jeudi 16 mai 2024

Cerveau de nuit et cerveau de jour

Comme des jardins sauvages ou des jardins travaillés, 
prenons le temps de regarder fonctionner notre cerveau :


mercredi 15 mai 2024

De la pratique en tant qu'abstinence

un nouvel extrait du "carnet"

« Voulez vous être libre de l’ivresse des intoxications émotionnelles et de l’engrenage sans fin des pensées ? » Swami Prajnanpad

Ce que nous appelons "la pratique" suppose d’ apprendre à peu à peu se connaitre soi même en tant que machine humaine, à de mieux en mieux cerner quels fils tirent la marionnette . 

Cette démarche n’est pas tant la pratique qu’un pré-requis à la pratique. 

Pré-requis en lui même pas si facile, pourtant. Cerner un peu mieux sa propre  sa « stratégie de survie » voilà qui peut demander pas mal de temps, de courage, de vulnérabilité. 

Honnêteté implacable vis à vis de soi même disait Lee (Ruthless Self Honesty) 

Cerner cette fameuse stratégie ne porte d’ailleurs pas tant sur le « pourquoi » que le « comment ». 


Pas tant « pourquoi » je fonctionne automatiquement de cette manière - même si le pourquoi n’est pas inutile - mais comment : comment marche cette machine, comment se met elle en mouvement, quels sont ses automatismes, qu’est ce qui les déclenche ? 

A partir de là commence la pratique qui consiste très précisément à, voyant et reconnaissant comme telle la mécanique quand elle se met en route, cesser de la justifier, de la cautionner, et de la perpétuer. 

Tout simplement faire autre chose que ce qu’elle m’ordonne de faire. De ce point de vue là, pratiquer consiste à s’abstenir. 

On peut parler d’une abstinence émotionnelle. Aspirant à être libre de « l’ ivresse des intoxications émotionnelles », je m’abstiens de consommer, c’est à dire de justifier, entretenir et manifester des émotions. 

Simple. Difficile. Et radicalement efficace. 

Le « problème » étant que la plupart des personnes sincèrement investies sur la voie ne croient pas que là réside leur salut. 

Elles espèrent toujours qu’un « travail » thérapeutique, des « lyings » ou toute autre forme d’introspection par ailleurs utile pour un temps aura pour effet de « déraciner » les mécanismes et donc au final de les dispenser de la pratique à laquelle de toutes façons, pendant longtemps, elles ne croient pas vraiment. 

Notons de surcroit que ce degré de pratique est assez avancé. 

Il suppose un fondement solide de présence, un entrainement à désamorcer les refus de ce qui est, à voir les pensées en tant que pensées, les émotions en tant qu’émotions…

Gilles Farcet

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mardi 14 mai 2024

Le Zen : une voie de l’action ?

 

Quelle étrange formule pour désigner ce qu’est la Voie du zen, qui semble bien en décalage avec l’idée que l’on s’en fait, à savoir le Bouddha (ou tout autre pratiquant), assis en méditation, impassible, serein et parfaitement immobile.

Une action, cette attitude qui semble bien passive ?

Cette appellation « Voie de l’action » est pourtant tout à fait justifiée, et concerne des niveaux de compréhension et de pratique qui, bien que très différents, sont intimement liés. Le zen :

1 Une voie de l’action dans la pratique régulière d’un exercice spécifique

2 Une voie de l’action dans notre vie quotidienne

3 Une voie de l’action dans la libération de l’infaisable acte d’être.

1 « On ne peut comprendre ce qu’est le Zen que si l’on pratique un exercice … »

Voilà le propos que K. G. Dürckheim a régulièrement entendu au Japon, alors qu’il manifestait un intérêt certain pour le zen. Sous-entendu, « lâchez vos livres, vos savoirs, votre besoin intellectuel de comprendre, et pratiquez un exercice auprès d’un maitre de l’exercice » !

Traditionnellement, les exercices sur la Voie ne manquent pas, qu’ils soient artistiques, artisanaux, martiaux ou issus de la vie quotidienne. Pour comprendre ce qu’est le Zen, l’élève doit donc choisir et pratiquer un exercice spécifique, toujours le même, de manière régulière, sous peine de ne jamais pénétrer le monde du zen.

Cela peut être le tir à l’arc, l’aïkido, la cérémonie du thé, la calligraphie … ou plus simplement za-zen (l’assise), kin-hin (la marche lente). Za-zen et kin-hin sont les deux principaux exercices que nous pratiquons au Centre Dürckheim lors des retraites et sesshins.

Apprendre un exercice, c’est répéter un geste, ou une série de gestes, en maitriser la technique, en maitriser parfaitement la technique … et reprendre ce même exercice.

Cette action sans cesse renouvelée demande discipline, courage, persévérance et forge, au fil du temps, une stabilité et une force intérieure qui nous permettent de continuer inlassablement l’exercice pratiqué et nous gardent sur la Voie.

C’est à ce prix-là que l’on peut, d’une part, découvrir que l’exercice spécifique « déborde » sur le quotidien et, d’autre part, qu’il révèle un autre niveau d’action, qui transperce et dépasse l’attitude d’effort et de volontarisme que l’on peut mettre en place dans une telle pratique.

« Grace à l’exercice, l’homme arrive à lâcher une attitude de repli sur soi, d’autoprotection, résultant d’un manque de confiance, et peut mettre en place un moi fort, lui permettant d’assumer le monde tel qu’il est, et de rester ouvert afin que la Grande Vie coule à nouveau dans sa petite vie » K. G. Dürckheim


2 « …Et plus vous ferez un exercice à fond, plus nombreux seront les domaines de votre vie fécondés par cette profondeur » D. T. Suzuki à Dürckheim lors d’une entrevue au Japon.

Un exercice spécifique, régulier, c’est par exemple la pratique de l’assise tous les matins au lever.

Mais cet exercice ne peut féconder notre vie quotidienne que s’il ouvre sur une rupture avec notre manière d’être et de faire habituelle, et peut se prolonger dans l’existence.

Il est donc important de se poser quelques questions quant à notre manière de pratiquer za-zen, ou tout autre exercice spécifique sur la Voie.

Est-ce que je considère cette pratique comme un surplus d’activité que je m’impose, rajouté à une journée déjà bien remplie ?

Dans ce cas, l’exercice devient une activité banalisée, noyée dans « le tas de choses à faire », et doit être utile, performant, et porter ses fruits en me rendant plus efficace.

Il n’y a pas rupture avec mon fonctionnement habituel, mon besoin de faire quelque chose.

Est-ce que j’effectue cette pratique comme une parenthèse hors du temps, n’ayant aucun rapport avec ma manière d’être au quotidien ?

Dans ce cas, il y a opposition, séparation entre l’essence et l’existence, entre une pratique dite spirituelle, hors du monde, et l’affairement quotidien, et c’est une impasse.

Le quotidien, c’est une pratique de chaque instant où des instructions comme :

- Tout faire un peu plus lentement - Pleine attention à ce pas, ce geste – Se reprendre -

Prennent tout leur sens : « Ralentissement » pour vivre la retenue, la non-dispersion dans l’action, et ainsi goûter une énergie plus fine, une force plus profonde, « Pleine attention » pour ne pas retomber dans le panneau des habitudes, attentif à l’inhabituel, « Persévérance et écoute » pour retrouver une forme, un rythme, une tenue plus juste, en accord avec ma profondeur et l’Ensemble.

Dans le flux du quotidien, il n’y a de changement possible que dans l’action engagée en ce moment, pour ce moment. Par exemple, si je sens que je suis précipité, trop rapide : je ralentis. Le changement est immédiat, ainsi que ses répercussions intérieures et extérieures.

Je quitte mon fonctionnement habituel, fait de réactions mécaniques, d’impératifs, de croyances imposées par le mental, pour découvrir une autre manière d’être et d’agir.

La modification immédiate de ma manière d’être, de mon geste, est un chemin de guérison radical, sans cesse à exercer, renouveler.

Selon maitre Dogen, c’est la pratique de zazen et des quatre attitudes dignes - être debout, être assis, être allongé, marcher - qui constitue le cœur du zen.

Ces attitudes concernent toutes nos actions, notre relation au monde et à nous-mêmes, en tout lieu et en toute circonstance ; elles révèlent ainsi notre manière d’être, d’assumer dignement notre existence, ou nous montrent nos mécanicités, nos résistances et nos peurs.


3 « Maitriser parfaitement un exercice signifie libérer l’action vitale infaisable, propre au corps vivant, que le moi conditionne, entrave, contraint »  J. Castermane

Pratiquer inlassablement un même exercice, ou pratiquer la vigilance dans nos faits et gestes du quotidien, c’est s’ouvrir à un autre niveau d’action que l’on appelle « l’infaisable ».

Cette ouverture, c’est la redécouverte du centre vital de l’homme, Hara, et, par le maintien et le développement de l’attention en ce centre, soumis aux lois du vivant avant d’être sous le joug de notre mental, redécouvrir notre appartenance naturelle à la Grande Vie.

Ces deux pratiques – exercice spécifique ou le quotidien comme exercice – se nourrissent l’une de l’autre.

Ce moment si particulier de l’exercice spécifique nous permet de nous habituer à goûter notre vraie nature, moments fugaces de « touchers de l’être », ou à reconnaitre ce qui nous en sépare. Sans cette discipline dans la pratique, la reconnaissance de notre être véritable nous échapperait, resterait inconsciente. La pratique des attitudes dignes au quotidien est la mise en œuvre dans l’existence de cette reconnaissance.

« La connaissance et la pratique du lien essence / existence est l’une des clés pour progresser sur la Voie » nous dit K. G. Dürckheim

Ce lien, « l’infaisable », sans lequel essence et existence s’opposent, c’est ce que nous ne pouvons pas fabriquer, obtenir à coup d’exercices, garder pour nous ou refuser, rejeter.

Ce sont toutes ces actions qui sont déjà là, depuis le début de notre existence, qui ont leur vie propre, qui puisent leur source dans le Tao, l’ordre des choses, « l’universellement humain ».

Ce contact conscient avec ce que je ne peux pas faire, Moi, me met en contact avec l’essence même d’être vivant, d’être respiré, mis en forme, en action par la Vie.

Des actions présentes depuis la fécondation : « cela » (cellules, embryon, fœtus) se transforme, prend forme, cela respire … sans arrêt et sans mental. Des actions qui continuent chez le bébé, le petit enfant : ramper, s’asseoir, se mettre debout, voir, entendre … Les lois de la vie sont à l’œuvre, sans la présence de ce que l’on nomme par la suite la volonté.

Des actions redécouvertes et révélées sur la Voie, dans la pratique d’un exercice spécifique : forme, tenue, respiration ; voir, entendre, ressentir … actions infaisables, déjà là.

L’acte d‘Être est avant la pensée ; de cette action découlent toutes les autres.

Agir, c’est porter attention à ce qui m’anime, en deçà du besoin compulsif de faire.


Par exemple, être en relation à ce geste du souffle, qui me modèle de l’intérieur, dans une forme, une tenue, un rythme plus juste … juste parce qu’en lien avec les lois du vivant, bien différentes des lois du mental.

Agir, c’est, dans toutes mes actions, sentir ce geste du tout corps vivant que je suis, s’insérant, participant à un évènement plus vaste que « Moi » ; évènement soumis aux lois du changement, de l’impermanence, de l’interdépendance.

Agir, c’est participer à ce geste, être porté par ce geste.

Agir en lien avec l’infaisable, c’est ne plus s’opposer à ce qui apparait et disparait, à ce qui respire, se transforme naturellement, à ce geste de transformation incessant qu’est vivre.

La vie nous oblige à l’action, la présence, la participation, tout le temps.

Agir, c’est répondre à cette obligation. Alors, za-zen : une action ?

Réponse de Tchouang Tseu : « La parfaite immobilité est une action supérieure à toutes les autres »

 Joël PAUL

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dimanche 12 mai 2024

L'île intérieure


Quand le Bouddha était très âgé, sur le point de mourir, il a dit : "Mes chers amis, mes chers disciples, ne prenez refuge dans personne qui vous soit extérieur.

En chacun de nous, ici, il y a une île très sûre où nous pouvons nous rendre.

Chaque fois que vous revenez à vous-même dans cette île, par la respiration consciente, vous créez un espace de détente, de concentration et de vision profonde.

Chaque fois que vous revenez dans votre île intérieure avec votre respiration consciente, vous êtes en sécurité.

C'est un endroit où vous pouvez prendre refuge chaque fois que vous ressentez la peur, l'incertitude ou la confusion."

Prendre refuge dans son île intérieure ne signifie pas que vous quittez le monde.

Cela veut dire que vous revenez à vous-même et que vous devenez plus solide.

Il est possible de marcher dans la ville en étant ancré dans son île intérieure.

Votre réaction à ce qui se joue autour de vous sera très différente si vous êtes solide et non submergé.

Il peut y avoir des tensions dans votre corps.

Il peut y avoir de fortes émotions.

Si vous pratiquez la respiration consciente, l'énergie de la pleine conscience aide à soulager les tensions dans votre corps et vos sensations, à diminuer la souffrance.

Après une ou deux minutes de cette pratique concrète, prendre refuge dans la sécurité de votre île intérieure, vous vous sentez calme - vous ne vous sentez plus pris au piège de la peur et du désespoir, ces émotions sont transformées.

 Thich Nhat Hanh

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samedi 11 mai 2024

La vie sauvage du cerveau

 Chaque matin, une de mes amies artistes note un des rêves qu’elle vient de vivre, et l’illustre d’un dessin aussi beau qu’énigmatique. Puis, elle publie tout ça sur Instagram, et le résultat est fascinant. Un peu embarrassant parfois, tant elle s’y livre avec sincérité. Elle m’a expliqué sa méthode pour ne pas oublier ses rêves : sortir tout doucement du sommeil, les laisser remonter à son esprit, et surtout les noter tout de suite, dès le réveil. Je m’y suis entraîné, et j’ai pratiqué quelque temps, ça marche très bien.


Mais au bout d’un moment, j’ai laissé tomber. Il y a tellement d’activités intéressantes à observer dans notre cerveau ! Moi mon truc, c’est plutôt ce qui s’y passe quand nous sommes éveillés : voir vivre les autres humains, tenir un journal pour comprendre mes émotions et réactions, méditer…

Et pour ce qui s’y passe la nuit, je préfère laisser faire ma cervelle ! Et observer le résultat sans trop chercher à creuser, un peu comme un jardin que je laisserais vivre, à l’état naturel, sans y intervenir. Bon, c’est vrai que c’est un univers incroyable, je suis d’accord avec ce qu’en disait l’humoriste Pierre Dac : « Les rêves, c’est pour ne pas s’ennuyer en dormant. » Effectivement, on ne s’ennuie jamais en rêvant ; et parfois, avec sa musique étrange, vient un songe qui nous marque pour toujours.

C’est ce que le psychanalyste Jung appelle les « grands rêves », il assure qu’on n’en ferait que quelques-uns dans sa vie. Pour ma part je me souviens très précisément de mon Grand Rêve, je l’ai vécu vers l’âge de 10 ans.

Ça se passe dans une immense pièce sombre, avec des femmes qui marchent en silence dans des coursives qui me surplombent ; moi je suis en bas, tout seul, allongé sur de grands lavabos collectifs, comme ceux d’une école ou d’une colonie de vacances ; j’ai froid, je me demande ce que je fais là, tout seul, ce que font ces femmes, et ce qui va m’arriver. Je ne cherche pas à fuir, à agir, à partir. J’attends, sans peur, calmement, mais avec l’impression que quelque chose d’important va advenir…

Bizarre, hein ? Et le plus bizarre, c’est que je m’en souvienne aussi précisément depuis si longtemps. Bon, pour l’interprétation, ne comptez pas sur moi, je vous laisse la faire, si ça vous amuse. Mais vous feriez mieux de vous plonger dans vos propres grands rêves, tiens…

Vraiment, j’adore les rêves : faire les miens, écouter ceux des autres. Mais j’adore de loin, comme j’adore la poésie hermétique, celle de Saint-John-Perse, par exemple, qui reçut le prix Nobel de littérature en 1960. Un passage :

« Écoute, ô nuit, dans les préaux déserts et sous les arches solitaires, parmi les ruines saintes et l’émiettement des vieilles termitières, le grand pas souverain de l’âme sans tanière,

Comme aux dalles de bronze où rôderait un fauve.

Grand âge, nous voici. Prenez mesure du cœur d’homme. »

C’est beau, n’est-ce pas ? On peut en rester là, et laisser courir notre esprit à partir de ces images et de ces mots ; ou bien, on peut rentrer dans l’exégèse, et décoder peu à peu, puisque c’est un grand poème sur le vieillissement. Moi, bien souvent, j’en reste là, la musique des mots et la poésie des rêves me suffisent.

C’est passionnant les rêves que nous faisons la nuit, c’est émouvant, remuant, révélateur parfois… Mais il y a un truc encore plus passionnant, c’est la vie que nous menons de jour.

Et pour ma part, je préfère réfléchir à mes jours qu’à mes nuits, comprendre la veille plus que le sommeil. Je me sens proche du philosophe Diogène, quand il dit : « Nous sommes plus curieux du sens de nos rêves que des choses que nous voyons éveillés. »

Oui, de mes deux cerveaux, cerveau de jour et cerveau de nuit, je préfère jardiner le premier et laisser le second vivre sa vie sauvage, non sans admirer sa créativité !

Christophe André

 (source : le blog)

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vendredi 10 mai 2024

Les agrégats et la vacuité

 Mes chers amis,

Pour éclairer un peu le texte quelque peu énigmatique du sutra du cœur, je vous donne dans la vidéo ci-dessous quelques explications sur les agrégats et la notion de vacuité.

Avec tout mon amitié.

Philippe Fabri




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jeudi 9 mai 2024

Elévation naturelle


Ne m'oubliez pas

même si je suis parti aussi loin que

les nuages
Lorsque dans le ciel la nuit aura achevé
Son parcours nous nous reverrons

Attribué à Ariwara No Narihira Dessin Kajita Hanko










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Toute la nature est un temple déjà prêt
et disposé pour le culte.
Paul Claudel
Dessin Katsushira Hokusai, 1822


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mercredi 8 mai 2024

Terrain vague


Au pic de la nuit
Arrosée d’une lumière crue
Dardée du dedans
Je contemple
L’étendue du désastre banal
Pas grand chose à sauver
Vu depuis ce ras du réel
Sauvé, je le suis pourtant
Vieux et sauvé
Assis en posture
A même le terrain vague

Gilles Farcet

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mardi 7 mai 2024

Acceptation et méditation sont des consolations...

 Commencer par accepter avant de s'agiter n'est pas anodin: si cette forme de sagesse simple peut nous aider à éteindre le bavardage stérile, épuisant et toxique des regrets, si elle nous permet de ne garder de notre peine que l'émotion de tristesse, légitime et respectable, et de préserver nos forces pour l'action et non pour les lamentations, alors l'acceptation d'un supposé destin nous sera d'un grand bénéfice et d'un grand réconfort.



Parfois, un sentiment de sérénité émerge de la méditation : on n'a plus besoin de rien, plus de désir, plus de manque ; tout ce qu'il nous faut est là... C'est un état de plénitude non seulement agréable et soulageant, mais aussi éclairant : finalement, la paix intérieure n'est bien jamais bien loin : et la consolation de nos chagrins et de nos adversités est toujours plus proche qu'on ne l'imagine.

Christophe André - Consolations

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lundi 6 mai 2024

La séparation avec soi


Le lien à soi est aussi en souffrance, et il est, lui aussi, à restaurer. Il s’agit de la relation que Ion a avec son propre cœur, un cœur entendu au-delà même de la capacité à ressentir ou éprouver quelque chose, comme un organe spirituel qui nous relie à l’infini, à l’infiniment plus grand que soi, à ce qui est au-delà de l’espace et du temps, à l’origine de toutes choses. Mais, là encore, quelle éducation à trouver son cœur recevons-nous ? Qui nous apprend à vivre selon ce qui jaillit de ce cœur ? Quel exercice spirituel pratiqué au quotidien peut libérer dans notre existence tout entière sa source de vie, d’amour et de puissance ? Car le cœur n’est pas seulement un organe physique, sensible. Il nous relie à une profondeur à côté de laquelle la profondeur de l’univers lui-même n’est qu’une surface. Et du côté de cette profondeur, de cette origine, il y a une fontaine de miséricorde, issue d’une source mystérieuse d’où surgissent l’univers et son harmonie... Mais laquelle de nos méditations nous apprend à creuser assez profond pour libérer son jaillissement ?

Nous vivons des existences qui, hélas, sont rarement alignées entre ce plus profond intérieur et l’extérieur, où l’eau fondamentale ne s’écoule pas de nos cœurs à nos pensées jusqu’à nos actes, nos engagements, si sincères soient-ils. Nous ressentons dès lors comme une souffrance, entre ce que nous sommes et ce que nous faisons, et nous remplissons ce vide avec des consommations extérieures. Nous souffrons aussi d’une société qui ne nous donne pas l’occasion, dans notre travail, de chercher puis de libérer et d’engager la ressource de ce moi si profond, mais qui nous conditionne et nous condamne à ne vivre qu’en surface de nous-mêmes. Ainsi, nous restons si faibles, si fragiles, que nous devenons une proie toujours plus facile pour toutes les dominations, exploitations, aliénations, illusions qui prolifèrent dans le monde d’aujourd’hui.

Pour résister à cela, pour être plus forts que ce qui nous me, nos grands liens sont des canaux. Ils nous relient à des énergies sans lesquelles nous serons, hélas !, toujours plus impuissants et deviendrons plus encore des proies pour les prédateurs de toutes les dominations, de toutes les aliénations, à commencer par les aliénations consuméristes, mais aussi les aliénations politiques. L’enjeu du spirituel, c’est-à-dire l’enjeu de la puissance des liens, est inséparablement un enjeu politique. Voilà pourquoi il est urgent et nécessaire, me semble-t-il, que nous réfléchissions ensemble, que nous méditions ensemble, à partir de la ressource la plus intérieure, à la façon dont nous allons pouvoir reconstruire des vies authentiquement humaines, retisser nos liens essentiels, nos liens de vitalité, nos liens de lucidité, nos liens de lumière, les liens qui nous engagent dans le monde de façon à la fois intelligente, généreuse et amoureuse.

Abdennour Bidar - La puissance des liens

De Ilios Kotsou, Caroline Lesire, Christophe André, Abdennour Bidar, Fabienne Brugère, Rébecca Shankland, Matthieu Ricard

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dimanche 5 mai 2024

Comme un rire égaré

 SABINE DEWULF – Poète française, née en 1966

*

Comme un rire égaré
la marée est montée
et si la mer m’envahissait
profitant d’une porte
entrebâillée
la façade défaite
seul compterait le large
l’eau que je suis déjà
*
j’habite la fracture
le sens a-t-il sombré
s’aventure une trace
que confie-t-elle aux yeux déçus
sinon que le soleil
partout rend grâce au bleu
depuis la nuit
jusqu’au vertige
(Extrait de Près du surgissement, avec des photos de Stéphane Delacroix - Editions pourquoi viens-tu si tard?, 2024)
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"paysage bleu-gris horizontal" tableau de Josef Sima (peintre français d'origine tchèque 1891-1971)
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Lasse Thoresen. As the Waves of the Sea (excerpt) compositeur norvégien né en 1949

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samedi 4 mai 2024

Je suis attaché

 


Quand on pose la question "Pourquoi ?", alors on cherche une cause. Et la découverte de la cause peut prendre du temps. Vous me dites que l'attachement est dangereux, une corruption. Je vois votre logique, j'accepte votre logique, je vois que ce que vous dites est vrai mais au final, je suis toujours attaché !

Q : Je pense qu'il faut une sorte de crise profonde...

K : Ah, alors j'attendrai après le temps ! Mais je ne veux pas que le temps dissolve mon problème. Et le temps ne dissolvera pas mon problème.

Vous me dites que l'attachement est une corruption. Vous me l'expliquez très logiquement. Je vous écoute. Je ne demande pas : "Pourquoi je ne change pas ?" Je suis toujours attaché... Je ne demande pas : "Pourquoi je ne lâche pas prise ?" Si je demande pourquoi, je cherche une cause. Et ce qui a une cause, a une fin. Vous me direz que la cause est ceci et cela et cela... Je ne chercherai donc pas la cause.

Je sais que je suis attaché, je vous ai écouté, j'ai écouté votre logique, votre clarté, je dis oui, c'est parfaitement vrai. Mais à la fin, je suis toujours attaché — c'est tout ce que je sais.

Cela ne m'intéresse pas d'y mettre fin. Je m'accroche juste à cela : je vois que je suis attaché. Je ne demanderai pas pourquoi je suis attaché, mais simplement : "Je suis cela".

Je pense qu’il est désastreux de se demander quelle est la cause. L'univers n'a pas de cause, c'est nous qui avons des causes. Si je peux ne pas penser en termes de cause, de temps, alors : "Je suis attaché".

Cette réalité-même du "Je suis attaché" opère.

Je n'ai rien à faire !

Comprenez-vous ?

~ Jiddu Krishnamurti

(extrait d'une vidéo - Brockwood Park, 1981)

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