Nous chopons un bus à la volée et tombons sur un conducteur fou (« qualité » requise pour être embauché en tant que chauffeur au Sri Lanka...), nous sommes aux premières loges pour apprécier sa conduite suicidaire... A Kandy nous changeons de bus et tombons sur un chauffeur borgne plus tranquille; nous roulons en direction de Nuwara Eliya, région du thé située dans le centre du pays. La route grimpe en lacets à travers les montagnes et serpente entre les nombreuses plantations de thé, cette région verdoyante est magnifique. Nous avons pris les deux dernières places assises, à mesure qu’on avance le bus devient plein à craquer; je fais connaissance avec Jayan, un sri lankais installé à Dubaï, très serviable et désintéressé, ce qui nous change... Nous arrivons à Nuwara Eliya dans la brume, la pluie et le froid, nous nous installons en face d’un beau parc et sortons boire un verre et dîner, impossible de trouver un resto servant de l’alcool, il y a un seul bar dans la ville... fréquenté uniquement par des hommes et pas recommandé aux femmes, nous finissons alors dans une petite boutique d’alcool où il n’y a là aussi que des hommes, car la femme ne boit pas au Sri Lanka. En pleine nuit, des frissons plein le corps et les dents qui claquent, je me réveille congelée, j’enfile alors mes vêtements en thermolite, récupère la couverture du deuxième lit et me blottis contre Maryline. Nous nous réveillons avec le croassement des corbeaux et changeons d’hôtel pour nous rapprocher de la chaleur du centre ville ; au passage nous arpentons le marché alimentaire regorgeant d’épices en tout genre, les bananes que nous achetons puent le poisson.
Le lendemain nous partons à l’aube au parc national d’Horton Plains, la route, bordée de hautes fougères arborescentes et d’arbres recouverts de lichen en liane, traverse de beaux paysages faits de lacs, plaines verdoyantes et plantations de thé. Le soleil se lève et la brume envahie les pâturages bien garnis, parsemés de vaches à lait au pelage brillant. Arrivées au parc nous croisons un groupe de cerfs; le sentier que nous empruntons vaut à lui seul le détour, composé de roches et sable aux tons ocre, brique, jaune, orangé, rouge, rose, violet et noir parsemé de paillettes dorées. Nous prenons une vraie bouffée d’air dans ce magnifique parc où notre ballade est rythmée par les grognements sourds et roques des singe-ours qui se déplacent de branche en branche, le chant d’une multitude d’oiseaux (dont certains émettent le son des claves cubaines) et l’écoulement de la rivière en contrebas. Nous traversons un plateau vallonné à plus de 2000 mètres d’altitude, couvert de pâturages entrecoupés d’épaisses forêts, d’affleurements rocheux et de cascades jusqu’au World’s end (« le bout du monde ») où le plateau s’arrête abruptement pour former un impressionnant escarpement plongeant sur 880 mètres, d’où l’on aperçoit des petits villages et plantations de thé en contrebas et la côte au loin. Nous traversons un petit ponton en bois surmontant une source d’eau et entouré de savane, puis montons un escalier en racines d’arbres jusqu’aux belles chutes de Baker ornées d’un mini arc en ciel. A la sortie du parc un cerf pose pour la photo puis s’approche de la fenêtre pour nous réclamer à manger; un lézard à corne avec d’étranges yeux, des longs doigts fins et une longue queue traverse la route. Un bus tout pourri grimpant tant bien que mal la côte, transporte à son bord des locaux en train de chanter et faire de la musique. Les hommes refont une partie de la route avec un sceau de graviers et un arrosoir de goudron... pendant que les gamins jouent au cricket et les femmes cueillent le thé, le dos courbé dans les plantations et le sac recueillant les jeunes feuilles, accroché au front par une lanière. Les champs en terrasses de carottes, patates, choux et oignons se succèdent; nous traversons un petit village roots aux allées en terre rouge. En dépit de la fraicheur du climat et le temps maussade tous les après-midi, notre superbe matinée au parc national nous invite à prolonger notre séjour dans cette belle région. Nous partons nous promener dans le joli parc Victoria, la saison des fleurs débute et les écoles sont de sortie, une institutrice nous aborde et se renseigne sur nous (habitude sri lankaise), elle nous demande si nous comprenons leur anglais et si nous aimons leur île, puis dégaine son appareil pour nous prendre en photo, récupère notre email et s’en va brusquement. Maryline et moi nous nous regardons l’air interloqué, c’est la prise de contact la plus étrange, speed et distante que nous ayons eu depuis le début de notre voyage. Le soir nous prenons un plat à emporter au resto du coin, que nous mangeons dans notre chambre, une odeur me gêne, je finis par comprendre que ma viande est pourrie...
Le lendemain nous partons en balade dans la région, la route serpente en lacets à travers les belles plantations de thé vallonnées où les cueilleuses tamoules sont à l’œuvre; le Sri Lanka est le second producteur mondial (thé du Ceylan) et Nuwara Eliya, signifiant « ville de lumière », est souvent surnommée « Little England ». Des petits étals de légumes sont posés par terre au bord de la route; nous croisons des bougainvilliers géants, des vergers et rizières jaunes ou vertes en terrasse, ainsi que de belles cascades et des temples hindous très kitchs. Le linge propre étendu par terre ou sur l’herbe sèche au soleil; des hommes travaillent dans une décharge publique pendant que des femmes comblent les nids de poule de la route fatiguée. Nous voyons pas mal de pancartes « hotel » qui ne sont en fait que des petits restaurants locaux; dans une boutique où nous achetons un coca, le caissier, à cours de pièces, nous rend la monnaie en chocolats... Le lendemain nous sommes réveillées par une armée de tambours, c’est la fête. Des dizaines de classes du primaire, collège et lycée défilent en musique et en uniformes colorés avec leurs accordéons, mélodicas, trompettes, cymbales et percussions locales, escortées par la police à cheval. Chaque classe exécute son morceau, les rues sont inondées de spectateurs et les hauts parleurs accrochés aux poteaux crachent le discours d’un homme pendant que les marchands de glace déambulent dans les rues.
Après cinq jours passés dans les montagnes nous prenons la route pour Mirissa sur la côte Sud, sur un fond de musique locale, notre chauffeur dévale la pente à fond et oblige les voitures d’en face à stopper net sur leur voie lorsqu’il est en train de doubler parce qu'il refuse l'idée de se rabattre derrière un véhicule lent... A chaque arrêt où les vendeurs de denrées alimentaires montent dans le bus c’est la cacophonie générale; les passagers descendent du bus sans que celui-ci ne s’arrête vraiment (pas l’temps !), ils sont aussi pressés que les parisiens ces sri lankais... Après 7h de route nous échouons dans un petit bungalow à 200m de la plage, que nous atteignons par un petit sentier bordant un cours d’eau, où les singes secouent énergiquement les branches d’arbres pour en faire tomber les fruits (un jacques tombe à deux pas de nous). Le soir nous dînons sur place, je commande un riz blanc et une cuisse de poulet, la serveuse me ramène du riz rouge qui a un fort goût de terre, je lui redemande du riz blanc et elle me ramène un riz à l’odeur nauséabonde que je m’efforce de goûter et que je le recrache aussitôt, un sal goût de fumier collé aux papilles... La nuit dans notre chambre nous avons l’impression d’être en pleine forêt, les cris de singes, oiseaux et autres animaux rythment notre sommeil pendant que les écureuils font la bamboula sur notre toit. Nous avons été mises dans l’ambiance dès notre arrivée à la guesthouse : une peau de serpent est suspendue à un arbuste dans l’entrée et un varan sauvage vient de temps à autre se balader dans le jardin... En fin de journée nous nous posons sur la plage pour admirer le coucher de soleil et passons la soirée avec Charles, un français rencontré à la guesthouse, nous buvons l’apéro et dînons les pieds dans le sable sur un fond de reggae et d’odeur de pétard venant d’une table voisine (malgré la peine de mort encourue); des vagues d’un mètre cinquante se succèdent et en milieu de soirée et la mer monte jusqu’aux tables. Tombées du lit, le lendemain nous partons observer la vue sur la baie de Weligama depuis un promontoire, sur le chemin, devant un petit hôtel nous remarquons une pancarte « réservé uniquement aux étrangers » (!) ; nous faisons un crochet par la belle plage de Mirissa, agréablement déserte en cette heure matinale. La patronne de notre guesthouse nous ramène notre linge lavé, tout puant car mal séché, et essaye de nous arnaquer à plusieurs reprises sur l’addition...
Nous filons en tuk tuk à Unawatuna, petite station balnéaire agréable faite d’un croissant de sable doré, baigné par une belle eau turquoise. Sur la route nous croisons de belles pages au sable orangé, parsemées de pirogues à un balancier et de gros rochers; les bœufs se reposent à l’ombre sur l’herbe pendant que les pêcheurs préparent les filets à bord de bateaux de pêche très colorés. Nous remarquons un pêcheur traditionnel assis sur un genre d'échasse plantée dans la mer, un peu plus loin un très grand Bouddha se dresse sur une étendue d’eau, c’est le mémorial du tsunami de 2004, notre chauffeur nous explique que le tsunami a ravagé toute la côté jusqu’à la capitale, la mer a détruit les routes, emporté sur son passage un train rempli de passagers et s’est enfoncée jusqu’à 4km dans les terres. Le tsunami a fait beaucoup de morts car il a eu lieu pendant un long weekend et beaucoup de locaux sont descendus sur la côte à l’occasion, bon nombre d’entre eux n’ont pas pu être identifiés car ils n’étaient pas connus dans la région et il a fallut vite les enterrer avant que des épidémies ne se propagent. Ce qui n'a pas empêché les promoteurs avares de reconstruire des hôtels sur la ligne de marée haute, qui se retrouvent entourés d’eau lors de fortes marées, à croire que la leçon n’a pas été comprise... Nous nous installons dans une chouette chambre à deux pas de la plage avec vue sur la mer et les cocotiers depuis notre lit... Un chauffeur de tuk tuk trainant devant notre hôtel remarque dans le cou de Maryline son petit pendentif en forme de djembé, et nous dit qu’il a des amis dans le coin qui en jouent, nous sommes aux anges car ça nous manque depuis cinq mois... En rentrant du cyber nous rencontrons les trois acolytes avec deux djembés et une derbouka, avec qui nous échangeons quelques morceaux au resto de l’hôtel tenu par leurs amis, les moments où je me retrouve sans percu je pique deux cuillères à soupe derrière le comptoir et improvise un instrument pendant qu’un des serveurs tape en rythme sur un tabouret du bar... Mortes de faim, nous nous offrons un délicieux dîner sur la plage, ce petit village côtier est une vraie bouffé d’air pour nous, tant au niveau du contact avec les locaux que de la communication ou de la gastronomie... nous décidons donc d’y prolonger notre séjour.
Le lendemain journée pépère à flemmarder et se balader sur la plage, nous admirons le coucher de soleil à l’heure où les restos allument les torches au dessus des présentoirs de poisson frais; le soir nous nous endormons bercées par le bruit des vagues. Le lendemain c’est la poya (pleine lune) et chaque jour de poya est férié au Sri Lanka, nous prenons le petit dèj devant la mer et échangeons quelques mots avec Yohann (un des musiciens) sur sa culture et les instruments traditionnels. Maana nous rejoint avec sa guitare, une partie du groupe est là, c’est le début d’un pur instant de bonheur... Nous passons la journée à jouer avec deux guitariste-chanteurs et trois percussionnistes qui jouent des chansons internationales revisitées à la locale (...), ainsi que des chansons sri lankaises ressemblant parfois au maloya, tout le monde chante en cœur, y compris les quelques locaux spectateurs. Les tournées d’arak (alcool brun de coco) s’enchainent... nos nouveaux potes aiment beaucoup déconner entre eux, on sent qu’ils ont un fort lien d’amitié; aujourd’hui ils ne s’encombrent pas de l’anglais et parlent essentiellement cinghalais. L’ambiance est géniale, je me sens revivre, leurs rythmes trouvent un écho en moi... le leader du groupe me fait parfois des signes pour que je suive les appels, différents de ce à quoi je suis habituée. Nous achevons cette chouette journée passée avec un des six groupes de percussions du Sri Lanka, par un petit bain dans la mer au coucher du soleil; nous récupérons leur email et les remercions pour ce délicieux instant.
La fin du séjour approche, nous prenons la route pour Bentota, sur la route nous croisons des charrettes à bœufs ainsi qu’un tracteur à l’ancienne transportant du bois; notre chauffeur nous montre le seul bâtiment situé en bord de mer épargné par le tsunami : un temple bouddhiste. A notre arrivée nous sommes déçues car tout est trop cher, la plage ne casse pas des briques et il n’y a que des grands hôtels luxueux avec leur propre resto, nous rendant prisonnières de notre guesthouse. La communication est difficile avec l’épouse du proprio, j’ai l’impression d’être à l’île Maurice (ou en Inde), les gens vous répondent « oui » sans même vous avoir compris ce que vous leur dites... Nous lui commandons un riz blanc, elle nous ramène un riz frit sentant le pourri, je perds patience... Heureusement un magnifique coucher de soleil sur la plage nous fait oublier nos mésaventures gastronomiques sri lankaises. Le proprio nous explique que le climat a nettement changé depuis le tsunami, les habitants passent six mois de l’année sans pluie et les températures sont plus chaudes, les locaux n’ont plus à boire (un tuk tuk vient remplir son jerricane d’eau au puits de notre guesthouse) et la centrale hydroélectrique fonctionne au ralenti, occasionnant un courant aléatoire dans la ville.
Le lendemain nous partons pour Negombo plus au Nord sur la côte Ouest, l’autoroute que nous empruntons est neuve (délivrée en décembre) et déserte, on sent notre chauffeur mal à l’aise car pas habitué à un pareil calme... En contrebas nous apercevons une femme et sa fille se doucher toutes habillées en plein air avec un sceau. Sur la nationale notre chauffeur occupe les ¾ de la voie d’en face en doublant, malgré le flic à moto arrivant à contre sens... d'ailleurs les flics qui font la circulation sont complètement dépassés... Le soir nous dînons dans un petit resto où le serveur nous propose un change qu'on qualifie rapidement de louche, car bien trop avantageux pour nous, quand on lui explique qu’il y a un truc qui cloche il nous fait un prix encore plus intéressant... Soit il ne sait pas compter, soit il a essayé de nous vendre des faux dollars contre nos roupies... Notre séjour de 5 mois en Asie s’achève ici, c’est la fin d’un beau périple et le début d’un autre, car en bonnes vadrouilleuses nous décidons de prolonger notre voyage sur un autre continent... Ayubowan Sri Lanka !