobbit"...  

 

Cette découverte amène plusieurs réflexions :

 

* d’abord, les ancêtres de sapiens – ici homo erectus – ont réussi à coloniser la planète jusqu’à fort loin de leur base de départ (Afrique) ;

 

* ensuite, l’homme de Florès aurait continué à survivre alors que sapiens avait déjà colonisé le globe et, notamment, cette même île de Florès ;

 

* enfin, l’homme de Florès existait encore alors que Néandertal avait disparu depuis des millénaires…

 

Comme si cette découverte ne suffisait pas, voilà qu’à présent on parle d’une troisième espèce d’homme ayant coexisté avec sapiens : sa découverte étant trop récente, il n’a pas encore de dénomination scientifique et on l’appelle l’homme de Sibérie.

 

 

L’Homme de Sibérie (Denisova), le quatrième homo

 

Habituellement, on identifie une nouvelle espèce par ses fossiles. Pour l’homme de Sibérie, pour la première fois, il s’agit d’une découverte denisova-le-champ-de-fouille.jpg purement génétique faite il y a quelques mois (mars 2010). C’est, en effet, en étudiant l’ADN mitochondrial de l’auriculaire d’un enfant d’environ 7 ans découvert à Denisova, dans les monts de l’Altaï, au sud de la Sibérie, que les chercheurs ont mis en évidence qu’il s’agissait bien d’un primate du genre homo. On sait que l’ADN mitochondrial de sapiens et de Néandertal diffère sur 202 points : l’homme de Denisova a un ADN différant de celui de sapiens sur 385 points… La conclusion est évidente : notre ancêtre commun avec l’homme de Sibérie/Denisova remonte à environ 1 million d’années tandis que notre ancêtre commun avec Néandertal vivait il y a 500 000 ans… S’agit-il ici d’une espèce réellement différente de sapiens – et ne pouvant donc se reproduire avec lui – ou d’une sous-espèce au sein de laquelle s’exprimerait une certaine variabilité génétique ? Il est encore trop tôt pour le dire mais ce qui est certain, c’est que cet homme « différent » vivait en Sibérie il y a 40 000 ans, en même temps que sapiens, Néandertal et Florès. Diversité humaine !

 

 

Raréfaction de la diversité

 

Stephen J. Gould le faisait remarquer : au temps du schiste de Burgess, il y a plus de 500 millions d'années, les genres d’animaux étaient bien plus nombreux et différents des uns des autres qu’aujourd’hui. Il y a eu bien sûr les multiples extinctions de masse qui ont détruit des catégories entières d’espèces animales (voir le sujet : les extinctions de masse) au point que l’on dit souvent que 99% des espèces animales ayant extinctions-dinosaures.jpgvécu un jour sur Terre ont à présent disparu. Mais cela n’explique pas tout. La compétition interspécifique et la sélection naturelle jouent également un rôle important dans l’amenuisement de la diversité du vivant.

 

Sapiens est l’héritier d’une gigantesque lignée d’ancêtres plus ou moins proches, plus ou moins humains. Dans la savane africaine d’il y a quelques millions d’années ont coexisté et se sont succédés des dizaines de formes d’hominidés qui, au fil du temps, ont acquis des caractères ayant conduit à l’Homme actuel. Il est probable – comme je l’ai déjà écrit – qu’il n’existe pas « d’ancêtre direct et unique » d’homo sapiens mais plutôt des lignées distinctes avec toutes leurs formes intermédiaires, issues de compétitions féroces pour la survie et de spéciations par isolement géographique. L’Homme actuel – homo sapiens – est l’unique survivant de cette guerre pour la continuation du plus apte qui s’est étendue sur des millions d’années et il est fascinant de constater qu’il y a peu, sapiens avait encore des concurrents du genre homo comme lui : 40 000 ans ne représentent rien à l’échelle de l’Évolution. Il est aujourd’hui le seul représentant de cette lignée de grands singes et la sélection naturelle l’a doté d’un cerveau qui lui permet – pour la première fois chez un être vivant sur cette planète - de transformer son environnement. Qu’en a-t-il fait jusqu’à présent? Qu’en fera-t-il à l’avenir ?

 

 

 

Note brêve : l'homme de Florès serait plus vieux qu'initialement pensé

 

   Une relecture récente du site a permis de réévaluer la présence de l'homme de Florès dans les lieux et cette présence serait beaucoup plus ancienne qu'initialement admise. Le journal "le Monde" s'en est récemment fait l'écho comme en témoigne le texte qui suit, tiré de l'édition du 30 mars 2016 :

 

... Mais de nouvelles fouilles, conduites entre 2007 et 2014 par une équipe internationale, ont montré que la stratigraphie complexe de la grotte avait pu induire les chercheurs en erreur. « Nous n’avions pas réalisé, durant les premières fouilles, que les dépôts sédimentaires où les restes du Hobbit étaient présents, près de la paroi est de la grotte, étaient d’un âge similaire à ceux du centre de la grotte, que nous avions datés à 74 000 ans, indique Thomas Sutikna (université de Wollongong, Australie, centre archéologique de Jakarta). En avançant dans les fouilles, année après année, il est apparu de plus en plus clairement qu’une large part des dépôts anciens avait été érodée. ». Cette surface a ensuite été recouverte par de nouveaux sédiments au cours des derniers 20 000 ans, et malheureusement, ce sont ces strates qui avaient été retenues pour les datations initiales. ...


Sources :  journal lemonde.fr ( paléontologie /article/2016/03/30)

 

 

Images

 

1. comparaison des crânes de sapiens, néandertal et florès (source : http://wingmakers.exprimetoi.net)

2. migration d'homo sapiens (source :   www.u-picardie.fr)

3.  enfant néandertalien (source :   www.futura-sciences.com/)

4. l'homme (ou la femme) de Florès (source :      www.7sur7.be )

5. le champ de fouilles de Denisova (source :    www.planet-techno-science.com )

6. il y a 65 millions d'années, l'extinction de masse du crétacé (source :  membres.multimania.fr)

 

(Pour lire les légendes des illustrations, passer le pointeur de la souris dessus)

 

 


Mots-clés : homo sapiens - dernier ancêtre commun - homme de Néandertal - métissage génétique - homme de Florès - époque acheuléenne - homo erectus - homo abilis - nanisme insulaire - homme de Denisova - ADN mitochondrial - Stephen J. Gould - compétition interspécifique - sélection naturelle

   (les mots en gris renvoient à des sites d'informations complémentaires)

 

 

 

Sujets apparentés sur le blog :

 

1. Néandertal et Sapiens, une quête de la spiritualité

2. le dernier ancêtre commun

3. les extinctions de masse

4. le propre de l'Homme

5. East Side Story, la trop belle histoire

6. la bipédie, condition de l'intelligence ?

 

 

 

 Dernier sommaire général du blog : cliquer ICI

  

l'actualité du blog se trouve sur FACEBOOK

 

 Mise à jour : 6 mars 2023

Voir les commentaires

Publié le par cepheides
Publié dans : #Évolution, #paléontologie

 

 

baleine3

 

 

 

 

Au fil des millions d'années qui ont vu les espèces se transformer par sélection naturelle, certaines d'entre elles ont semblé faire demi-tour en revenant à un milieu qu'elles avaient abandonné longtemps auparavant. C'est, par exemple, le cas de la baleine qui, après avoir quitté, comme tous les mammifères, la mer pour la terre ferme, y est ensuite retournée : cela veut-il dire que la baleine d'aujourd'hui a ainsi retrouvé les caractéristiques de son lointain ancêtre ? Comment pourrait-on définir cette apparente régression ? Existe-t-il un « schéma » évolutif des espèces ? A-t-on le droit de dire que l'histoire du vivant peut se répéter, qu'elle peut réemprunter les étapes d'un passé qu'on croyait abandonné à jamais ?

 

 

 

Le pari de Darwin

 

Il y un siècle et demi, Darwin, par une observation minutieuse de la Nature, a posé les bases de la théorie de l'Évolution, jamais remise en cause depuis par les scientifiques, bien que souvent remaniée et réactualisée en fonction des connaissances nouvelles. Le naturaliste anglais ne connaissait pas la génétique - support de l'hérédité - mais il était convaincu que l'acquisition de nouveaux caractères et la perte des anciens était irréversible. C'était une conviction mais nullement une démonstration scientifique : après tout, pourquoi ne pas imaginer - même par hasard - qu'une espèce retrouve ses caractéristiques anciennes, archaïques, à la façon d'un film qu'on aurait repassé à l'envers ?

 

L’ADN est le support de l’hérédité : le code génétique qu’il contient – et ADN-3.jpgque nous avons déjà longuement évoqué (voir par exemple le sujet : le hasard au centre de la vie) – permet la transmission puis l’apparition des caractéristiques qui font appartenir un individu à une espèce donnée. Que ce code comporte une erreur de transcription et voilà le message génétique modifié : c’est cela qu’on appelle une mutation qui pourra être, selon les cas, favorable (pas très souvent), délétère (rarement) ou neutre (cas le plus fréquent). Ces mutations sont totalement indispensables à l’évolution adaptative des espèces mais on comprend que seules celles qui sont favorables seront conservées par la sélection naturelle puisqu’elles confèrent un avantage à leur porteur. Ce nouvel individu, favorisé par la mutation, développera une descendance plus robuste que les autres qui, au fil de quelques générations, en viendra à supplanter peu à peu la population d’origine. On comprend bien cette « avancée » dans le temps mais comment pourrait-il y avoir une « évolution à rebours » ?

 

Pour qu’une espèce voit réapparaître des caractéristiques de son passé, il est certainement nécessaire que : 1. les conditions de milieu aient à nouveau changé et surtout que : 2. l’ancienne formule du code génétique ait été conservée quelque part dans l’ADN transmis au fil du temps. Cela est-il oui ou non possible ? Ce n’est que récemment que la question a pu être tranchée.

 

 

 

L’irréversibilité de l’évolution

 

Des travaux sur l’inévitable mouche à vinaigre (drosophila melanogaster) ont, dans un premier temps, orienté les réflexions sur le problème. On sait que cette mouche est particulièrement intéressante pour drosophile-2.jpgla génétique (c’est d’ailleurs sur elle que les pionniers de la discipline comme Morgan dans les années 1930 ont le plus travaillé) car, à partir d’une souche d’origine dite « sauvage », il est possible d’observer une multitude de mutations qu’on pourra alors étudier en les sélectionnant : la drosophile se reproduit en effet facilement et surtout très vite ce qui permet à un observateur d’examiner des dizaines de générations en quelques semaines. La reproduction du vivant en accéléré en quelque sorte. Des scientifiques ont donc observé une colonie de drosophiles sur une cinquantaine de générations, en modifiant les conditions environnementales (nourriture, luminosité, température, etc.) de façon à faire apparaître un maximum de souches mutées. Chaque fois, ils ont noté les modifications permettant aux insectes de survivre. Dans un deuxième temps, ils ont replacé les mouches dans leur milieu d’origine, point de départ des premiers individus étudiés. Ils ont encore attendu une cinquantaine de générations et… observé que les mouches retrouvaient les caractéristiques de leurs ancêtres du point de départ : normal, me direz-vous, de voir réapparaître les caractères les mieux adaptés au milieu d’origine. Alors, retour en arrière ? Eh bien non ! Les caractères drosophile-mutee.jpgmorphologiques et adaptatifs ont bien reparu… mais avec un matériel génétique différent : les chromosomes des mouches portaient en effet de nombreuses variantes (des allèles) prouvant que l’évolution avait bel et bien continué d’avancer ; il s’agissait en l’occurrence d’une nouvelle adaptation à un milieu identique, donnant des réponses apparentes identiques… mais génétiquement différentes. Ici, l’évolution n’est donc pas revenue en arrière…

 

Aller plus loin dans l’analyse de ce mécanisme d’irréversibilité, c’est chercher à en expliquer les raisons « biologiques ». C’est précisément ce qu’a fait un généticien américain, Joseph Thornton, de l’université de l’Oregon, travaux dont la presse spécialisée s’est récemment faite l’écho. De quoi s’agit-il ? Pour ne pas entrer dans des détails techniques bien trop complexes, essayons de les résumer succinctement. On a dit que des mutations apparaissent au fil du temps et des générations d’individus. De ce fait, puisque les paléontologues savent quand se sont différenciées les différentes lignées animales, il est possible de dater l’apparition des mutations pour, par exemple, une protéine bien précise et de remonter dans le temps jusqu’à la protéine de départ. Thornton  a étudié une protéine spécifique intervenant dans le système endocrinien mais peu importe : appelons-la « protéine GR ». Il est parvenu à récréer la protéineproteine-prostaglandines-copie-1.jpg GR « archaïque », celle qui existait il y a plus de 400 millions d’années et, surtout, il l’a comparée à la protéine GR actuelle. Bilan : 37 mutations successives dont seulement 7 peuvent expliquer les différences entre les deux versions. A quoi ont bien pu servir les 30 mutations inopérantes ? s’est demandé Thornton. Il a donc enlevé les 7 mutations « actives » en pensant obtenir une protéine à nouveau archaïque : surprise, le produit obtenu était complètement inactif, incapable d’entraîner une quelconque action métabolique. La conclusion tombe sous le sens : les mutations « neutres », sans conséquences apparentes, sont en réalité quand même fort importantes puisqu’elles empêchent la protéine de retrouver ses caractéristiques d’origine… Mais pourquoi ?

 

L’explication est la suivante : les modifications neutres n’entraînent aucune action et, du coup, la sélection naturelle ne les enlève pas puisqu’elles n’avantagent, ni ne désavantagent la molécule qui en est porteuse. L’évolution ne les « voit » même pas. Oui mais elles existent, ces mutations neutres, et empêchent la molécule de retrouver sa forme d’origine… et donc ses fonctions. Pour qu’elle redevienne opérationnelle comme au départ, il faudrait que la protéine en question subisse à nouveau les mêmes mutations naturelles, dans le même ordre évolutif mais inversé : il s’agit là d’une éventualité dont, on le comprend aisément, la probabilité est voisine de zéro.

 

Ce qui est valable pour une protéine, l’est a fortiori pour un individu entier, bien plus complexe. On peut donc aujourd’hui affirmer que, non, décidément, l’évolution ne rebrousse pas chemin et que la transformation des êtres vivants – comme l’Histoire – ne repasse pas les plats. On savait depuis le siècle dernier que les nageoires de la baleine n’étaient pas les mêmes que celles de son ancêtre marin : on comprend à présent pourquoi.

 

 

 

Les moteurs de l’évolution

 

L’évolution va toujours de l’avant et ce qui est perdu l’est définitivement. J’ai écrit quelque part dans un autre sujet que 99% des espèces vivantes ayant un jour existé sur notre planète ont disparu pour toujours – après avoir souvent vécu bien plus longtemps que l’Homme ne le pourra jamais - et que l’évolution ne pourra plus les récréer (que l’Homme puisse le faire à partir de quelques brins d’ADN est une autre histoire hors de notre propos d’aujourd’hui). Les êtres vivants se transforment au fil du temps, en fonction des variations du milieu où ils se trouvent, selon des mécanismes complexes que l’on commence à décrypter et dont on sait que le hasard est le grand ordonnateur (ce qui est logique si c’est le milieu qui commande). Quatre moteurs principaux sont aujourd’hui retenus par les spécialistes :

 

les mutations dont on vient de parler et qui représentent la source de nouveauté véritable de l’évolution ;

 

la sélection naturelle qui permet de sauvegarder ou non tel ou tel caractère en fonction de ce qu’il peut apporter à un individu confronté à un milieu donné ;

 

les mécanismes de brassage, c’est à dire tout ce qui permet la diversification des espèces (reproduction sexuée, isolement géographique, grandes migrations, etc.) 

 

et la dérive, facteur moins connu (qu’on appelle aussi le hasard d’échantillonnage) : puisque les parents n’ont forcément qu’une descendance limitée, il ne peut exister qu’une très faible partie des combinaisons génétiques possibles (leur nombre potentiel est en effet immense et seules quelques rares d’entre elles voient le jour) et c’est le hasard - et lui seul - qui permet l’apparition de l’une ou l’autre.

 

     Au bout du compte, le grand mouvement de l’évolution des êtres vivants est donc conditionné par le hasard puisqu'une mutation sera ou non maintenue en fonction d’un milieu précis, d’un échantillonnage particulier, hasard.vaguesld’un brassage opérant ou non… C’est la raison pour laquelle j’insiste souvent sur le fait qu’on ne peut pas parler de progrès (les rats musqués sont-ils mieux adaptés, plus « évolués » que les velociraptors ? Tout dépend du temps et du lieu dont on parle). Il ne faut pas parler de progrès mais d’une évolution adaptative. Le « progrès » si cher à certains n’est qu’une vue de l’esprit qui relève peut-être de la philosophie mais certainement pas de la science : c’est d’ailleurs la raison pour laquelle Darwin avait ce mot en horreur. Et cela mettait en rage ses détracteurs qui, eux, positionnaient l’Homme en haut de l’échelle du vivant, l’Homme but ultime d’une évolution universelle qui n’aurait été créée que pour lui. Egocentrisme et vanité, quand vous nous tenez…

 

Dans son remarquable livre « la vie est belle », le paléontologue mondialement reconnu que fut Stephen Jay Gould écrivit quelques lignes que je ne peux m’empêcher, pour terminer ce sujet, de citer ici tant elles résument bien le sens de mon propos : « … Chaque fois que l’on redéroule le film, l’évolution prend une voie différente de celle que nous connaissons. Mais si les conséquences qui en découlent sont tout à fait différentes, cela ne veut pas dire que l’évolution est absurde et dépourvue de tout contenu signifiant : quand on redéroule le film, on s’aperçoit que chaque nouvelle voie empruntée est tout aussi interprétable, tout aussi explicable a posteriori que celle qui a été réellement suivie et que nous connaissons. Mais la diversité des itinéraires possibles montre à l’évidence que les résultats finaux ne peuvent être prédits au départ. Chacune des étapes a ses propres causes mais on ne peut dire quels états finaux seront réellement atteints ; et aucun de ceux-ci ne sera à nouveau obtenu lorsqu’on redéroulera le film, parce que chacune des nouvelles voies de l’évolution se réalise par l’enchaînement de milliers d’étapes imprévisibles. Changez faiblement les événements initiaux, si faiblement que cela peut paraître sur le moment n’avoir qu’une minime importance, et l’évolution se déroulera selon une direction toute différente. » Stephen J. Gould, in « la vie est belle, les surprises de l’évolution » Edition du Seuil, collection Sciences).

 

 

 

 

Images

 

1. baleines (sources : regional02.ca)

 

     2. l'ADN et sa double hélice (sources : nature-biodiversite.forumculture.net)

 

3. drosophiles dont l'importance en génétique n'est plus à démontrer (sources :www.pbase.com)

 

4. drosophile mutée : ici, l'individu a deux paires d'ailes mais ce pourrait-être une patte surnuméraire, des ailes vestigiales, l'absence des yeux, etc. (sources : www.inrp.fr)

 

5. représentation 3D d'une protéine (prostaglandine). Une mutation peut modifier la dimension spatiale d'une molécule ce qui la rend incapable de reconnaître secondairement un transmetteur métabolique (sources : www.astrosurf.com)

 

6. le hasard est partout et nulle part (sources : ossiane.blog.lemonde.fr)

(Pour lire les légendes des illustrations, passer le pointeur de la souris dessus)

 

 

 

 

 Mots-clés : baleine (évolution) - Charles Darwin - génétique - théorie de l'évolution - ADN - mutation - sélection naturelle - mouche drosophile - Joseph Thornton - hasard - brassage - dérive ou hasard d'échantillonnage - Stephen J. Gould

(les mots en gris renvoient à des sites d'informations complémentaires)

 

 

 

 

 Sujets apparentés sur le blog :

 

1. les mécanismes de l'Evolution

2. reproduction sexuée et sélection naturelle

3. le hasard au centre de la Vie

4. la notion d'espèce

 

 

 

 

Dernier sommaire général du blog : cliquer ICI

  

 

l'actualité du blog se trouve sur FACEBOOK

 

 

Mise à jour : 3 mars 2023

 

Voir les commentaires

Publié le par cepheides
Publié dans : #paléontologie

 
 

 pangee.jpg

la Pangée (supercontinent de l'époque permienne)

 

 
 

La vie de notre planète s’est étalée sur des centaines de millions d’années au cours desquels l’aspect de la croûte terrestre s’est profondément modifié au point qu’il serait impossible de reconnaître les contours actuels des continents dans ceux prévalant à des époques plus anciennes. Quand on sait l’aspect apparemment immuable des limites continentales actuelles qui ne varient que de quelques centimètres par an, on comprend que les millions d’années que nous évoquons représentent des durées de temps impossibles à concevoir réellement par le cerveau humain. C’est au cours de ces mêmes millions d’années que l’évolution des êtres vivants s’est faite et, là aussi, ces incroyables durées de temps expliquent comment les transformations successives des unes et des autres espèces ont abouti, à partir de quelques cellules rudimentaires, à la diversité actuelle.

 

Souvent lorsqu’on évoque le mot évolution, plus ou moins inconsciemment, on pense à une amélioration, à un « progrès » : il s’agit là d’une idée fausse ; grâce à la sélection naturelle, l’évolution permet seulement la transformation des espèces par une adaptation permanente à des conditions de milieu qui changent sans cesse, par hasard et sans but précis. La dérive des continents participe à ces transformations en modifiant géographiquement les niches géologiques. En modelant les paysages, elle permet – ou non – le développement et l’évolution des espèces vivantes. Longtemps ignorée, voire raillée par certains, cette notion fondamentale est la découverte d’un seul homme - on pourrait dire aussi d’un homme seul - : l’Allemand Wegener. Evoquons un peu sa vie avant d’aborder ses théories.

 

 

Alfred Wegener (1880-1930)

 

Fils d’un pasteur allemand, Alfred Wegener s’intéressa précocement à l’astronomie, une discipline qui lui permit de soutenir sa thèse. Toutefois, il wegener.gifse tourna assez rapidement vers une science nouvelle à cette époque : la météorologie. Désirant prospecter et expérimenter « sur le terrain », il s’obligea à suivre un entrainement physique intensif, notamment dans les sports nordiques (ski, patin à glaces, raquettes). En 1906, il battit d’ailleurs le record du monde de vol en ballon tandis qu’il participa la même année à une première expédition d’exploration et d’étude au Groenland qu’il retrouvera quelques années plus tard lors d’une seconde expédition (1912). A partir de 1908, il commença à donner des cours à l’université de Marbourg (où il a passé son doctorat), en Hesse, ce qui lui permit de réfléchir à la météorologie et aux conditions de son développement, encore balbutiant à l’époque. En 1915, il publia son livre sur la dérive des continents (qui lui vaudra, comme nous le verrons par la suite, de très nombreuses critiques de la part de la communauté scientifique). Il maintint néanmoins ses positions et accepta sa nomination en tant que professeur de météorologie à Graz (Autriche) en 1924 où il lui sembla être mieux accueilli. En 1930, il repartit pour une troisième expédition, toujours à caractère météorologique, mais celle-ci se termina mal : on récupéra son cadavre gelé dans son sac de couchage tandis que son compagnon d’infortune, Rasmus Willumsen, demeura introuvable. Wegener avait à peine cinquante ans et n’aura pas vu le triomphe de sa théorie…

 

 

L’hypothèse de Wegener

 

Pour asseoir sa théorie, Wegener affirmait qu’il avait « des preuves » indirectes très sérieuses mais on devrait plutôt dire qu’il s’agissait de déductions fondées sur l’observation. Le point de départ probable de sa réflexion a dû être (comme elle le fut pour beaucoup d’autres scientifiquesglobe_terrestre_jordglob_lumineux-copie-1.jpg qui ne s’aventurèrent pourtant pas plus loin) cette observation, cette constatation presque, qui frappe toute personne observant de près un globe terrestre (par exemple un de ceux que l’on offre aux enfants afin d’éclairer doucement leur table de travail tout en les habituant à la carte de la Terre) : on remarque effectivement un parallélisme troublant entre les côtes nord et sud-américaines et celles de l’Europe et de l’Afrique, comme s’il s’agissait de deux morceaux d’une même terre qui aurait été brisée en deux… Troublant, certes, mais insuffisant : il n’y a bien sûr pas que cela et les arguments de Wegener sont en fait au nombre de quatre.

 

 

a. la similitude du découpage des côtes entre continent américain et européen/africain

 

On vient de l’évoquer et il faut reconnaître que les cartes parlent d’elles-mêmes. Pour Wegener, il n’y a pas de doute : ces terres étaient jadis réunies ; il évoque un « supercontinent », la Pangée, qui sous l’effet d’une « force » qui reste à déterminer s’est scindée en ces différents blocs continentaux que l’on connait aujourd’hui.

 

 

  b. Les variations climatiques anciennes se retrouvent de part et d’autre

 

  Il s’agit essentiellement des glaciations passées. Jusqu’à Wegener, il existait des incohérences : on avait trouvé des traces de glaciations vieilles de 250 millions d’années dans des endroits se trouvant sous les tropiques et cela posait problème. En revanche, si les continents « bougent », qu’ils migrent tout au long du globe, on peut alors supposer que certaines régions actuellement en zone tropicale ont pu se trouver au niveau des pôles par le passé.

 Il existait aussi une autre bizarrerie : certaines des traces de l’écoulement de ces glaces anciennes se dirigent vers lintérieur des continents ce qui n’est pas logique ; toutefois, si ces terres se trouvaient jadis au pole, leur migration expliquerait alors le sens de ces écoulements glaciaires en périphérie de l’ancienne calotte polaire

 

 

c. L’observation de la faune fossilisée

 

Antérieurement et jusqu’à la jonction du paléozoïque (ou ère primaire) et du mésozoïque (ou ère secondaire) et plus précisément entre permien et cynognathus.jpgtrias, vers -250 millions d’années, une faune bien particulière a vécu, laissant enfouis dans les strates correspondantes de nombreux fossiles. On trouve ce type de fossiles (ainsi que des plantes de cette époque) de part et d’autre de l’océan tandis que – étrange hasard – les différentes lignées d’animaux commencent à diverger à partir de cette date pour se différencier ensuite fortement de part et d’autre de l’Atlantique : cela ne veut-il pas dire qu’il y a eu séparation de ces terres à partir de ce moment-là ?

 

 

d. Similitude des ensembles géologiques

 

Lorsqu’on compare les couches géologiques des continents situés en regard, de part et d’autre de l’océan atlantique, on retrouve les mêmes ensembles géologiques, les mêmes répartitions de roches, les mêmes couches sédimentaires. Plus encore, ce qui est vrai pour les côtes l’est aussi pour l’intérieur des terres ce qui argumente fortement en faveur de la Pangée, le supercontinent cher à Wegener.

 

Eh bien, allez-vous me dire, la cause semble relativement facile à défendre et la démonstration plutôt concluante ; du coup, on comprend mal que Wegener n’ait pas été suivi par la communauté scientifique internationale. Mais c’est qu’il existe un écueil de taille pour ses opposants : le scientifique allemand peine à expliquer comment un phénomène de dérive si considérable (rien de moins que l’ensemble des terres émergées de la planète !) a pu se produire : quelle force colossale, quel phénomène gigantesque pourrait-il être impliqué dans tout cela ? Au fond, disent les détracteurs de Wegener, cette théorie repose sur des observations en définitive assez grossières, des supputations, des spéculations, des hypothèses mais on n’y trouve guère de preuves tangibles et surtout pas d’explication crédible de l’origine du phénomène…

 

Wegener va donc s’acharner à trouver une interprétation logique mais la science de l’époque n’a pas encore les moyens de l’explication car on y ignore tout de la convection magmatique (dont on parlera un peu plus tard). Dès lors, il doit se rabattre sur des mécanismes plus ou moins vraisemblables : finalement, il impute cette dérive aux cycles lunaires et plus précisément à leurs marées. Les scientifiques qui étudient sa théorie – notamment le géophysicien britannique Harold Jeffreys, une des références de l’époque - n’ont aucun mal à réfuter son explication en démontrant qu’elle est physiquement impossible.

 

La mort de Wegener survenant tôt dans sa carrière scientifique fait oublier sa théorie et il faudra attendre presque 40 ans pour qu’elle refasse surface.

 

 

La tectonique des plaques

 

C’est Arthur Holmes, en 1945, qui avancera enfin une explication plausible à la dérive des continents : il parle pour la première fois de convection2.jpgmouvements de convection dans le manteau terrestre. Toutefois, il faudra attendre encore un peu pour emporter la conviction des différents acteurs : en 1962, l’officier de marine américain Harry Hess (explication par le « double tapis roulant »), puis un peu plus tard l’américain Morgan, le britannique McKenzie et le français Le Pichon permettent de finaliser ce que l’on appelle aujourd’hui la théorie synthétique de la tectonique des plaques.

 

Plusieurs modèles successifs ont été avancés dont le principe commun est assez voisin. Résumons en quelques lignes le modèle actuel (probablement assez proche de l’éventuel modèle définitif).

 

Les terres émergées sont évidemment solidaires de leur sous-sol immédiat et forment avec eux des plaques dites tectoniques qui fluctuent en fonction des mouvements du manteau terrestre, c’est-à dire de la couche intermédiaire entre la croûte terrestre et le noyau de la planète. Ces plaques vont donc interagir avec le manteau et on décrit trois types principaux de mouvements :

 

  * des divergences : on appelle ainsi le mouvement de plaques s’éloignant les unes des autres et c’est à leur point de contact que se trouvent les dorsales (sortes de rides ou de plis de la croute terrestre), lieux propices à de grandes éruptions volcaniques ;

 

      * des convergences : c’est le phénomène inverse, à savoir l’écrasement d’une plaque contre une autre (phénomène évidemment compensateur d’un élargissement des océans à un autre endroit du globe). On distingue alors des zones de subduction (une plaque « plonge » sous une autre comme, par exemple, la côte occidentale de l’Amérique du sud), des zones de collision (deux plaques se heurtent de plein fouet comme pour l’Himalaya) et des zones d’obduction mais il n’y a pas de zones de ce type actuellement actives.

 

              * et des transcurrences (ou coulissage) : ici, deux plaques glissent l’une contre l’autre.

 

  Bien entendu, à chaque type de contact correspondent des failles, c’est-à dire des zones de rupture, des lignes de fracture parfois immenses entre deux masses rocheuses. Une des plus célèbres est la faille de San Andreas, à la jonction des plaques du Pacifique et de l’Amérique qui a déjà provoqué des séismes dévastateurs en Californie (d’ailleurs, les habitants de Los Angeles et de San Francisco s’attendent en permanence au « tremblement de terre suprême », le Big Earthquake, dont on pense qu’il a plus de 99% de se produire dans les 30 ans à venir).

 

plaques-tectoniques-copie-1.jpg

La Terre n’est donc certainement pas statique ; bien au contraire, elle est le lieu de nombre de phénomènes majeurs qui bouleversent considérablement son écologie générale : je pense, par exemple, au récent tremblement de terre de Haïti – Haïti se trouve à la jonction des plaques tectoniques nord-américaine et caraïbe – qui fit tant de morts il y a quelques semaines. Or ce n’est pas le seul tremblement de terre (ou éruption volcanique) majeur survenu ces dernières années : on comprend donc les modifications considérables subies par la croûte terrestre durant tous ces millions d’années.  La connaissance du phénomène de la tectonique des plaques couplée aux moyens d’observation de la science moderne dans différentes disciplines nous permet à présent de reconstituer l’aspect de notre planète durant les ères géologiques précédentes.

 

 

Reconstitution du passé

 

Pour revenir à l’époque où la Terre ne recélait qu’un seul immense continent, la Pangée, il faut remonter à la fin du permien (qui est la dernière époque du paléozoïque ou ère primaire) : on se trouve alors vers - 250 millions d’années par rapport à aujourd’hui ; remarquons qu’il s’agit d’un temps très très ancien puisque, par exemple, l’Amérique et l’Afrique sont à cette époque encore soudées l’un à l’autre (or, nous l’avons déjà dit, les mouvements concernés ne représentent que quelques cm par an). Pourtant, il faut ramener cette durée de temps (250 millions d’années) à l’âge de la Terre qui est de 4,5 milliards d’années, soit environ 18 fois plus…

 

La Pangée est bien entendu le fruit de regroupements antérieurs de plusieurs masses continentales qui se sont rapprochées et éloignées durant les millions d’années précédents en une sorte de ballet incessant depuis le refroidissement de surface définitif de notre planète.

 

Nous sommes donc au permien et il existe un supercontinent, la Pangée, entouré d’un océan gigantesque, le Panthalassa (qui deviendra bien plus tard l’océan pacifique) et d’un autre océan à l’est, Thétys, formé danspangee-au-trisassique-tardif.jpg le creux de la Pangée elle-même puisque celle-ci forme une sorte d’énorme croissant. Bien que progressif et lent, ce mouvement de formation du supercontinent ne peut pas être sans conséquence sur la Vie : la longueur des bandes côtières va diminuer de façon importante or c’est à cet endroit que se concentrent beaucoup d’espèces marines ; inversement, le centre du supercontinent, loin des côtes, voit se développer d’immenses déserts plutôt hostiles. Troublante coïncidence : c’est à la fin du permien que survint une des plus terribles extinctions de masse : 90% de la vie marine et 70% des espèces terrestres furent anéanties (voir le sujet : extinctions de masse). Comme dans ces films policiers qu’on voit à la télévision, les coïncidences en sont rarement et, ici aussi, il y a gros à parier que la formation de la Pangée fut pour beaucoup dans l’évolution de la Vie sur Terre.

 

Cette Pangée va bientôt (?) se scinder à son tour : l’Amérique se sépare de l’Europe et de l’Afrique dans un grand mouvement qui entraîne les terres vers l’équateur et vers l’ouest. L’Australie (vers le Pacifique) et l’antarctique se détachent, suivis de Madagascar et de l’Inde qui effectue une remontée vers l’Asie à travers ce qui sera un jour l’océan indien. L’océan atlantique se forme puis s’élargit en raison de la migration plus rapide des plaques américaines. Peu à peu, les différentes migrations des continents finissent par former la configuration que nous connaissons aujourd’hui. Signalons le cas particulier de la mer Méditerranée qui, lors de la rencontre de l’Afrique et de l’Europe il y a 5 millions d’années, a été fermée ce qui a rendu le climat local extrêmement hostile avec un assèchement complet des eaux : une configuration anéantie quelques milliers d’années plus tard par l’ouverture du détroit de Gibraltar à partir duquel l’océan atlantique s’est à nouveau déversé sur ces terres arides… Ce n’était pas une évolution obligatoire et on peut se rendre compte de ce que l’éventualité de la non-ouverture du détroit de Gibraltar aurait coûté à nos civilisations humaines…

 

 

L’accélération du temps par l’Homme

 

En évoquant ces bouleversements de la configuration de notre bonne vieille Terre (en tout cas pour ce qui concerne sa surface), bouleversements qui, bien sûr, continuent (dans quelques millions d’années, par exemple, l’Afrique aura plongé sous l’Europe), j’ai souvent insisté sur les durées, immenses, qui ne sont guère à la portée du cerveau humain. Il est clair que, si par le moyen d’une machine à voyager dans le temps du type de celle de M. Wells, l’un d’entre nous se trouvait projeté dans une quelconque des époques que je viens d’évoquer (et qu’il puisse y survivre), il ne verrait évidemment aucun changement de son vivant : pour lui, les cartes terrestres qu’il dresserait seraient aussi

barrage des trois gorges (Chine)

immuables que les nôtres le sont pour le temps présent. Cette vérité persiste même à l’échelle de quelques milliers d’années… Pourtant, Homo sapiens  bouleverse la planète, non pas sur des milliers mais sur une ou deux centaines d’années ! Il déforeste, construit des barrages, des canaux, des villes immenses, multiplie inconsidérément sa population ce qui demande de plus en plus de surfaces cultivables, transforme les sous-sols pour toujours plus d’exploitation et de profit, pollue l’atmosphère, installe partout des machines et accumule les déchets. En quelques dizaines d’années. Où se situe le point de rupture ? A quel moment la Nature – qui n’est qu’indifférence – penchera-t-elle du mauvais côté ? Voilà d’angoissantes questions qu’il serait temps de prendre en compte, n’est-ce pas ?

 

 

 

 

Complément 1 : Fukushima

 

     La catastrophe japonaise de mars 2011 nous le rappelle : la Terre bouge sans cesse et, de temps à autre, la tectonique des plaques vient perturber dangereusement une situation que nous pensons bien établie. D'où la nécessité absolue de tenir compte des données que nous possédons (nous connaissons assez bien les lignes de fracture terrestres) . En conséquence, les constructions humaines doivent nécessairement être adaptées à cet état de fait. Peut-être, par exemple,  faut-il se résoudre à ne pas édifier de centrales nucléaires dans les pays à risques sismiques connus : les autorités de sûreté nucléaire avaient à plusieurs reprises alerté les autorités japonaises sur les risques encourus. Il n'en a apparemment pas été tenu compte...

 

 Complément 2 : l'Amasie

 

     La Pangée, supercontinent unique, occupait notre Terre il y a 250 millions d'années. Ce n'était pas le seul super continent à avoir été présent sur la planète : avant elle, il y avait eu Rodinia, et, encore avant, Nuna. Puis cette Pangée s'est fragmentée jusqu'à arriver à la géographie morcelée actuelle. Mais les mouvements tectoniques sont toujours à l'oeuvre. Dans un temps encore impossible à déterminer mais qui viendra inéluctablement, un nouveau supercontinent se formera qui regroupera les plaques américaine et eurasienne d'où son nom : l'Amasie. Cette fusion pourrait se produire par "introversion" (et donc à peu près au même endroit que l'ancienne Pangée) ou bien par "extroversion" ce que semblent démontrer les simulations informatiques. Dans cette dernière hypothèse, l'Amasie  serait alors formée à partir de la jonction des plaques américano-eurasiennes et la fermeture de l'océan Arctique, approximativement au niveau du pôle nord.

 

 

 

Photos

 

1.   La Pangée (sources : www.futura-sciences.com/)

2. Alfred Wegener (sources : www.iki.rssi.ru)

3. globe terrestre lumineux (sources : authentic-antiques.com)

4. cynognathus (sources : www.britannica.com)

5. shéma du phénomène de convection magmatique (sources : odyssespace.free.fr)

6. répartition des différentes plaques tectoniques (sources : apocalypse-quebec.com)

7. la Pangée au trias tardif (sources :  forum.rpg.net)

8. le barrage géant des trois gorges en Chine (sources : www.aujourdhuilachine.com)

 (Pour lire les légendes des illustrations, passer le pointeur de la souris dessus)

  

 

Mots-Clés : théorie de l'Evolution - sélection naturelle - Alfred Wegener - Pangée - convection magmatique - plaques tectoniques - zones de subduction - zones de collisions - transcurrences - faille de San Andreas - Panthalassa - Thétys

(les mots en gris renvoient à des sites d'informations complémentaires)

 

 

Articles connexes sur le blog

1. la paléontologie du futur

2. les mécanismes de l'évolution

3. les extinctions de masse

 

 

 Dernier sommaire général du blog : cliquer ICI

 

l'actualité du blog se trouve sur FACEBOOK

 

 

Mise à jour : 3 mars 2023

Voir les commentaires

Publié le par cepheides
Publié dans : #physique, #paléontologie

 

 

 

nuage protosolaire    système solaire
formation du système solaire

 

 

 

      Aujourd’hui, toute personne s’intéressant quelque peu à l’astronomie ou à la paléontologie sait que la Terre est âgée d’environ 4,5 milliards d’années et qu’elle est née approximativement en même temps que son étoile, le Soleil. Il n’en fut pas toujours ainsi : vers le milieu du XIXème siècle, deux écoles de pensée s’opposaient sur l’âge véritable de notre planète et les congrès scientifiques sur cette question donnaient alors lieu à des disputes parfois violentes, voire à quelques empoignades mémorables ; en effet, les physiciens avançaient l’âge maximal de 50 millions d’années tandis que les géologues parlaient plutôt en termes de centaines de millions d’années (ce qui était également l’opinion de Darwin qui pensait – à juste titre – qu’il fallait beaucoup de temps pour que les espèces évoluent et se transforment). Sans oublier tous ceux qui, appliquant à la lettre les enseignements des textes bibliques – et il y avait parmi eux quelque savants –, ne démordaient pas d’une création de la Terre remontant à environ six mille ans. Cette querelle – il s’agissait effectivement plus d’une polémique et même d’une dispute que d’une simple controverse – dura un demi-siècle ! Ce fut probablement le désaccord le plus long et un des plus virulents ayant jamais opposé des scientifiques de premier ordre et il ne me semble pas inintéressant de revenir sur les arguments des uns et des autres.

 

 

Le point de départ : Charles Lyell

 

     Né en 1797, Charles Lyell se destinait en fait à une carrière de droit mais il était passionné par la géologie qu’il avait toujours plus ou moinsCharlesLyell pratiquée. En 1828, Lyell voyage en Italie et dans le sud de la France : à cette occasion, il étudie diverses couches géologiques et leur trouve une unité en ce sens que ces différentes strates peuvent toutes être classées selon les fossiles d’animaux marins qu’elles renferment. Il en déduit une notion de continuité dans le temps, un temps qui ne peut être que nécessairement assez long. Deux ans plus tard, il commence à publier ses « principes de géologie », un véritable « pavé dans la mare » du catastrophisme qui prévalait à l’époque.

 

     En ce temps-là, en effet, à la suite de Cuvier (et d’autres grands noms), on pensait que la Terre s’était créée très rapidement (en quelques milliers d’années) à cause d’événements violents, catastrophiques (d’où le nom de la théorie) comme, par exemple, le Déluge. Cette approche avait par ailleurs le gros avantage de ne pas brusquer les esprits religieux de ceux qui accordaient à la Bible le statut de témoignage authentique du passé. Lyell comprend qu’il remet en question bien des idées reçues mais il a une certitude : pour obtenir les couches géologiques qu’il a étudiées, il faut du temps et non des événements brutaux. Il redonne alors toute leur place aux idées de James Hutton, un géologue qui, quelques années plus tôt, avait avancé que la Terre s’était formée graduellement et que les éléments qui avaient permis cette création étaient encore présents et actifs. Pour Hutton, la Terre était « infiniment » vieille et il avait appelé sa théorie « uniformitarisme » (ou actualisme), expliquant que les transformations observées des roches et des océans en un endroit précis s’étendaient forcément sur une le déluge par Géricaultdurée de temps obligatoirement fort longue (on ne connaissait pas encore la tectonique des plaques) mais, à l’époque, il ne fut guère écouté. Lyell défendit donc cette approche aux dépens du catastrophisme ambiant et cela devait avoir une grande importance dans la suite des événements.

 

     En effet, quelques années plus tard, Charles Darwin croit reconnaître dans diverses espèces vivantes (mais également disparues) des ressemblances qui ne peuvent s’expliquer que parce que ces espèces dérivent les unes des autres (voir le sujet : les mécanismes de l’évolution). Darwin avait lu avec attention les principes de géologie de Lyell et avait compris ce qu’ils impliquaient : la transformation – ou plutôt l’évolution – des espèces devenait crédible s’il lui était accordé un laps de temps suffisant ce que précisément le catastrophisme ne pouvait pas lui offrir. Après avoir longtemps hésité, Darwin publie « l’origine des espèces » en 1859, non sans insister sur tout ce qu’il doit à Lyell, et le livre entraînera les remous que l’on sait. Darwin, se basant sur une évaluation empirique de l’érosion de la croute terrestre, se risque à avancer pour l’âge de la Terre une date qui lui paraît compatible avec la théorie qu’il défend : 300 millions d’années. Mais devant la levée de boucliers des catastrophistes, dans la seconde édition de son livre, il renonce à donner un chiffre tout en continuant à proclamer que Lyell a forcément raison, ce dernier étant d’ailleurs en retour un des premiers scientifiques de renom à le soutenir.

 

 

La contestation : Lord Kelvin

 

     William Thomson – plus connu sous le nom de Lord Kelvin – était un très célèbre physicien puisqu’il avait – entre autres - donné son nom à une échelle de température absolue : le kelvin (la température de 0 K est égale à -273,15 °C et correspond au zéro absolu). Or, il était très dubitatif quant à la théorie de Darwin et, plus encore, sur les échelles de temps défendues par Lyell : il chercha donc à démontrer que tous ces gens-là se Lord-Kelvintrompaient… Il entreprit de s’appuyer sur les lois de la thermodynamique pour évaluer l’âge de la Terre et, d’emblée, une certitude s’imposa à lui : la Terre et le Soleil devaient être relativement jeunes sinon les deux astres ne seraient plus – et depuis longtemps- que des corps froids et inhabitables ; il était impossible, selon Kelvin, que les géologues aient raison car les chiffres qu’ils proposaient – des centaines de millions d’années – étaient bien trop élevés et, pour tout dire, fantaisistes.

 

     La réputation mondiale de Lord Kelvin était alors telle que les géologues ne purent que s’incliner. Quelques années plus tard, en 1862, Kelvin publia le résultat de ses travaux sur la diffusion de la chaleur dans l’espace qui concluaient à un âge maximal de la Terre ne pouvant en aucun cas dépasser 100 millions d’années. C’était bien peu pour les géologues qui se demandèrent alors s’ils n’avaient pas sous-estimé les caractéristiques physiques de l’érosion de la croûte terrestre et très dérangeant pour un homme comme Darwin qui trouvait que 100 millions d’années, c’était décidément très insuffisant pour expliquer le long cheminement de l’Evolution, mais bon… Seul, Thomas Huxley, ami proche du naturaliste et grand vulgarisateur de la théorie de l’Evolution, n’accepta jamais les conclusions du physicien, estimant que celui-ci devait forcément se tromper quelque part mais sans pouvoir dire où, ni de quelle manière… Il demeura toutefois bien seul sur sa position et les chiffres de Kelvin finirent par s’imposer au point que même Lyell retira ses propres estimations de la réédition de ses « principes de géologie ». Darwin quant à lui rectifia, certes à contrecœur, certains passages de ses livres afin de prendre en compte une vitesse d’évolution des espèces bien plus rapide qu’il ne l’avait primitivement estimée.

 

     En 1897, lord Kelvin publia de nouveaux travaux avec des calculs plus affinés qui concluaient à des chiffres encore plus petits : 20 à 40 millions d’années pour l’âge de la Terre ! C’était assurément un démenti définitif aux chiffres avancés par les tenants de l’authenticité biblique mais qui était loin de faire le bonheur des géologues et des Darwiniens. L’affaire en resta là jusqu’au début du siècle suivant et, la chose est assez rare pour être signalée, c’est à un physicien que l’on devra la levée de l’interdit jeté par un autre physicien…

 

 

La solution : Ernest Rutherford

 

     C’est en effet un physicien qui va apporter les éléments de résolution Rutherford_1908.jpgde cette querelle entre les géologues (et naturalistes) et les représentants de sa discipline… en donnant raison au camp opposé !  Cet homme providentiel est un Néo-zélandais travaillant en Angleterre et s’appelant Ernest Rutherford. Aujourd’hui, Rutherford est reconnu comme le père de la physique nucléaire mais à cette époque il n’en était encore qu’au commencement de sa prodigieuse carrière.

 

     Nous sommes au tout début du XXème siècle et le Français Pierre Curie travaille depuis quelque temps sur le radium ; il se rend compte que, compte tenu de la petite taille des échantillons observés, ce corps dégage une chaleur sans commune mesure avec ce à quoi on aurait pu s’attendre. Rutherford arrive à la même conclusion quelques mois plus tard. Or, on savait que la Terre était très riche en ce type d’éléments ; dès lors, une évidence s’impose : notre planète possède le moyen de conserver sa chaleur et, contrairement à ce que défend Lord Kelvin depuis des années, elle ne se refroidit pas ou, en tout cas, seulement extrêmement lentement. Rutherford est à présent convaincu que la Terre est capable de conserver sa chaleur durant des millions d’années grâce à la radioactivité naturelle et, bien sûr, cela change tout ! Cet extraordinaire dégagement de chaleur, explique Rutherford, a une explication parfaitement logique puisqu’elle est la conséquence de la désintégration naturelle de certains atomes comme le thorium sur lequel il a longtemps travaillé et, bien sûr, le radium. Au début, cette découverte choque chimistes et physiciens pour lesquels, jusqu’à ce jour, il ne pouvait être question de destruction de la matière mais les travaux de Rutherford sont sans appel et, bientôt, tous se rendent à l’évidence (Pierre Curie mettra deux ans). En 1903, âgé seulement de 32 ans, Rutherford entre dans le cercle fermé des découvreurs de génie et reçoit une prestigieuse récompense, la médaille Rumford, décernée par la Royal Society.

 

     C’est donc tout naturellement que, l’année suivante, il se rend à Londres terre-coupe 2pour participer à un congrès sur l’âge de la Terre… en présence de Lord Kelvin en personne. Il n’a aucun mal à expliquer pourquoi le vieux physicien s’est trompé : ce dernier a tablé sur une dissipation progressive de la chaleur originelle sans savoir qu’il en existait une importante source au centre de la Terre : les lois de la thermodynamique ne peuvent donc pas s’appliquer telles quelles. Les géologues (et les partisans de la théorie de l’Evolution) avaient donc eu raison sans le savoir !

 

     Lord Kelvin assista à la démonstration de Rutherford et aux débats qui s’ensuivirent mais jamais il n’accepta l’idée que la Terre pouvait être aussi âgée que le démontrait son jeune confrère car c’était admettre l’ouverture tant recherchée par les évolutionnistes, or, à cela, Lord Kelvin ne pouvait se résoudre tant il détestait l’idée même des travaux de Darwin. Quelques scientifiques continuèrent à soutenir sa position, plus par respect pour leur vieux maître que par conviction véritable, mais à sa mort, en 1907, on oublia définitivement ses calculs sur l’âge de la Terre. Les géologues avaient enfin trouvé l’explication de ces superpositions de strates qui les avaient tant intrigués et les Darwiniens le support scientifique nécessaire à la transformation des espèces dont ils avaient toujours été certains sans pouvoir le prouver.

 

 

L’âge de la Terre aujourd’hui

 

     Les recherches sur l’âge réel de la Terre se sont poursuivies au fil des années. En 2002, des études portant sur des corps radioactifs rares comme l’hafnium et le tungstène ont encore repoussé l’origine de notre globe de quelques dizaines de millions d’années : on pense à présent que la Terre (et d’autres planètes) s’est constituée plus tôt et plus rapidement qu’on le croyait, probablement dans les 30 à 40 millions d’années du début du système solaire ce qui la fait arriver à un âge total de 4,6 milliards d’années, Soleil et planètes s’étant formées au quasi même moment. L’explication la plus probable est celle de l’explosion à cette époque d’une supernova proche dont l’onde de choc serait en quelque sorte venue « fertiliser » le nuage de gaz qui se trouvait à l’emplacement de notre système solaire actuel pour donner naissance, par agrégation progressive, à notre étoile, une naine jaune à longue durée de vie, et à son cortège de planètes. C’était il y a 4,6 milliards d’années et, pourtant, notre planète est toujours chaude comme en témoignent notamment les volcans qui, de temps à autre, viennent réveiller les consciences humaines. C’était il y a suffisamment longtemps pour que la Vie ait pu apparaître sur Terre, se diversifier et donner naissance au monde que nous connaissons aujourd’hui.

 

 

 

 

Images

 

1. du nuage protosolaire  au système solaire (sources : lamaisondalzaz.com)

2. Charles Lyell (1797-1875) (sources : cosmology.tistory.com)

3. le Déluge, par Géricault (musée du Louvre) (sources : lettres.ac-rouen.fr)

4. Lord Kelvin (1824-1907) (sources :  www.universitystory.gla.ac.uk)

5. Ernest Rutherford (1871-1937) (sources :   commons.wikimedia.org/wiki)

6. coupe de la Terre (sources :  geothermie.tpe.free.fr)

 (Pour lire les légendes des illustrations, passer le pointeur de la souris dessus)

 

 

Mots-clés : Charles Lyell - catastrophisme - Georges Cuvier - James Hutton - uniformitarisme - tectonique des plaques - Charles Darwin - Lord Kelvin (William Thomson) - lois de la thermodynamique - Thomas Huxley - Ernest Rutherford - désintégration atomique 

(les mots en gris renvoient à des sites d'informations complémentaires)

 

 

Articles connexes sur le blog

1. les mécanismes de l'évolution

2. distances et durées des âges géologiques

3. le rythme de l'évolution des espèces

4. la dérive des continents ou tectonique des plaques

5. origine du système solaire

 

 

 Dernier sommaire général du blog : cliquer ICI

 

l'actualité du blog se trouve sur FACEBOOK

 

 Mise à jour : 3 mars 2023

Voir les commentaires

Publié le par cepheides
Publié dans : #Évolution, #paléontologie

 

  

        

 

 

 

          Dans son livre princeps « L'origine des espèces »,  Charles Darwin évoque le rythme de l’évolution, c’est-à dire la transformation graduelle des espèces au fil du temps. Pour lui, le rythme de cette transformation ne peut être que lent, certainement progressif mais de façon presque imperceptible et surtout constant sur des centaines de siècles. Un problème, néanmoins, le préoccupe : lorsqu’on fouille le sol à la recherche des fossiles correspondants, on trouve toujours des spécimens en apparence fixés, bien différents les uns des autres (et ce même pour des lignées qui sont manifestement issues d’une même origine), sans ces formes qui témoigneraient des subtiles et minuscules transformations prédites par la théorie : en réalité, tout se passe comme si l’évolution procédait de façon suffisamment rapide pour ne pas laisser de traces intermédiaires fossiles. Quand on l’interroge sur cette apparente contradiction, Darwin répond toujours de la même façon : « les chaînons manquants n’ont tout simplement pas encore été découverts… ». En 2009, pourtant, nous en sommes pratiquement toujours au même point et si quelques unes de ces formes dites intermédiaires ont été mises en évidence pour certaines espèces bien précises, cela ne représente qu’une infime partie de ce à quoi nous aurions dû nous attendre. Où sont donc ces fossiles censés démontrer les transformations progressives des espèces ? Le naturaliste anglais se serait-il trompé ? Comment explique-t-on l’évolution aujourd’hui ?

 

 

 

Pour expliquer l’évolution trois théories se différencient… et se complètent

 

 

* Le gradualisme, tout d’abord, est la théorie explicative issue de ce que l’on appelle le néodarwinisme ou théorie synthétique de l’évolution, c'est-à-dire l’adaptation au Darwinisme de la redécouverte de la génétique (voir le sujet les mécanismes de l’évolution). Suivant en cela Darwin lui-même, de nombreux auteurs s’en réclament, expliquant donc que l’évolution des espèces ne peut être que lentement progressive, la Nature – par l’intermédiaire de la sélection naturelle – ne modifiant les êtres vivants que par petites touches. Et ce n’est qu’après des centaines de siècles qu’on peut s’apercevoir de l’apparition de différences profondes entre les parents ancestraux et leurs lointains descendants.

 

Cette approche conceptuelle s’oppose au « catastrophisme » qui prévalait jusqu'à la révolution darwinienne, une théorie qui soutenait, à la suite notamment des textes religieux, que les espèces avaient été créées en une seule fois (sous-entendu par Dieu) et détruites, au moins pour certaines d’entre elles, de la même manière (par exemple à l’occasion d’un déluge, d’un formidable tremblement de terre ou d’une apocalypse). Précisons que le catastrophisme est le témoin d’une époque où l’on n’avait aucune notion des temps géologiques : on pensait alors que la Vie avait été créée en sept jours et, selon l’étude des textes sacrés, que la Terre n’avait pas 4,5 milliards d’années comme on le sait aujourd’hui mais seulement… 4004 ans.

 

De fait, prenant en compte l’immensité des âges géologiques (que représente pour l’esprit humain une durée de plusieurs milliards d’années alors qu’il a déjà tant de mal à intégrer ce que signifie deux ou trois milliers d’années ? A ce sujet, on trouvera quelques réflexions s’y rapportant dans l’article : distances et durées des âges géologiques), le gradualisme explique de façon convaincante que des fossiles datés de millions d’années peuvent être les ancêtres de formes actuelles d’êtres vivants. Reste néanmoins le problème déjà évoqué : pourquoi ne trouve-t-on presque exclusivement que des spécimens, certes apparentés, mais ayant les uns par rapport aux autres des différences morphologiques et adaptatives le plus souvent très marquées ? Pourquoi n’existe-t-il pas, si l’évolution est si progressive,  de fossiles seulement séparés par des différences mineures? 

 

 

* Les équilibres ponctués : en 1972, Stephen J. Gould et Nils Eldredge prennent à contre-pied la position officielle en remettant en cause le gradualisme ; pour ces deux auteurs, jugés immédiatement iconoclastes, si on ne trouve pas les chaînons manquants tellement recherchés, c’est tout bêtement parce qu’ils n’existent pas ! S’appuyant sur la faune de Burgess dont on a déjà parlé (voir le sujet le schiste de Burgess), Gould explique qu’il existe des espèces qui disparaissent par hasard, sans raison apparente, alors qu’elles sont aussi bien armées pour survivre que les autres : elles sont alors probablement victimes de mauvais concours de circonstances (géographiques ou événementiels par exemple) qu’il est bien difficile de reconstituer par la suite. Il s’agit là d’une sorte de « catastrophisme biologique ».

 

 De la même façon, si toutes les espèces évoluent, selon Gould, cette évolution ne serait pas progressive mais par à-coups : il existerait de longues phases dites de stagnation durant lesquelles rien ne se passerait puis, soudainement, l’apparition d’une période de transformation très rapide (moins de 100 000 ans à comparer aux millions d’années sans réels changements). L’évolution, en somme, procéderait de façon saccadée, intermittente, et conduirait en peu de temps à ce que l’on appelle des spéciations, c’est-à dire des transformations intraspécifiques si importantes que les animaux en résultant ne pourraient plus s’apparier avec leurs ancêtres immédiats d’où l’apparition de nouvelles espèces.

 

 

* Cas particulier du saltationnisme : il s’agit en fait d’une théorie encore plus radicale que celles des équilibres ponctués que l’on vient d’évoquer et avec laquelle on la confond volontiers. Pour son créateur (un généticien
spéciation allopatrique
autrichien des années 40), l’acquisition d’un caractère nouveau peut se produire sur quelques dizaines d’années, en l’espace de quelques générations tout au plus. Comment cela serait-il donc possible ? Par l’apparition de mutations soudaines et imprévisibles… Bien des scientifiques pensent que des mutations surviennent assez fréquemment chez les êtres vivants mais que, pour l’immense majorité d’entre elles, elles n’entraînent aucune conséquence (on dit alors qu’elles sont neutres) tandis que d’autres – très désavantageuses pour le sujet – sont dites délétères en ce sens que l’individu qui en est porteur n’est pas viable. Restent quelques mutations favorables… et transmissibles susceptibles d’engendrer une nouvelle lignée, différente de celle du départ : une nouvelle espèce est alors apparue.

 

Inutile de préciser que, lorsqu’ils entendirent pour la première fois évoquer cette théorie, les gradualistes sourirent (pour ne pas dire qu’ils se moquèrent férocement, ce qu’ils firent aussi avec le ponctualisme de Gould). Depuis, de l’eau a coulé sous les ponts… et des découvertes biologiques majeures sont venues à la rescousse du saltationnisme.

 

En effet, pour qu’une mutation brutale soit suffisamment importante, il faut qu’elle porte sur un élément de base de l’individu : justement, on a depuis quelques années mis en évidence des gènes du développement (comme les gènes homéotiques ou gènes hox qui sont responsables de la mise en place des organes mais il y en d’autres) qui interviennent dans  l’organisation de tout un segment du futur individu ; se pourrait-il alors qu’une mutation portant sur ce type de gène organisateur fondamental puisse entraîner l’apparition soudaine d’individus complètement différents ?

 

Il est en fait probable que tout le monde a tort et a raison en même temps : on pense aujourd’hui qu’une grande partie de l’évolution des espèces se fait de façon progressive au long des millénaires par de petites touches successives,  un peu à la manière d’un peintre pointilliste à son chevalet. Mais il a bien fallu – pour reprendre cette comparaison – que l’artiste jette à un moment ou à un autre les grandes lignes de ce qu’il peint : c’est ici qu’intervient la théorie des équilibres ponctués, et peut-être aussi le saltationnisme et, au fond, pourquoi pas ? 

 

 

 

Un rythme évolutif variable selon les espèces

 

Cette transformation des espèces au fil du temps est différente selon celles que l’on étudie ; pour le comprendre, prenons deux exemples extrêmes :

 

* le cœlacanthe : il s’agit d’un poisson très « archaïque », dernier représentant des crossoptérygiens, au point qu’il fut lors de sa découverte baptisé « véritable fossile vivant ». Étant apparu au dévonien, période du milieu de l’ère primaire (ou paléozoïque), tous les scientifiques pensaient qu’il avait disparu avec les dinosaures, au crétacé, à la fin de l’ère secondaire (ou mésozoïque). Imaginez la surprise de la scientifique qui en trouva un exemplaire vivant (enfin, mort depuis peu) en 1938 ! On en trouva un autre en 1955, puis plus récemment une colonie entière en 1998, du côté des Comores… Par comparaison avec les nombreux fossiles de cœlacanthes que l’on possède, on a pu se rendre compte que les différences entre ceux-ci et les exemplaires actuels étaient somme toute minimes : cet extraordinaire poisson que l’on croyait disparu depuis 65 millions d’années avait très peu évolué et si différences il y a, elles restent faibles. Un parfait représentant pour les gradualistes ;

 

* le VIH (virus du SIDA) : bien que certains scientifiques se demandent si les virus sont bien des êtres vivants, on peut leur accorder, me semble-t-il, ce statut puisque qu’ils se reproduisent avec un matériel génétique qui est bien le leur même s’ils ont besoin d’une cellule-hôte pour se répliquer. Or les virus mutent rapidement : on sait, par exemple, que le virus de la grippe n’est pas tout à fait le même d’une année sur l’autre au point qu’il faut chaque fois recommencer une vaccination préventive… Le virus du SIDA est, de ce point de vue, une sorte de champion toutes catégories puisqu’il mute sans cesse, parfois au sein d’un même malade. C’est tellement vrai qu’encore aujourd’hui on est bien incapable de réaliser un vaccin susceptible d’empêcher sa prolifération. Alors, des mutations si rapides ne rappellent-elles pas le saltationnisme mentionné plus haut ?

 

D’une espèce  à l’autre, comme on vient de le voir avec ces deux exemples, le rythme de l’évolution est variable. Pour l’Homme, il est clair qu’il se situe loin de ces deux extrêmes. S’il est certain qu’il n’existe aucune différence (sauf d’ordre culturel évidemment) entre un homme du 21ème siècle et un Romain du règne d’Auguste, d’éventuelles différences sont probablement moins importantes qu’on ne le croit avec des ancêtres plus lointains comme ceux qui vivaient à l’aurignacien, une époque préhistorique d’il y a environ 35 000 ans. Il faut remonter à des centaines de milliers d’années pour voir des différences significatives entre les hominidés de cette époque et les hommes d’aujourd’hui.

 

 

 

Facteurs intervenant dans le rythme de l’évolution

 

Ils sont vraisemblablement nombreux et la plupart d’entre eux restent mal cernés. Ce que l’on peut dire est que la Vie, quelle qu’elle soit, est une constante adaptation à un environnement forcément changeant. D’ailleurs, certains auteurs ont expliqué qu’une trop grande stabilité conduisait inexorablement à la régression et à la mort. C’est sans doute vrai mais une trop grande fluctuation des éléments environnementaux conduit aussi à un résultat identique et, aujourd’hui même, il est difficile d’apprécier les conséquences sur la faune et la flore terrestres d’un éventuel (et rapide) réchauffement climatique : de nombreuses espèces, stables depuis des centaines de milliers d’années, n’y survivraient probablement pas ! On pourrait donc résumer cela de la manière suivante : de la stabilité, certes, mais pas trop…

 

Quels sont donc ces facteurs qui influent sur le rythme de l’évolution ? Très certainement tous les événements « imprévisibles » et rapides : les modifications de l’environnement, que ce soit un

Chixculub
l'impact de la météorite détruisit les grands sauriens

réchauffement climatique et ses conséquences physiques (montée des océans, déplacement des zones désertiques, des forêts, etc.) ou une glaciation qui entraîne des effets inverses. Ailleurs, ce sera une catastrophe naturelle comme les grandes éruptions volcaniques du passé ou bien la météorite qui, il y 65 millions d’années, provoqua la disparition des grands sauriens en percutant la péninsule du Yucatan. A chaque fois que se produit ainsi une aggravation du stress environnemental et que les conditions changent notablement, cela entraîne inévitablement une augmentation de la pression de sélection et des espèces entières sont menacées ou détruites… tandis que d’autres, jusque là presque invisibles, profitent de la niche écologique qui se libère pour se développer à leur tour. Il a existé ainsi par le passé de grandes extinctions d’espèces, dites « de masse » (voir le sujet les extinctions de masse) et, chaque fois, celles-ci ont été suivies par une explosion de nouvelles espèces ou la transformation rapide d’espèces existantes ce qui, on l’a dit, est la même chose. Voilà qui va dans les sens des théories évolutives comme les équilibres ponctués chers à Gould.

 

Mais il n’en reste pas moins que l’aspect physique de la Terre change peu au cours du temps (du moins jusqu’à l’apparition de l’Homme) et, pourtant, les espèces vivantes se transforment petit à petit : voilà qui va dans le sens du gradualisme des néodarwiniens.

 

 

La Nature est aveugle : à la façon de ces petits mammifères qui cherchent leur chemin en creusant la Terre, bifurquant à chaque fois qu’un obstacle se présente mais toujours prompts à choisir la voie la plus économique, elle permet l’évolution de toutes les espèces vivantes, faune et flore réunies, comme en témoignent les traces plus ou moins bien fossilisées que l’on retrouve en creusant le sol de notre planète. La plupart de ces espèces viennent d’un passé si lointain que l’esprit humain peine à en saisir l’immensité. D’ailleurs, quatre-vingt dix neuf pour cent des espèces ayant un jour colonisé la Terre ont aujourd’hui disparu. Les survivantes s’adaptent sans cesse grâce à la sélection naturelle qui privilégie les plus performantes mais peut-être aussi grâce au hasard le plus pur (voir le sujet : le hasard au centre de la Vie). Il est encore difficile aujourd’hui de dire selon quelles proportions se distribuent l’évolution lente et graduelle et l’évolution ponctuelle par à-coups mais une chose est certaine, cette évolution existe et c’est elle qui permet de décrypter le monde tel qu’on le connaît aujourd’hui et de nous permettre ainsi de le comprendre et de le respecter.

 

 

Images

 

1. cœlacanthe (sources :  forumfr.com  )

2. catastrophisme : l'apocalypse (sources : merryswankster.com/)

3. les schistes de Burgess, Canada britannique (sources  : flickr.com/photos/))

4. un type de spéciation (sources :  www.colvir.net)

5. autre cœlacanthe (sources :  www.plongeur.com/)

6. la fin des grands sauriens (sources : newsoftomorrow.org )

 (Pour lire les légendes des illustrations, passer le pointeur de la souris dessus)

 

 

 

Mots-clés : Charles Darwin - gradualisme - néodarwinisme - théorie synthétique de l'évolution - sélection naturelle - catastrophisme - théorie des équilibres ponctués - Stephen J. Gould - Nils Eldredge - schistes de Burgess - spéciation - mutation - gènes du développement - saltationnisme - cœlacanthe - VIH - stress environnemental - pression de sélection - extinctions de masse - hasard biologique

(les mots en gris renvoient à des sites d'informations complémentaires)

 

 

 

Sujets apparentés sur le blog :

 

1. les extinctions de masse

2. les mécanismes de l'Evolution

3. distances et durées des âges géologiques

4. le hasard au centre de la Vie

5. la querelle sur l'âge de la Terre

6. la dérive des continents ou tectonique des plaques

7. l'Evolution est-elle irréversible ?

 

 

 

 

Dernier sommaire général du blog : cliquer ICI

 

 

 L'actualité du blog se trouve sur FACEBOOK

 

Mise à jour : 4 mars 2023

Voir les commentaires

Publié le par cepheides
Publié dans : #paléontologie

 

 

              

 

   

 

     La paléontologie est, on le sait, l’étude du passé de notre planète, un passé qui remonte à environ 4,5 milliards d’années. Elle s’appuie évidemment sur l’étude des fossiles et c’est ce que l’on appelle alors la paléontologie systématique, c'est-à-dire la recherche par études comparatives des liens de parenté existant entre les espèces vivantes et disparues. Il existe aussi une autre approche paléontologique, dite fondamentale, qui s’intéresse quant à elle à l’évolution générale au cours des temps géologiques. Quoi qu’il en soit, la paléontologie est une science – j’allais dire une démarche scientifique – essentielle car connaître son passé est primordial puisque permettant de se situer dans le cours du temps, de se repérer dans l’histoire de la planète à laquelle nous appartenons.

 
     Le temps, néanmoins, s’écoule de manière inexorable et il paraît intéressant de se demander ce que nos lointains descendants, mettons dans 100 000 ans, comprendront de ce qui est notre présent qu’ils étudieront à l’aide de leur paléontologie de ce temps-là. Or il est important de bien saisir que nous ne leur léguerons pas seulement un monde statique, plus ou moins interprétable, mais également nombre de modifications de notre milieu et de dangers potentiels : notre époque moderne est en effet différente des précédentes car l’Homme d’aujourd’hui est le premier être vivant à avoir sensiblement et durablement transformé son habitat.

 
     Nul ne peut vraiment prévoir ce que sera l’avenir à moyen et long terme. Qu’adviendra-t-il des civilisations actuelles ? Jusqu’à quel point celles-ci vont-elles vraiment se transformer ? Subsisteront-elles seulement ? Quel héritage laisserons-nous ?

 
     On parle beaucoup du réchauffement de la planète, de l’épuisement des énergies fossiles, de la conquête de l’espace, etc. mais, sans aller aussi loin, pour évoquer les problèmes qui se poseront à la paléontologie des temps futurs, prenons un exemple, celui de la gestion du stockage de nos déchets nucléaires et donc de l’information qui va avec.

 

 

 


le problème de l’énergie nucléaire

 

 
     Comme le prouve, en ces temps de réchauffement climatique, le nombre de plus en plus important de centrales en construction de par le monde, la fission nucléaire est, qu’on le veuille ou non, une des principales sources d’énergie de l’avenir (même après le raz-de-marée japonais). Il ne s’agit donc pas dans ce propos de légitimer ou non cette démarche mais d’aborder le problème difficile du stockage des déchets radioactifs qui seront à l’avenir de plus en plus abondants. La difficulté principale du problème est la demi-vie de ces substances frisant parfois le million d’années… La mémoire même entretenue par les institutions est comparativement brève, très brève : environ 500 ans selon les études les plus récentes. Dès lors, comment prévenir les générations à venir de l’endroit de ces lieux de stockage puisque l’on sait combien cette mémoire, fut-elle collective, est terriblement oublieuse ?

 
     De très nombreux scientifiques planchent sur cette question qui est emblématique de notre volonté (?) de transmettre de la façon la plus élégante possible nos problèmes d’aujourd’hui aux générations à venir. Depuis 1999, les Américains ont, par exemple, développé un projet de ce genre, le WIPP.

 

 

 


l’exemple du WIPP

 


     WIPP veut dire Waste Isolation Pilot Plant, c'est-à-dire un programme d’enfouissement des déchets toxiques qui s’accumulent depuis la fabrication de la première bombe atomique en 1942. C’est dans une ancienne mine de sel de l’état américain du Nouveau-Mexique, vers 800 mètres de profondeur, dans des strates remontant au Permien, qu’on a décidé de stocker tout un fatras d’objets hétéroclites fortement contaminés comme les machines, les combinaisons de techniciens, les outils, les fûts et récipients, les combustibles irradiés, etc. provenant de cette époque (le projet Manhattan) et de celles qui suivirent. Les radiations émises par ces objets sont évidemment mortelles pour ceux qui les côtoient d’un peu trop près… et le resteront durant des dizaines de milliers d’années. D’où l’idée d’entreposer ces matières dangereuses dans un site loin de toute vie humaine, une entreprise qui, selon les spécialistes, pourrait durer jusqu’en 2040, date où l’on procédera au rebouchage définitif du site qui sera alors protégé du monde extérieur par sa matrice de sel.

 

     Précisons qu’il s’agit là d’une opération exemplaire mais que toutes les puissances nucléaires du globe sont confrontées aux mêmes incertitudes. Car il existe une difficulté et de taille : comment prévenir les habitants du futur ?

 

 

 

 

prévenir le futur

 


     En comptant large, notre civilisation n’a pas encore atteint les dix mille ans. Pourtant que reste-t-il comme témoignages des premiers temps de notre époque actuelle ? Stonehenge dont on se perd encore en conjectures sur l’exacte signification ? Les pyramides d’Egypte si longtemps incomprises ? La grande muraille de Chine ? Quoi d’autre ? Imaginons à présent ce qui restera de nous dans 10 000 ans, dans 100 000 ans… Certains rétorqueront que notre monde a pris son essor avec la révolution industrielle et que rien ne pouvant plus l’arrêter, la transmission de la connaissance sera facile. Personnellement, j’en doute fortement. D’abord, il n’est pas dit que notre civilisation ne s’éteindra pas d’elle-même assez prochainement au cours d’une guerre apocalyptique voire d’une pandémie initiée par la folie des hommes. Et quand bien même ? Sait-on les guerres, les révolutions, les destructions, les cataclysmes plus ou moins provoqués qui risquent de se produire à plus ou moins court terme ? Or rappelons-nous, nous parlons là d’événements susceptibles de se produire dans les siècles à venir (je suis optimiste) alors que nous cherchons à prévenir des dangers physiques s’étendant sur des centaines de milliers d’années. Problème.

 

 

 

  
la réponse du WIPP

 


     Comment protéger le site ? La première option étudiée par les scientifiques américains fut… de ne rien faire du tout. Ils suggérèrent d’abandonner le lieu en l’état, la Nature se chargeant de faire oublier le projet qui, dès lors, demeurerait hors de portée des curiosités de surface puisque devenu invisible. Invisible vraiment ? Peut-être pas pour les scientifiques de l’avenir dont les outils vraisemblablement performants risqueraient de trouver une quelconque anomalie les poussant à explorer… sans aucune mise en garde. Exit cette première option.

 
     En définitive, on décida au contraire de tout faire pour que les visiteurs du futur comprennent que s’élève à cet endroit un édifice humain. Il fut donc décidé d’entreprendre la construction d’un vaste tumulus artificiel incrusté d’aimants et de 128 réflecteurs radars, le tout destiné à créer une anomalie magnétique facilement discernable. S’y ajoutent (ou s’y ajouteront) d’immenses piliers en granit (près d’une cinquantaine) de plusieurs dizaines de tonnes sur lesquels seront gravés des pictogrammes facilement compréhensibles comme, par exemple, des visages humains apeurés ou visiblement malades, tandis que des disques d’argile et d’aluminium seront enfouis au hasard dans toute la surface du site, disques reprenant les mêmes avertissements. On ajoutera sur chaque pilier des messages dans les six langues officielles des Nations-Unies (anglais, français, russe, espagnol, arabe et chinois) qui reprendront avec plus de détails les mêmes explications. Mais ce n’est pas tout : trois salles semblables mentionneront les risques de mort (deux enfouies, une à ciel ouvert) de façon à être à l’abri des ravages du temps et des éventuels profanateurs. Bref, on a vu les choses en grand. Cela suffira-t-il ? Durant quelques siècles, probablement, mais après ?

 

 

 


d’autres solutions ?

 


     Quelle pourrait être une solution susceptible de durer pendant des millénaires ? Les idées sont nombreuses mais encore faut-il qu’elles soient réalisables. Le WIPP a donc organisé une sorte de bourse aux idées sur la question et les réponses furent multiples, certaines d’entre elles assez originales. C’est ainsi qu’on a proposé – entre autres – de construire à la surface du lieu de stockage une sorte de volcan artificiel en activité constante ou une forêt de geysers. Ailleurs, on a suggéré la construction d’une gigantesque éolienne de pierre produisant un son désagréable susceptible de décourager et d’éloigner d’éventuels promeneurs ou bien encore une grande surface de pavés noirs rendant la chaleur insupportable en plein désert. Avant de choisir la solution évoquée plus haut, l’idée qui avait le vent en poupe était la plantation sur le site de yuccas génétiquement modifiés, arborant un bleu vif, de façon à suggérer des risques de mutation. Comme on peut le voir, les idées ne manquèrent pas mais elles se heurtent toujours au même problème : comment informer de la façon la plus précise possible de manière pérenne ? Comment faire comprendre qu’il y a danger à creuser sans que les habitants du futur ne pensent, au contraire, que tout ceci ne cherche qu’à dissimuler un fabuleux trésor ?

 

 

 

 
la réponse des Français

 


     L’Agence Nationale pour la gestion des Déchets RAdioactifs (ANDRA) et l’Agence pour l’Energie Nucléaire (de l’OCDE) se sont évidemment penchées sur le problème. Mais ici, pas de désert mais des communes françaises (ou européennes), donc une région tempérée. Les réflexions s’orientèrent plutôt vers l’intégration d’un éventuel bâtiment dans le tissu social des populations afin que celles-ci se l’approprient et en assurent l’entretien au cours des siècles. Il s’agirait d’un monument remarquable abritant, par exemple, des documents en papier imputrescible (les supports numériques actuels seront rapidement obsolètes… et donc également leurs outils de lecture), documents sur lesquels seront portés des informations, non pas trop alarmistes risquant d’éveiller la curiosité, mais réelles et sans exagération (Je suppose qu’on a ici voulu tenir compte de l’absence complète d’efficacité des messages cherchant à inspirer la terreur comme ceux que les anciens Egyptiens firent figurer à l’entrée des tombes de la vallée des Rois avec le succès que l’on sait). Une information objective, donc, mais sous quelle forme et dans quelle langue ? Car quel passant de 2013 comprend encore le latin ancien, voire même le français de François Villon ? Il s’agit donc ici, à l’évidence, d’une solution ne pouvant agir que sur les quelques siècles à venir…

 

 

 

 

 

existe-t-il une solution permanente ?

 


     Rien n’est éternel en ce bas monde. Plus on s’éloigne de notre époque actuelle, plus les prévisions risquent d’être prises en défaut, parfois même sur de courtes périodes : je relisais récemment quelques livres de science-fiction des années cinquante ; on y évoquait, pour l’an 2000, la conquête du système solaire par des sociétés incroyablement civilisées dominées par la Science où des populations remarquablement informées par une éducation collective parfaite cheminaient vers le bonheur absolu ! Mais jamais – et pour cause ! – la moindre allusion à un ordinateur or, aujourd’hui, comment imaginer notre monde sans l’informatique ?


     Comprendre sans trop se tromper le monde du futur me semble assez impossible. Pourtant, ce monde là, nous devons bien l’informer des scories que nous lui transmettrons. Les civilisations sont en définitive assez égoïstes. Lorsque l’industrie nucléaire aura été oubliée suite à l’épuisement des combustibles naturels (à moins que la conquête spatiale ?), comment sera alors perçu le stockage de ses déchets ? C’est une question ennuyeuse et, pourtant, ce problème, pour exemplaire qu’il soit, n’est certainement pas le seul danger que nous laisserons derrière nous et probablement pas le pire. Si, dans cent mille ans, il existe encore sur Terre une civilisation, elle sera bien différente de la nôtre. Que pouvons-nous pour elle ? Comment faire pour éviter de faire courir de graves dangers aux gens de ce temps-là ? Comment donner les moyens de nous comprendre à ces paléontologues du futur ? C’est cela l’enjeu de nos réflexions d’aujourd’hui.
 

 

 


Sources : Wikipedia France ; Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (http://www.andra.fr/) ; Agence pour l’énergie nucléaire de l’OCDE (http://www.nea.fr/); WIPP (http://www.wipp.energy.gov/); Science & Vie, novembre 2008, n° 1094 ;

 

 


Images :

 

 1. centrale nucléaire : tours de refroidissement (sources : www.mathcurve.com)

 2. vue en surface du WIPP (sources : www.cemrc.org)

 3. salle de stockage du WIPP (sources : www-project.slac.stanford.edu)

 4. les civilisations sont-elles mortelles ? (sources : http://www.um.warszawa.pl)

  5. fresque d'une tombe de la vallée des Rois à Louxor (sources : www.studentsoftheworld.info)

 

(Pour lire les légendes des illustrations, passer le pointeur de la souris dessus)

 

 

 

 
Mots-clés : énergie nucléaire, déchets radioactifs, Waste Isolation Pilot Plant (WIPP), agence pour la gestion des déchets radioactifs (ANDRA), Agence pour l’énergie nucléaire (AEN-OCDE)

 (les mots en gris renvoient à des sites d'informations complémentaires)

 

 

 

 

Dernier sommaire général du blog : cliquer ICI

  

l'actualité du blog se trouve sur FACEBOOK

 

Mise à jour : 25 février 2023

Voir les commentaires

Publié le par cepheides
Publié dans : #paléontologie

 

 

           

 

 

 

     La Science, on l’a déjà mentionné, avance généralement à petits pas. Cette progression est faite d’erreurs, de tâtonnements, de remises en cause, parfois même de retours en arrière. La grande majorité des scientifiques qui participent à cette marche en avant vers la compréhension du monde qui nous entoure sont honnêtes et lorsque l’un d’entre eux se trompe, c’est souvent de bonne foi. Il existe cependant – et comme partout – des brebis galeuses, qui par appât du gain ou plus souvent encore par recherche de gloire, trichent ou plagient. La communauté scientifique, tôt ou tard, finit par les confondre et il ne reste alors plus qu’à déplorer le temps perdu à arpenter ces impasses. Certains de ces égarements coupables sont restés célèbres : je pense notamment aux travaux du généticien soviétique Lyssenko dont il m’amusera peut-être un jour de rapporter ici les théories fantaisistes (c'est fait ! Voir le sujet : l'affaire Lyssenko).

 
     Aujourd’hui, je voudrais revenir sur une autre affaire d’envergure qui défraya en son temps la chronique scientifique et plus particulièrement la paléontologie : la découverte en 1912, en Angleterre, de l’homme de Piltdown.

 

 

 

 
Le contexte

 


     Depuis toujours, les paléoanthropologues recherchent ce qu’ils appellent « le chaînon manquant » entre les préhumains et l’homme moderne (voir le sujet le dernier ancêtre commun). A la suite de la parution de « l’origine des espèces » de Darwin, plusieurs publications avaient proposé des arbres généalogiques de l’Homme et toutes acceptaient l’idée qu’il existait quelque part, non encore découvert, le fossile d’un être intermédiaire entre les grands singes et l’homme d’aujourd’hui, le fameux chaînon manquant.

 
     En ce tout début du XXème siècle, on dispose finalement d’assez peu d’éléments sur la lignée ayant pu conduire à homo sapiens : l’homme de Neandertal avait été découvert en 1856 et un hominidé plus ancien, le pithécanthrope (homo erectus) en 1887 à Sumatra. Entre les deux, rien ou à peu près. Neandertal, par « son aspect repoussant et archaïque » (aux yeux des savants de l’époque) ne pouvait être candidat comme ancêtre direct de l’homme moderne (c’est en fait un cousin) et homo erectus était trop ancien, archaïque lui-aussi.

 
    Ajoutons à cela que, sur fond de chauvinisme national, les britanniques étaient plutôt désolés que la découverte de Neandertal ait eu lieu sur le continent (Allemagne et France principalement) : il n’en fallait pas plus pour qu’ils s’emballent à l’idée que ce chaînon manquant puisse être britannique, le « premier anglais » en somme.

 

 

 

 
La découverte

 

 
     Par une belle journée de l’été 1899, un paléontologue amateur nommé Charles Dawson se promène dans la campagne anglaise du Sussex, à une cinquantaine de km au sud de Londres. Dawson n’est pas vraiment un inconnu : avocat de formation, il s’était très tôt passionné pour l’archéologie et la paléontologie, réalisant même quelques découvertes qui lui avaient valu une certaine notoriété au point que, ayant fait don de sa collection de fossiles au British Museum, il avait été accepté comme correspondant du Muséum d’Histoire naturelle anglais (il avait à peine 21 ans !).

 
     Ce jour-là, Dawson remarque, à Piltdown, près d’une ferme, un chantier routier où on utilise une sorte de gravier rouge dont il pense qu’il pourrait être fossilifère. Il engage la conversation avec les ouvriers et obtient qu’on le prévienne si, au cours des travaux, il était découvert des fragments de squelettes supposés préhistoriques. Bonne pioche : peu après, on lui apporte des fragments de crâne certainement humains et assez anciens. Durant les trois ans qui vont suivre, il prospecte l’endroit et retrouve quelques débris complémentaires mais tout va changer en février 1912 lorsqu’il se met en rapport avec le président de la société de géologie de Londres, Arthur Woodward, pour lui apprendre qu’il a mis au jour quelque chose de vraiment intéressant : il s’agit d’un crâne (en fait cinq morceaux reconstitués) et d’une mâchoire qui présentent l’extraordinaire particularité d’être très moderne pour le crâne et encore simiesque pour la mâchoire. Or, il en certain, il s’agit des restes d’un même individu…

 

 

 


La consécration

 

 
     Le lecteur doit se souvenir que nous sommes alors en 1912 et que les techniques modernes de datation (notamment par le carbone 14) ne sont pas encore découvertes. A l’époque, pour dater un fossile, on cherchait à repérer dans quelle couche géologique il avait été trouvé et quels étaient les autres fossiles présents au même endroit (de nos jours, on procède toujours ainsi pour une première approximation). Et c’est là que la découverte devient miraculeuse : dans la même couche de sédiments, on découvre des dents d’éléphants, d’hippopotames, etc., toutes vieilles de 500 000 ans, ce qui date le crâne de cette époque.

 
     En juin de la même année, Dawson et Woodward se rendent à nouveau sur les lieux, en compagnie d’un membre du Muséum
d’Histoire  naturelle de Paris qui deviendra par la suite célèbre, le père Teilhard de Chardin. Les trois savants recueillent encore quelques morceaux de crâne et une hémi-mâchoire droite. Quoi qu’il en soit, la découverte de la mâchoire d’allure simiesque (logiquement reliée au crâne d’allure humaine) est d’importance, d’autant qu’elle possède encore quelques dents, des molaires, qui, elles, sont usées à la manière de celles des hommes…

 
     La présentation de la découverte est faite le 18 décembre suivant au Muséum d’histoire naturelle britannique devant un auditoire subjugué : le fameux chaînon manquant tant recherché vient donc d’être identifié et Woodward va jusqu’à décrire un individu ayant vécu aux tous premiers âges de l’Homme, individu qu’il nomme Eoanthropus, c’est-à dire « l’homme de l’aube ». La nouvelle fait le tour du monde et, bientôt, « l’homme de Piltdown » devient une vedette incontestée de la paléontologie et des centaines de publications scientifiques vont lui être consacrées.

 
     Dans un premier temps, les Français doutent de l’authenticité de la découverte puisqu’ils penseront longtemps qu’il s’agit des restes de deux individus, l’un incontestablement humain (le crâne) mais l’autre d’origine simiesque (la mâchoire). Les Anglais sourient devant ce qui leur semble être une manifestation de dépit. En 1913, toutefois, Teilhard de Chardin met au jour une dent, une canine, dont la nature simiesque certaine montre des signes d’usure typiquement humains. Dès lors la cause est entendue et l’homme de Piltdown entre de plain-pied - et comme pièce majeure - dans le grand musée de la paléoanthropologie.

 

 

 

 
La remise en cause

 

 
     En 1924, en Afrique du sud, on découvre le premier fossile d’australopithèque dont la datation le situe comme étant âgé de plusieurs millions d’années, c’est à dire bien antérieurement au pithécanthrope. Son examen révèle que si son crâne est encore bien proche de celui des singes, sa mâchoire recèle déjà des caractéristiques humaines : on se trouve dans un cas de figure diamétralement opposé de celui de l’homme de Piltdown. Les premiers doutes s’installent sur la découverte de Dawson.

 
     Face à la mise à jour de fossiles qui ne semblent pas aller dans le sens qu’il a proposé pour sa « découverte », en 1944, Woodward (Dawson est mort depuis longtemps) propose une explication un peu différente : pour lui, il existe deux lignées évolutives simultanées. La première intéresse les australopithèques, le pithécanthrope et Neandertal tandis que la seconde se rapporte exclusivement à l’homme de Piltdown.

 
     Il faut attendre 1949 pour reconsidérer le problème. A cette époque, il existe en effet de nouveaux outils de datation, notamment la datation au fluor. Un paléontologue anglais de l’Institut d’Histoire naturelle de Grande-Bretagne, Kenneth Oakley, reprend le dossier et, grâce aux nouvelles techniques, arrive à la conclusion indubitable que le crâne de l’homme de Piltdown appartient en réalité à un humain vieux d’environ 40 000 ans. Quelques années plus tard, en 1953, un autre scientifique anglo-saxon démontre que la mâchoire du soi-disant chaînon manquant est bien celle… d’un singe. Dès lors la supercherie ne fait plus de doute, ce que le Muséum britannique finit par reconnaître.

 
     En 1959, la paléontologie entre dans l’ère moderne avec les méthodes de datation au carbone 14. On réexamine le crâne de l’homme de Piltdown et les conclusions sont alors sans appel : le crâne appartient à un homme ayant vécu au Moyen-âge et date d’à peine 500 ans. Quant aux dents des animaux préhistoriques découvertes dans le sédiment de Piltdown, elles sont, elles, tout à fait authentiques mais proviennent d’Afrique du nord ! Le faux est certain… même s’il a trompé les meilleurs spécialistes durant plus de quarante ans.

 

 

 


La recherche des coupables

 

  
     Une mystification de toute la communauté scientifique durant plus de quarante ans – et dans un domaine pointu – voilà qui n’est pas banal. Alors, évidemment, se pose l’incontournable question : qui ? De nombreux noms ont été avancés sans jamais emporter une conviction définitive. Il semble que Woodward, le président du Muséum d’Histoire naturelle anglais, ne soit pas en cause : on a plutôt tendance à voir en lui une victime dont la bonne foi a été abusée.

 
     Plus intéressante est la personnalité de Dawson. Il paraît en effet difficile de penser qu’il n’ait pas d’une manière plus ou moins proche participé à l’édification de la supercherie. L’éminent paléontologue que fut Stephen J. Gould s’est penché sur la question. Ce dernier pense que, si Dawson avait l’opportunité, c’est Teilhard de Chardin qui avait les connaissances indispensables. Il est vrai que Teilhard (qui fut un scientifique de grand renom) n’a, par la suite, que très peu tenu compte de « l’homme de Piltdown » dans ses publications ultérieures comme si, comme le remarque Gould, il avait été au courant du peu de cas qu’il fallait faire du sujet. Alors, une farce de Teilhard vis-à-vis de Dawson et l’impossibilité de revenir en arrière ? Ou une mise en scène des deux pour se moquer d’une communauté scientifique un peu trop rigide ?

 
     Reste une dernière hypothèse. Près de Piltdown résidait un
personnage célèbre, Sir Arthur Conan Doyle, le propre père de Sherlock  Holmes. Ce grand nom de la littérature internationale s’intéressait de très près au domaine paléontologique puisque travaillant à cette époque sur son ouvrage « le monde perdu ». Très épris de « bonnes blagues » et d’enquêtes difficiles, il aurait très bien pu intervenir jusqu’à fabriquer de toutes pièces cet imbroglio paléontologique…

 
     On ne saura jamais le fin mot de l’histoire puisque tous les protagonistes possibles de ce psychodrame sont à présent morts depuis longtemps. Dans le fond, cela n’a pas une importance extrême. Ce qu’il faut en revanche retenir de cette escroquerie à la science, c’est que rien n’est jamais acquis et que les hypothèses les plus séduisantes doivent toujours être révisées à l’aune des connaissances nouvelles. Pour ma part, je pense que la résolution, même tardive, de cette affaire étrange est à mettre au crédit de l’esprit scientifique qui démontre ici qu’il sait toujours se remettre en cause. Comme le dit si bien l’adage : « on peut tromper quelqu’un tout le temps ; on peut tromper tout le monde un certain temps mais on ne peut pas tromper tout le monde tout le temps. »
 

 

 

 


Images

  
1. crânes comparés de chimpanzé, homo erectus et homme moderne (sources : ngzh.ch)

2. Charles Dawson (assis) et un de ses assistants (sources : age-of-the-sage.org)
3.
Teilhard de Chardin (sources : the-savoisien.com)

4. le crâne de l'homme de Piltdown : crâne d'homme et mâchoire de singe (l'articulation avait été rognée pour faire disparaître la mauvaise adaptation) (sources : goatstar.org)

5. Holmes, célèbre détective, ici interprété par Basil Rathbone (sources : horror-wood.com)

 (Pour lire les légendes des illustrations, passer le pointeur de la souris dessus)

 

 

 

 

Mots-clés : homme de Piltdown, Charles Dawson, australopithèque, homo erectus, Neandertal, Teilhard de Chardin, datation au carbone 14, Sir Arthur Conan Doyle

(les mots en blanc renvoient à des sites d'informations complémentaires)

 

 

 

 

 Sujets apparentés sur le blog

 

1. les canaux martiens (histoire d'une illusion collective)

 

2. l'affaire Lyssenko

 

 

 

 

 Dernier sommaire général du blog : cliquer ICI

 

l'actualité du blog se trouve sur FACEBOOK


 

Mise à jour : 27 février 2023

Voir les commentaires

Publié le par cepheides
Publié dans : #paléontologie

 

 

                                 

la vallée du Rift

 

 

      Sous le nom un rien cinématographique de «East Side Story» (histoire du côté est) se cache une théorie scientifique popularisée par le charismatique paléontologiste Yves Coppens au début des années 80 et dont l’intérêt majeur est de présenter un modèle logique expliquant l’apparition de l’Homme. Un titre accrocheur, un scientifique de premier plan et son équipe, une explication rationnelle et, semble-t-il, confortée par de nombreux éléments factuels, il n’en fallait pas plus pour populariser la théorie… jusqu’à ce que quelques bouts d’os découverts aux confins d’un désert hostile ne viennent la mettre à mal. J’ai déjà eu l’occasion d’expliquer que la grandeur de la Science est de savoir se remettre continuellement en cause : à ce titre l’aventure de l’East Side Story est exemplaire.

 

  

 

 

 la genèse de la théorie

 


    A quelle date et dans quel endroit les lignées préhumaines se sont-elles séparées de celles des grands singes ? Quelles en furent les raisons ? Voilà les interrogations que les paléontologues se posent depuis toujours. C’est à ces questions que la théorie va s’efforcer de répondre.

  
     Nous sommes en Afrique, berceau de l’Humanité, il y a environ dix millions d’années. A cette époque vit sur l’ensemble du territoire une population de grands singes humanoïdes. L’Afrique de ce temps-là est humide et couverte de forêts primordiales difficilement pénétrables mais sa partie orientale est instable en raison de la dérive des continents ou, pour le dire de façon plus scientifique, de la tectonique des plaques. Une faille gigantesque va ainsi se constituer du nord vers le sud, aboutissant à la formation d’une immense vallée dite du Rift (cf glossaire). De ce fait, les populations de primates vont se retrouver séparées en deux, celle de l’est allant subir de plein fouet un profond changement climatique et géographique.

     

                           

 

     En effet à l’est, une immense bande de terre est séparée du reste de l’Afrique par la barrière du Rift,  se retrouvant du coup à l’abri des précipitations. Progressivement va se mettre en place un climat plus sec qui, peu à peu, va aboutir à la régression de la forêt remplacée par de la savane, un lieu où la végétation devient moins dense et les arbres épars. De ce fait, l’environnement boisé ayant disparu, la nourriture se fait plus rare et il n’est pas exceptionnel qu’il faille des km de marche à pied aux grands singes pour trouver leur pitance. Voilà à l’évidence un environnement propice au développement de la bipédie (et de tout ce qui va avec, cerveau compris) puisqu’il faut pouvoir observer de loin afin d’identifier proies et prédateurs.

  
     C’est dans ce contexte que l’on explique l’évolution des hominidés (voir glossaire) avec l’apparition de lignées mieux adaptées au nouvel environnement tels les australopithèques et les paranthropes. C’est également dans ce milieu que s’est probablement développée la branche ayant conduit à l’homme moderne (voir le sujet dernier ancêtre commun). Un élément semble conforter cette approche : durant des dizaines d’années, la quasi-totalité des fossiles d’australopithèques et assimilés est mise à jour à l’est du Rift : je pense notamment à Lucy, la jeune australopithèque précisément découverte par Yves Coppens et son équipe (voir sa description dans le sujet déjà cité : le dernier ancêtre commun)

 
     A l’ouest, en revanche, aucun changement climatique. Cette partie de l’Afrique demeure boisée et humide et les primates qui s’y trouvent sont donc essentiellement arboricoles et quadrupèdes. Ce sont ces lignées de primates qui conduiront aux gorilles, bonobos et autres chimpanzés.

 
     On comprend donc parfaitement la signification de la théorie de Coppens : le changement climatique de la région est-africaine a permis l’émergence d’autres formes de grands primates tandis que de l’autre côté, à l’ouest, l’évolution a suivi son cours sans bouleversement majeur.

 

 

 

 

la remise en cause

 

 

    Tout semble parfait et la théorie tient parfaitement la route. Sauf que, en 1995, au Tchad, une équipe de paléoanthropologues dirigée par Michel Brunet met à jour la mâchoire inférieure d’un australopithèque qui sera baptisé Abel. C’est le premier primate de ce type à être identifié à l’ouest du Rift et c’est à plus de 2500 km de la barrière… Perplexité des scientifiques. Est-ce à dire qu’il s’agit de l’exception qui confirme la règle ?

 
     Las, en 2001, à 800 km au nord de Ndjamena, la capitale du Tchad, une équipe de scientifiques (dirigée par Michel Brunet, encore lui) découvre le crâne quasi complet  d’une  nouvelle espèce de préhumains dont la datation est finalement comprise

Toumaï préhumain
Toumaï

entre – 6,8 et – 7,2 millions d’années. Baptisé Toumaï, ce préhumain semble très proche de la divergence chimpanzés-hominidés, c’est-à-dire à un moment de l’évolution se situant bien plus en amont encore que les australopithèques déjà signalés (dont l'apparition remonte à entre - 4 et - 1 millions d'années). Il faut toutefois noter que certains paléontologues hésitent encore et trouvent Toumaï plus près des ancêtres des singes que de ceux des hommes : Yves Coppens, quant à lui, penche pour l'hypothèse humaine...

 
    Quoi qu'il en soit, il paraît peu probable que l’on ait affaire à deux individus égarés à l’ouest du Rift (et si loin !), d’autant qu’il faut garder à l’esprit que les découvertes paléontologiques ne sont jamais que la (toute) petite partie émergée de l’iceberg. Bien sûr, la majorité des fossiles de cette époque (plus de 3000) a été découverte dans la vallée du Rift et on n’évoque ici que le cas de deux individus mais il faut pourtant se rendre à l’évidence : si séduisante qu’elle ait pu sembler, la théorie de « l’East Side » paraît battue en brèche. Ce qu’Yves Coppens lui-même admettra volontiers en reconnaissant que sa théorie formulée en 1982 ne « correspondait plus aux données actuelles ».

 

 

 

 

la leçon de l'histoire

 

 
        On peut tirer deux enseignements principaux de cette aventure.
     D’abord, la séparation entre les hominidés primitifs et les précurseurs préhumains de notre espèce n’est en définitive pas vraiment éclaircie. Certes, on en connait à peu près la période (vers – 8 à – 10 millions d’années) mais si l’on est à peu près certain que cette différenciation s’est produite en Afrique, on ne sait plus trop exactement dans quelle partie : à l’est comme le voudrait la théorie que nous évoquons (mais alors quid d’Abel et de Toumaï ?), dans une autre partie comme le sud de l’Afrique avec des radiations successives vers le nord, dans tout le continent à peu près dans le même temps ? Il faudra d’autres découvertes de fossiles pour trancher.

    

paléontologie
Yves Coppens

     Ensuite il convient de rendre hommage à la grande honnêteté intellectuelle despaléontologistes concernés, notamment Yves Coppens qui, loin de s’accrocher à sa théorie pourtant séduisante, a su en reconnaître les limites, voire – peut-être – son inadéquation avec la réalité. La science n’est pas une religion accrochée à des dogmes écrits une fois pour toutes comme j’ai eu l’occasion de le signaler tout au long de ce blog, que ce soit en astronomie, en paléontologie comme aujourd’hui ou lors de l’édification progressive d’une théorie moderne de l’Evolution.

 
     L’East Side Story qui nous donnait à penser que nous avions enfin compris les raisons et les conditions de la séparation des lignées préhumaines d’avec celles des grands singes est à revoir : la mariée était trop belle !

 

 

 

 

 

 

Glossaire (sources : Wikipedia France)

 

     * riftUn rift est une région où la croûte terrestre s’amincit. En surface, un rift forme un fossé d'effondrement allongé, dont les dimensions peuvent atteindre quelques dizaines de kilomètres de large pour plusieurs centaines de kilomètres de long. Cette dépression allongée, limitée par deux failles normales dites failles bordières, est le lieu d'une sédimentation le plus souvent lacustre et d'un volcanisme soutenu.

 

     * Vallée du Rift est-africain : cette zone d’extension intracontinentale rejoint au nord deux structures extensives (des anciens rifts océanisés) qui limitent la plaque arabique : la mer Rouge et le golfe d’Aden. Le point triple de l’Afar qui relie ces trois structures est une zone volcanique majeure découpée par de nombreuses failles normales.
     Le rifting débute au Miocène, et l’effondrement provoque une importante sédimentation lacustre (jusqu’à 8 000 m). De nombreux lacs occupent actuellement le rift (lac Kivu, lac Tanganyika, lac Malawi).

     La vitesse d’ouverture est de l’ordre de 10 mm/an et diminue vers le sud. Les deux branches du rift sont reliées par une zone de fracturation importante, le linéament d’Assoua. Le Kilimandjaro et le mont Kenya sont situés à l’intersection entre la branche orientale et ce linéament. La poursuite de cette extension intracontinentale peut aboutir, dans les prochains millions d’années, à une océanisation et à l’individualisation d’une plaque somalienne. (sources Wikipedia France)

 

     * Hominidés : les grands singes font partie des primates et forment une super famille dite des hominoïdés qui se sépare elle-même en deux lignées :
            a. la première regroupe les hominidés qui comprennent les gorilles, les chimpanzés, les bonobos… et l’homme tandis que les pongidés sont essentiellement représentés par l’orang-outang;
          b. la deuxième lignée quant à elle ne recouvre que les hylobatidés représentés par les gibbons.
     On trouvera de plus amples explications de cette classification dans le sujet le dernier ancêtre commun

 

 

 

Images

 

1. Carte de la vallée du Rift (sources : Wikipedia France)
2. Vallée du rift (sources : picasaweb.google.com)
3. Toumaï (sources : parismatch.com)
4. Yves Coppens (sources : fr.wikipedia.org/wiki)

 (Pour lire les légendes des illustrations, passer le pointeur de la souris dessus)

 

 

 

 

Mots-clés :  Yves Coppens, tectonique des plaques, Rift, bipédie, hominidés, australopithèques, Michel Brunet, Abel, Toumaï 

(les mots en gris renvoient à des sites d'informations complémentaires)

 

 

  

 

Sujets apparentés sur le blog

 

 1. la bipédie, condition de l'intelligence ?

 2. le dernier ancêtre commun

 3. le rythme de l'évolution des espèces

 4. les humains du paléolithique

 

 

 

 Dernier sommaire général du blog : cliquer ICI

 

l'actualité du blog se trouve sur FACEBOOK

 

 

 

Mise à jour : 27 février 2023

Voir les commentaires

<< < 1 2 3 > >>

copyrightfrance-logo17

Articles récents

 POUR REVENIR À LA PAGE D'ACCUEIL : CLIQUER SUR LE TITRE "LE BLOG DE CEPHEIDES" EN HAUT DE LA PAGE 

 

 

Sommaire général du blog : cliquer ICI

 

 

 

 

Fréquentation

à fin avril 2024

 

Visiteurs uniques : 661 394

 

Pages/articles vus : 944 776

 

 

 

Du même auteur, en lecture libre :

 

Alcyon B, roman de science-fiction (alcyon.eklablog.com)

 

Viralité, roman (djeser3.eklablog.com)

 

Camille, roman (djeser4.eklablog.com)

 

La mort et autres voyages, recueil de nouvelles (djeser2.over-blog.com)

 

 

 

Hébergé par Overblog