La connaissance du latin

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Le temps n’est plus où la connaissance du latin était la condition sine qua non de toute réussite et où, pour être persona grata, il fallait traduire aperto libro Cicéron et Virgile. Le principale aléa d’une telle ignorance se manifestait de plano par la mise à l’index des anti-latinistes : car tout homme qui avait la super-audace de mépriser les études latines était apriori tenu pour minus habens ou pour fou incurable destiné à mourir de delirium tremens.
 
Fort heureusement, il y avait un hic pour nos adversaires : ils ne comprenaient pas le latin, ils le devinaient. Car les hommes qui employaient le latin comme langue vivante et nationale ont été depuis très longtemps envoyés ad patres, souvent manu militari, parfois proprio motu, par un genre de suicide dont ils avaient usage ad libitum.
 
Opposons donc un veto formel aux exigences des latinistes. Disons-nous mutuellement : carpe diem ! Considérons surtout le triomphe des gens qui n’ont jamais su un seul mot d’une langue morte. Admirons de visu leur maintien. Ils sont épanouis comme des héritiers se partageant les biens d’un de cujus. Ils réussissent tous ex aequo, sans avoir besoin de consacrer un ex-voto à la divinité. Ils parlent coram populo, en s’exprimant grosso modo avec un lapsus linguae tous les dix mots ; mais à notre époque de révolutions, qu’importe le respect dû à la grammaire, à la syntaxe, aux liaisons, etc… etc… On peut même affirmer que ces ignorants du latin sont admis de jure parmi les maîtres du monde. Plus d’un est devenu deux ex-machina de la politique internationale. Tel fut le cas, sans quiproquo, de Vladimir Ilitch Oulianov, alias Lénine. Ses manuscrits n’ont pas besoin d’être enregistrés ne varietur. Ils ont été recueillis par son successeur, ou plutôt son alter ego qui, mutatis mutandis, lança urbi et orbi des proclamations retenues ad aeternum, et qui, sans modifier son modus vivendi, possédait un exceptionnel curriculum vitae, car il était le seul sui generis.
 
Je pourrais vous dire encore bien des choses ; mais sat prata biberunt. Renvoyons sine die toutes et plus amples explications. Obéissons à un nec plus ultra de notre conscience. Et rentrons chez nous avec les moyens ad hoc, les uns pedibus, les autres dans un véhicule cahotant ou non comme un antique omnibus. Je parle pour ceux qui, voyageant incognito, font le trajet ville-faubourg et vice-versa. Nous arrivons toujours à destination dans un temps minimum mais avec un maximum d’efforts, au prorata de nos moyens.
 
En lisant ces lignes, oubliez que je vous ai infligé un pensum. Je ne réclame aucun satisfecit. Je fais même mon mea culpa. Rappelez-vous seulement ( et au besoin, inscrivez-le sur un agenda, un memento ou un memorandum) que le latin, res nullius, doit être expulsé dans un tollé général de la langue française. Ne cherchons aucune excuse en sa faveur, comme un avocat qui invoque un alibi en faveur d’un coupable. Enfermons la population latiniste dans un numerus clausus qui arrêtera le processus de sa pernicieuse activité et la réduira à un seul specimen. Ne conservons qu’un expression latine, une seule, précisément parce que les latinistes disent que c’est une grosse faute de grammaire : vulgum pecus.
 
Donc n’étudions plus le latin. Disons « vade retro » à tout latiniste.Comme vous le voyez, on peut très bien parler français sans employer un seul mot latin. Vous êtes de mon avis, n’est-ce pas ? D’ailleurs, je ne vous convie pas à un referendum. Je vous lance un ultimatum.
 
Jean Alessandri