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Au cœur d’Al-Jazira

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La salle de rédaction et le plateau d’Al-Jazira anglais.

La salle de rédaction et le plateau d’Al-Jazira anglais.
© Vincent Capman
de notre envoyée spéciale Pauline Delassus

La chaîne d’information du Qatar est la plus suivie dans le monde arabe. Reportage à Doha, quartier général d’une rédaction, première sur le front des révolutions... et des polémiques.

Un des leurs vient d’être arrêté place Tahrir au Caire. Les présentateurs interrompent leur direct, l’ambiance se tend dans les studios de Doha, à deux pas des buildings du centre-ville dressés entre mer et désert. Tandis qu’Al-Jazira arabe et son double anglophone diffusent en continu les images des manifestations égyptiennes, sur le terrain, leurs reporters doivent se cacher pour travailler. Bureau détruit, accréditations confisquées, ils sont pourchassés par la police, détenus, parfois battus. Au cœur de la révolte, informant heure par heure et sans censure, allant à l’encontre de la propagande des télés d’Etat, ce sont des cibles de choix pour la répression gouvernementale. Et les premiers témoins d’un événement suivi avec avidité partout dans le monde.

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Destinée à un public oriental, présentée en arabe classique par des hommes en costume et des jeunes femmes pour la plupart non voilées,
diffusée dans 100 pays de l’Asie du Sud-Est à l’Amérique du Nord, Al-Jazira a pour devise « l’opinion et l’opinion contraire ». Depuis qu’elle a donné la parole à Oussama Ben Laden, certains la surnomment « Terror TV ». Pour d’autres, c’est « la CNN arabe ». Al-Jazira est aujourd’hui regardée dans plus de 50 millions de foyers. C’est la chaîne numéro un en Orient. Invitant dans ses émissions les représentants de tous les bords, elle est successivement accusée d’être pro-talibans ou pro-­américaine. Et leurs correspondants en Israël sont régulièrement maltraités par l’Autorité palestinienne comme par les Israéliens. Ses talk-shows fiévreux réunissent devant les écrans des nations entières. L’un des plus connus, « La charia et la vie », est animé par Cheikh Youssef al-Qaradawi, un religieux égyptien. ­Apprécié pour sa franchise, parlant de politique aussi bien que de sexualité, il est devenu l’un des hommes les plus influents de l’islam contemporain.

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« Al-Jazira a donné de la voix au contre-pouvoir dans cette partie du monde »

« Al-Jazira a donné de la voix au contre-pouvoir dans cette partie du monde », explique Rachid Khechana. La cinquantaine grisonnante, en charge du service « Maghreb » à Doha, ce Tunisien défend la liberté éditoriale d’Al-Jazira et rappelle que la chaîne donne la parole aux hommes d’Etat autant qu’à leurs opposants. Un collègue, le dynamique reporter Nasser Hssaini, précise : « Ce n’est pas la cause égyptienne qui nous motive, nous sommes plus cyniques. Ce qui compte c’est de rapporter des images. » Créée en 1996 par l’émir du Qatar, Hamad ibn Khalifa al-Thani, dans le but de rompre avec la mainmise des Saoudiens sur les médias de la région – notamment par le biais de la chaîne Al-Arabiya –, Al-Jazira, dont le nom signifie « l’île », démarre avec une toute petite équipe de journalistes formés par la BBC et basés à Doha dans des bureaux restés depuis le quartier général du groupe. Salles de rédaction et de montage équipées des dernières technologies, plateau télé chic et sobre, on respire dans les longs couloirs une odeur de thé à la menthe et de photocopieuse. A la cafétéria, on croise quelques femmes voilées, d’autres très maquillées et des hommes en costume traditionnel du Golfe. Dotée à sa naissance de 100 millions d’euros, quinze ans plus tard la chaîne ne fait toujours pas de bénéfices. « Une entreprise de presse libre ne gagne jamais d’argent et nous avons une économie très serrée », commente l’un de ses responsables.

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Dès 1998, Al-Jazira ouvre un bureau à Kaboul et s’intéresse aux autorités talibanes, entrant notamment en contact avec Ben Laden. En 2001, leur correspondant couvre ainsi en exclusivité les débuts de la guerre. Fin 2010, toujours en avance sur un monde qu’ils côtoient plus régulièrement que leurs confrères occidentaux, les dirigeants d’Al-Jazira programment une émission quotidienne intitulée « Les moissons maghrébines », sur l’actualité de cette région, quelques semaines avant le début de la révolution tunisienne. En 2006, Al-Jazira anglais voit le jour, au Qatar toujours, dans un studio neuf, situé à quelques mètres de sa grande sœur arabe, sur le trottoir d’en face. Anglophone, visant un public international, elle respecte la même éthique. « Nous sommes honnêtes, précis et fiables, explique son directeur, Salah Negm. Nous présentons les informations depuis le monde arabe, mais de manière impartiale. Bien sûr, ça ne plaît pas. » Al-Jazira affirme que sa couverture de la révolution égyptienne subit des brouillages sur les satellites qui diffusent en Orient. Mais le monde entier, chefs d’Etat compris, a les yeux rivés sur les images exclusives des manifestations, les déclarations de l’opposition et les révélations sur les tractations au sein du gouvernement égyptien diffusées par la chaîne. Grâce à l’émir généreux, aux présentatrices permanentées et aux reporters sans peur, le monde arabe a peut-être trouvé sa voix...

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