L’échec cuisant du sionisme religieux lors des élections pour le rabbinat israélien a mis en avant les différences entre plusieurs courants de ce secteur de la population
Pour comprendre cette défaite électorale, il faut se pencher sur les profils des trois candidats au poste de Grand rabbin ashkénaze d’Israël.
Aucun d’eux n’appartient au courant ultra-orthodoxe, le rabbin David Lau, élu avec 68 voix (sur 147 votants) était soutenu par les partis ultra-orthodoxes mais a prouvé depuis des années, à son poste de rabbin de la ville à majorité laïque Modiin, son ouverture d’esprit et n’a jamais caché qu’il avait servi à Tsahal dans les services de renseignements.
Les deux autres candidats, qui ont été battus, sont issus du courant sioniste religieux, le rabbin Yaakov Shapira étant le directeur de la principale Yeshiva sioniste, Mercaz Harav tandis que le rabbin David Stav, seul des 3 candidats à porter une kippa tricotée est un ancien élève de cette Yeshiva.
Au sein du monde sioniste religieux, plusieurs courants s’affrontent ces dernières années mais ont réussi à s’unir autour de Naftali Bennet pour obtenir un succès historique aux dernières élections législatives et devenir un partenaire important de la coalition gouvernementale.
Alors pourquoi les électeurs sionistes, religieux et laïcs, ne se sont pas unis de la même manière pour faire élire un candidat qui n’obéira pas aux directives des rabbins non sionistes, comme c’est le cas pour le nouveau Grand rabbin, David Lau ?
L’un des éléments essentiels de la pensée sioniste religieuse est le triptyque proposé par le grand penseur de ce courant, le Rav Avraham Ytzhak Hacohen Kook, premier Grand rabbin d’Israël.
Il s’agit selon lui d’unir les trois grandes valeurs du judaïsme afin d’amener plus vite la rédemption.
La Terre d’Israël, la Torah et le peuple juif sont les trois piliers fondamentaux du judaïsme et on ne peut pas renoncer à aucun d’eux pour arriver à la rédemption tant attendue.
Trois sous-groupes du sionisme religieux dirigés par des rabbins souvent issus de la Yeshiva de Mercaz Harav ont récemment immergé.
Pour les partisans du Rav Tzvi Taow, l’un des anciens dirigeants de Mercaz Harav, on ne peut pas faire de concessions sur le monde de la Torah.
Ayant créé une scission il y a plus de 15 ans en quittant Mercaz Harav et en fondant sa propre Yeshiva (Har Hamor), le Rav Taow n’a pas voté pour le parti de Naftali Bennet aux dernières élections mais pour un parti ultra-orthodoxe et s’oppose de manière virulente au projet de loi d’enrôlement des étudiants en Yeshiva.
Le Rav Taow a soutenu la candidature du Rav David Lau aidé par certains de ses proches au sein du collège électoral.
Il est également l’un des fondateurs du courant haredi-nationaliste, souvent considéré comme intransigeant sur la question de l’intégrité de la Terre d’Israël, mais privilégie le respect des institutions de l’Etat même en cas d’évacuation d’implantations.
Pour le Rav Taow, pas question de refuser un ordre pour un soldat contrairement à d‘autres rabbins du même courant qui ont appelé les soldats religieux à désobéir quand on leur demandait de participer à des évacuations de familles juives de leurs maisons.
Pour le Rav Yaakov Shapira et une grande partie des élèves de Mercaz Harav, c’est la Terre d’Israël qui prend la place la plus importante, leur parti Tekouma, dirigé par ces rabbins pourrait très bien quitter le parti mère Bayit Yehoudi (Foyer juif) si les négociations israélo-palestiniennes se poursuivent.
Le Rav David Stav, de son côté est l’un des rabbins du courant moderne orthodoxe, convaincu que les changements au sein de la société passent avant tout par des mesures sociales et par un rapprochement avec le public non-religieux.
Le Rav Stav, qui dirige l’association Tzohar a tenté depuis des années de rapprocher ce public des valeurs juives, en prônant un discours résolument moderne tout en restant fidèle à l’orthodoxie.
La division entre ces trois courants a empêché que le rabbinat israélien soit dirigé par un rabbin dévoué à la cause du fondateur du rabbinat, le Rav Kook, pour qui seule l’union de ces trois grandes valeurs pouvait assurer la pérennité du peuple juif sur sa terre.
Quand des rabbins ultra-orthodoxes de premier plan affirment publiquement que le public sioniste religieux ne fait pas partie du peuple juif, que les électeurs du parti Foyer Juif iront en enfer et qu’ils préfèrent quitter le pays plutôt que de devoir le servir, on ne peut que déplorer l’échec du sionisme religieux à se faire accepter à la fois par le public laïc et par le public haredi.
Michaël Blum