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L'Amérique triomphe en 49 icônes

L'heure est aux chefs-d'oeuvre. Après «Les clefs d'une passion» à la Fondation Vuitton, le Grand Palais accueille ceux du SFMoMA, tout à la gloire du Nouveau Monde, de ses artistes et de ses grands collectionneurs.

Liz Taylor, bouche affirmée de princesse de Hollywood, œil mauve sous la paupière turquoise, cheveux de jais et coiffure de dame, vous attend sur fond rouge sang au Grand Palais. Liz#6, 1963, est un Warhol de légende qui associe le glamour des studios et la mort qui rôde. Fossoyeur de la chair convoitée des idoles, Warhol transforme en sainte icône, par les plages contrastées de couleurs, une photo sérigraphiée de la star qui a failli mourir d'une pneumonie à Londres en 1961. Lionne combattante, Liz Taylor était sur pied peu après pour recevoir son premier oscar de la meilleure actrice, en 1961, couronnant son rôle de prostituée dans La Vénus au vison de Daniel Mann (Butterfield 8, selon le titre original). La future Cléopâtre, dont les cachets faramineux faisaient pâlir de jalousie Marilyn Monroe, est l'étendard des «Icônes américaines» du SFMoMA, merveilles «larger than life» présentées au Grand Palais, avant d'envahir, cet été, le Musée Granet à Aix-en-Provence.

«Vous comprendrez, quand vous verrez l'Amérique, qu'un jour ils auront des peintres, parce que ce n'est pas possible, dans un pays pareil, qui offre des spectacles visuels aussi éblouissants, qu'il n'y ait pas de peintres un jour.» La prophétie date de 1933. Comme tous les autres Européens de retour des États-Unis, Matisse se dit envoûté et annonce l'avènement d'une nouvelle ère, celle de l'Amérique.

«Un jour, ils auront des peintres», l'Avènement des peintres américains (Paris 1867 - New York 1948) est devenu un livre phare d'Annie Cohen-Solal (2000). Et une évidence au regard du marché de l'art international, toujours ancré à New York, qui entretient fermement la cote de ses valeurs nationales et anglo-saxonnes.

Le plus ancien musée d'art moderne des États-Unis

C'est exactement cette prophétie que met en œuvre le SFMoMA (Museum of Modern Art de San Francisco) en prêtant à Paris 49 de ses chefs-d'œuvre. Seulement 15 artistes, mais quels artistes! Du peintre Richard Diebenkorn (1922-1993), le fer de lance de la Bay Area Figurative Art aux abstractions tellement poétiques, à Roy Lichtenstein (1923-1997) qui met son studio sur la trame pointillée de la BD, de Chuck Close, 74 ans, dont les portraits géants sont de complexes puzzles d'images, à Donald Judd (1928-1994) qui donne une sensualité douce à la géométrie spatiale. Fondé en 1935, le SFMoMA, le plus ancien musée d'art moderne des États-Unis, riche de 30.000 œuvres modernes et contemporaines, a fermé ses portes depuis 2013 pour des travaux d'extension. Il doit rouvrir dans un an avec un accrochage qui mettra en gloire cet art «postwar» américain, roi des enchères, notamment la collection de Doris et Donald Fisher (1 100 œuvres de 185 artistes) dont il est l'heureux dépositaire. Il fallait en choisir seulement 15, des plus illustres (de Warhol à Calder), aux moins connus du grand public français (de Philip Guston à Brice Marden). Ils sont représentés chacun par des œuvres, entre 3 et 7, souvent de très grand format, si typiques du Nouveau Monde et de ses grands espaces.

Vous comprendrez, quand vous verrez l'Amérique, qu'un jour ils auront des peintres, parce que ce n'est pas possible, dans un pays pareil, qui offre des spectacles visuels aussi éblouissants, qu'il n'y ait pas de peintres un jour

Matisse

Naissance d'une nation, dirait le cinéaste David W. Griffith? Les sages galeries qui accueillaient hier Depardon, le reporter de la France profonde, ou Mapplethorpe, l'ange et démon du New York underground, sont métamorphosées par la scénographie solennelle de Bill Katz, le directeur artistique, et de son maître d'œuvre, Nicolas Adam. Très hautes cimaises blanches, qui donnent à chaque artiste son espace vital et au promeneur la sensation d'entrer dans le temple sacré de l'art.

Les décrochés, les meurtrières permettent d'entrevoir un peu de la suite. C'est donc bien de l'histoire de l'art américain et de sa succession en chapitres qu'il s'agit. Les commissaires de l'exposition, Gary Garrels et Elise S. Haas, ont une intimité particulière avec leurs icônes, si grandes et pourtant si délicates (Agnes Martin et ses grilles au graphite, fin comme une lame de rasoir).

Reprenant les consignes de Mark Rothko pour sa série du «Seagram Building», ils ont accroché bas ces géants, ce qui permet à l'œil de les apprivoiser et à l'esprit de s'y perdre.

Scénographie solennelle

L'entrée dans ce naos est de toute beauté, grâce à Calder, toujours lui, le magicien de la sculpture en mouvement. Sa Tower with Painting, 1951, trésor de la collection Fisher, est belle comme la tour Eiffel, qui fusionne avec la Grande Roue dans L'Équipe de Cardiff peinte par Robert Delaunay en 1912-1913 («Les clefs d'une passion» à la Fondation Vuitton). Avec un grand goût, les commissaires ont fait se refléter le haut mobile sur le mur par un jeu d'ombres expressionniste digne du Cabinet du docteur Caligari de Robert Wiene (1920).

Si l'on part vers la gauche, on aborde l'Amérique par Agnes Martin et Brice Marden, soit un dépouillement volontaire des artifices qui évoque tour à tour la méditation, la calligraphie et la danse.

Si l'on part vers la droite, on retrouve intacte la joie de la couleur d'Ellsworth Kelly, 91 ans, et notamment son Spectrum I (1953), œuvre historique qui lui a inspiré, depuis, le rideau de scène de l'Auditorium à la Fondation Vuitton. Grand manitou des musées américains, de la Menil Collection, à Houston (Texas), au MoMA, feu Cy Twombly (1928-2011) est ici exposé comme une charade, en trois œuvres énigmatiques et curieusement charnelles (dont Second Voyage to Italy, 1962, tout en graffiti de crayon gras, et Bacchus Ist Version IV, 2004, sanglant comme la mythologie).

Sol LeWitt dessine sur le mur ses Wall Drawings, variations subtiles qui firent l'événement au Centre Pompidou-Metz. Donald Judd aligne ses caissons en cuivre et Plexiglas, comme au tout nouveau Museo Jumex de Mexico. Mais c'est Warhol qui incarne l'Amérique en son acmé, avec ses icônes volées à la presse et aux faits divers (Jackie Triptych et Two Jackies, 1964), à ses stars de plateau, Liz, Marlon, peintes au même titre que les gangsters de sa série «Most Wanted Men». L'art, quel cinéma!

«Icônes américaines, chefs-d'œuvre du San Francisco Museum of Modern Art et de la collection Fisher», Grand Palais, jusqu'au 22 juin. Renseignements: www.grandpalais.fr ou 01 44 13 17 17.

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