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«Schitz» : Hanokh Levin, enrobé de mariés

«Schitz» : Hanokh Levin, enrobé de mariés | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Publié par Hugues Le Tanneur dans Libération

 

A Paris, une pièce déjantée du dramaturge israélien, où un couple XXL veut marier sa fille.`

 

(...)

 

Ecrit en 1975 au moment de la guerre des Six Jours, Schitz est un des textes les plus acides d’Hanokh Levin.

Shpratzi aspire à se marier et ses parents à la voir fonder une famille. Ce qui dans les dialogues ciselés au vitriol par le dramaturge signifie que non seulement elle ne pense qu’à quitter ses parents mais aussi à les dépouiller de tout ce qu’ils possèdent. C’est d’ailleurs dans une scène de marchandage sans pitié que Tcharkès obtient du père la main de sa fille. Les tourtereaux échafaudent derechef des plans pour en finir avec Schitz en qui ils voient un mort en sursis. Première étape : semer la discorde dans le couple en faisant miroiter à la mère un voyage sans son mari à Los Angeles avec à la clef une aventure extraconjugale.

Tout à leur conspiration, ils trouvent quand même le temps de consommer avec un peu d’avance leur union, comme on s’acquitterait d’une formalité indispensable - ne doivent-ils pas à leur tour se reproduire ? La chose accomplie, Tcharkès s’essuie sans complexe dans les cheveux de sa compagne. Plus que le sexe, c’est l’argent qui compte, comme le prouve la cérémonie de mariage où le marchandage entre le père et le prétendant reprend de plus belle.

Cousu d’or. La noce n’est pas achevée que déjà la mère annonce à Schitz qu’elle le quitte. Mais voilà qu’une nouvelle chamboule tout, c’est la guerre. Tcharkès doit partir au front. Il en revient cousu d’or. Et déterminé plus que jamais à en finir avec son beau-père.

Ce qui est merveilleux dans ce théâtre, et dont cette mise en scène rend parfaitement compte, c’est que les personnages ont beau être des affreux, ils sont en même temps profondément sympathiques. Leur dimension caricaturale y est bien sûr pour quelque chose. La précision et l’humour phénoménal des interprètes - Bruno Vanden Broecke et Mieke Verdin en particulier sont d’une drôlerie et d’une inventivité étourdissantes - jouant un rôle essentiel dans la réussite de cette satire aussi méchante que désopilante.

 

 

«Schitz» de Hanokh Levin m.s. David Strosberg, jusqu’au 16 avril au théâtre de la Bastille, Paris 75011.


Lire l'article entier  --->  http://www.liberation.fr/culture/2015/04/01/hanokh-levin-enrobe-de-maries_1233276
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Au fait, et ce tableau en trompe-l'oeil qui illustre le blog ? Il s'intitule  Escapando de la critica, il date de 1874 et c'est l'oeuvre du peintre catalan Pere Borrel del Caso

 

Julie Dupuy's curator insight, January 15, 2015 9:31 AM

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« Corps premiers » : la fair play de Cédric Orain

« Corps premiers » : la fair play de Cédric Orain | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Philippe Chevilley dans Les Echos - 16 avril 2024

 

Sillonnant les Hauts-de-France, Cédric Orain présente sa dernière création à la Comédie de Reims. Labellisée Paris 2024 dans le Cadre de l'Olympiade culturelle, elle donne la parole à des athlètes qui ont révolutionné leur discipline et interroge le sport comme passion de l'impossible.

 

Après quoi courent les sportifs ? Assis sur un banc éclairé au néon, un homme interroge une femme qui incarne les grands noms du siècle dernier : Dick Fosbury, génie du saut en hauteur, Colette Besson, championne du 400 mètres, ou encore Kathrine Switzer, pionnière du marathon féminin. Si ces athlètes ont révolutionné les codes de leur discipline au défi du corps physique et social, ce sont moins leurs performances que leurs trajectoires qui font ici l'histoire. Témoignant de leurs parcours accidentés, semés d'imprévus et des hasards, toutes et tous ont battu des records en osant le hors-piste.

Corps en puissance

 

Dans une scénographie épurée et un dispositif audiovisuel minimal mais efficace, la mise en scène fait du corps le coeur de la pièce. Accompagnés de brèves images d'archives diffusées sur petite lucarne et de quelques pulsations sur les transitions, Claude Degliame et Maxime Guyon trouvent un espace de jeu à la mesure de leur brio. Du jargon des commentateurs extatiques au parler maladroit des sportifs en interview et à l'émotion à vif des supporters dans les gradins, le duo explore avec justesse et esprit ces endroits où les mots ne peuvent atteindre les sens.

 

Mais c'est la parole performée d'Aurora Dini qui donne corps de la façon la plus frappante à ce paradoxe. Naviguant entre sport et art, l'artiste italienne enchaîne les figures de GRS au sol et de voltige au cerceau aérien. En même temps, elle se livre sur son enfance de gymnaste et sa reconversion, contrainte mais heureuse, en circassienne. Alors que chaque fibre de ses muscles se tend pour maintenir l'équilibre fragile de sa silhouette élancée, elle réussit par un tour de force à effacer l'effort derrière un mouvement gracieux et un récit intime.

 

Entre la violence de l'excellence, le cloisonnement des genres et le culte des champions, le monde du sport est aujourd'hui mis à l'épreuve de ses impensés. Ainsi le texte de Cédric Orain, s'il donne parfois l'impression de se disperser, s'aventure sur un terrain riche de pistes à explorer. Guidée par une sensibilité et des intuitions fines, « Corps premiers » peut gagner en profondeur, mais avance déjà en tête de course.

 

Callysta Croizer / LES ECHOS

 

 

CORPS PREMIERS

Texte et mise en scène Cédric Orain

à l'Echangeur - Bagnolet (du 22 au 26 avril).

lechangeur.org/

https://lechangeur.org/programmation/spectacles/corps-premiers

 

Teaser vidéo de Corps premiers 

Spectacle labellisé Paris 2024 dans le cadre de l'Olympiade Culturelle.

Durée 1 h 35

 

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Marilú Marini, l’unique -  Article de Jean-Pierre Thibaudat 

Marilú Marini, l’unique -  Article de Jean-Pierre Thibaudat  | Revue de presse théâtre | Scoop.it

par Jean-Pierre Thibaudat dans son blog - 22 avril 2024

 

Du TSE à Copi, de Fassbinder à Shakespeare, de Paris à Buenos Aires, Sandrine Dumas signe un portrait filmé aussi sensible que complice de la plus française des actrices nées en Argentine, Marilú Marini.

 

Sandrine Dumas et Marilú Marini se sont rencontrées il y a longtemps sur un plateau, leurs rôles étaient ceux d’une fille et d’une mère. Tout est parti de là. D’une jeune actrice et d’une actrice plus âgée qui aurait pu être la mère de la première. Depuis, Sandrine Dumas est passée de l’autre côté, Marilú Marini a poursuivi sa carrière d’actrice. « Un jour, raconte Sandrine, elle m’a annoncé qu’elle partait avec le metteur en scène Pierre Maillet à Buenos-Aires pour y jouer un spectacle sur Copi qu’il avait créé en France. Et tout à coup, il m’a paru évident qu’il fallait que je filme ça. (...) C’était un élan plus qu’un projet, je devinais qu’elle serait très émue de jouer ce texte en Argentine... »

 

Née en 1940 en Argentine d’un père italien et d’une une mère prussienne, Marilú Marini devient danseuse dans un pays où règne alors la dictature. Elle s’oppose au régime comme beaucoup d’autres jeunes épris de liberté et de justice, à Buenos-Aires elle montre ainsi à Sandrine l’endroit où elle a été enfermée 25 jours à l’isolement dans une cellule. Ses jeunes amis du groupe Tse emmenés par Alfredo Arias sont partis pour la France, elle les rejoint à Paris en 1975, intègre la troupe, devient pleinement comédienne et fait partie de la distribution de Peines de cœur d’une chatte anglaise au TGP, énorme succès en 1977. D’autres spectacles enchanteurs suivront comme Mortadela en 1992.

Marilú parle joliment à Sandrine de sa « complicité très grande » avec Alfredo Arias. « J’étais admirative et complètement fascinée par lui. A Paris j’étais seule, ma famille c’était eux ». Plus tard, elle coupera le cordon ombilical (« Alfredo me manque mais je suis contente de cette distance, c’était bien pour nous deux »). Quand Alfredo Arias met en scène La tempête de Shakespeare dans la cour d’honneur du Palais des papes au Festival d’Avignon, Pierres Dux tient le rôle de Prospero et Arias confie à Marilú le rôle du diable malfaisant, Caliban, elle est affublée d’un impressionnant maquillage. Des années plus tard, dans son ultime spectacle  Tempest project, Peter Brook confie à Marilú le rôle opposé, celui de l’ange Ariel. Le portrait de l’actrice avance ainsi par touches sensibles, entre présent et passé, répétitions et représentations, archives et conversations avec Sandrine Dumas.

 

 

La femme assise de Copi en 1984 vaudra à Marilú Marini le prix hautement mérité de la meilleure comédienne. Le film nous offre une bel extrait de ce spectacle incroyable. « Je suis argentine mais dans mon corps il y a les tatouages de la culture française » dira-t-elle et ajoutera : «  je déteste la nostalgie poignante des exilés ». Autre éclairage : « En Argentine on est toujours au bord du gouffre » souligne-t-elle alors qu’elle joue à Buenos Aires Los dias Felices  (Oh les beaux jours) de Beckett dans une mise en scène d’Arthur Nauzyciel. Sandrine la suit à Marn el Plata où Marilú vivait autrefois avec sa mère, sa tante et son frère (le père s’était réfugié en Patagonie). Un sourire dans les yeux, elle se souvient du goût délicieux des king crabs…Et puis , soudain, comme une évidence résumant sa vie toujours sur la brèche à 84 ans : « L’endroit où je me sens le plus libre au monde, c’est sur un plateau. Tout est millimétré, mais je me sens libre ».

 

 

Ce que filme aussi Sandrine Dumas avec beaucoup de tact, c’est le vieillissement du corps de l’actrice. « Avec l’âge, le corps de ma mère est très présent » dit Marilú, une mère dont elle ne sait « si elle m’a aimée ou non ». Elle se lève, quitte la loge qu’elle occupe avec une jeune actrice débutante, se dirige vers la scène, avant d’y entrer, elle se signe et crache par terre. Les dieux du théâtre veillent sur elle. « Tu peux filmer jusqu’à ce que je meurs » lance-t-elle à Sandrine. C‘est un « pacte » entre elles. Et de rire. Alors tous les acteurs et actrices du spectacle font la queue pour serrer entre leurs bras, Marilú Marini, l’unique.

 

Jean-Pierre Thibaudat / Balagan 

 

Le film "Marilú Marini, rencontre avec une femme remarquable" sort ce mercredi,  le 24 avril

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«Royan, la Professeure de français», tableau brûlant –

«Royan, la Professeure de français», tableau brûlant – | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Sabrina Champenois dans Libération - 21 avril 2024

 

Au Théâtre de Paris, Nicole Garcia reprend la pièce de Marie NDiaye, qui évoque entre autres le harcèlement scolaire et l’effet de meute.

 

A lui seul, le casting est une promesse : Marie NDiaye, dite par Nicole Garcia. Ces deux-là sont magnétiques, des vecteurs d’intranquillité, leur convergence garantit tension, intensité et magnitude conjuguées. Le contexte en a rajouté : on a assisté à Royan – la Professeure de français (pièce créée en 2020 et donnée à plusieurs reprises depuis) le jour même de la mise à feu, par Gabriel Attal, de l’opération «pour un sursaut d’autorité» face à la juvénilisation de la violence – l’intervention du Premier ministre faisait suite à la mort de Shemseddine, adolescent de 15 ans, tabassé près de son collège. La lourdeur du discours bazooka gouvernemental a décuplé la puissance tout en ambiguïtés de la fiction.

Brassée de serpents

C’est un monologue d’une heure et vingt minutes, écrit pour Nicole Garcia qui joue Gabrielle, une prof de français expérimentée. Elle est pourvue de tous les accessoires afférents : cartable en cuir, imper beige, chemise blanche sur jupe noire, assurance. Seuls ses cheveux ne sont pas codifiés, elle leur accorde d’ailleurs une importance démesurée – «Mes cheveux sont brillants et soyeux cependant si chargés d’électricité qu’ils crépitent quand je remue la tête, comme une multitude de petits explosifs.» Elle faisait aussi une fixette sur ceux de Daniella, à ses yeux une brassée de serpents menaçants. Daniella était son élève préférée sans qu’elle le dise vraiment. Daniella s’est jetée du troisième étage du lycée où Gabrielle enseigne. Daniella qu’elle n’a pas su, n’a pas voulu écouter et dont elle a recueilli les derniers mots, pour «[ses] pauvres parents». Mais tout ça, Gabrielle n’en dit rien, à personne. Surtout pas aux parents de Daniella dont elle fuit le désespoir.

Toute la pièce se passe au même endroit : le hall de l’immeuble de Gabrielle. Les parents de Daniella vivent aussi là, ils sont ses voisins de palier. Gabrielle en est persuadée, ils la guettent, crèvent d’envie d’avoir des explications, elle rechigne à monter. Acculée, Gabrielle fait des allers-retours entre les rangées de boîtes aux lettres et les quelques marches. Elle se refuse absolument au dialogue, mais les invective d’en bas, «Parents !», les rejette façon vade retro satanas : «Oh je ne veux pas vous voir, Je ne veux pas vous parler, Je ne veux pas vous connaître, Je voudrais que vous soyez morts emportés par votre douleur bien proprement sans souffrir. Mourez ! Disparaissez !»

 

Proie parmi «les fauves»

Gabrielle est une cocotte-minute sur le point d’imploser, elle halète, psalmodie «ne pas répéter ! Ne pas répéter !» On se dit qu’elle est folle, possédée, paranoïaque, on l’imagine toute puissante dans sa salle de classe, ses élèves à sa merci. Et parmi eux, Daniella, qu’elle décrit laide, dépenaillée, poilue, ne faisant aucun effort pour se conformer à une quelconque bienséance : «Sauvage.» Ses parents n’ont rien fait, laisser-aller coupable, «manquements». Alors qu’elle-même, Gabrielle, a réprimé sa propre sauvagerie, a obéi à la doxa, celle de la société et celle de sa mère qu’elle a eu la tentation d’étrangler. Et dans la salle de classe, quand elle s’est retrouvée proie parmi «les fauves», elle a encore su détourner l’attention. Sauve qui peut, quitte à sacrifier la jeune fille indomptée, la survie en milieu hostile exige une stratégie, fut-elle celle de la lâcheté. Gabrielle, qui fait semblant, que personne ne connaît vraiment, qui a abandonné mari et fille du jour au lendemain, n’est pas aimée, ni aimable, mais Gabrielle fonctionne. Daniella, elle, est morte d’avoir été trop elle-même.

 

Portrait en miroir d’une femme et une jeune fille en feu, confession d’une femme au bord du précipice, requiem pour les esprits trop libres, dénonciation du harcèlement scolaire, réquisitoire contre l’effet de meute mais aussi contre le silence qui l’accompagne : il y a tout ça, dans Royan, La professeure de français, qui se fond dans une incandescence des mots et de l’interprétation. Monstrueuse autant que vulnérable, voix rauque et regard autoritaire autant qu’affolé, Nicole Garcia, 77 ans, est sobrement mise en scène par son fils Frédéric Bélier-Garcia. Elle n’a effectivement besoin d’aucun effet.

Royan – La professeure de français, pièce de Marie NDiaye, avec Nicole Garcia, mise en scène Frédéric Bélier-Garcia, jusqu’au 28 avril au Théâtre de Paris, Paris IXe.
 
 
Légende photo : Toute la pièce se déroule dans le hall de l’immeuble de Gabrielle, prof de français jouée par Nicole Garcia. (Jean Louis Fernandez/Théatre de la ville)
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Jérôme Derre, inoubliable - L'hommage d'Armelle Héliot 

Jérôme Derre, inoubliable - L'hommage d'Armelle Héliot  | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Armelle Héliot dans son blog - 18 avril 2024

 

Cet artiste singulier, farouche, interprète extraordinaire, dès son plus jeune âge, s’est éteint il y a deux jours. Saluons sa mémoire.

Emmanuel Meirieu, qui l’admirait et avec qui Jérôme Derre aura souvent travaillé, ces dernières années, lui a consacré un texte très bouleversant, apprenant sa mort, le 16 avril dernier. Jérôme Derre était né en 1958, il s’éclipse à 65 ans, près de 66 ans. C’est encore jeune de nos jours. On l’aurait bien imaginé plus tard dans de grands rôles Shakespeariens. Il aurait fallu qu’il trouvât en lui un apaisement.

 

Jérôme Derre aura travaillé depuis les années 70, à l’orée de ses vingt ans et par exemple, en 1978, sous la direction de Denis Guenoun. On a pu l’applaudir sur les plateaux de théâtre jusqu’il y a quelques saisons, avec, notamment, une reprise en tournée de Mon traître, d’après Sorj Chalandon.  En 2018, il avait embarqué avec Jean-Yves Ruf. Plus de quarante années de théâtre. Sans devenir célèbre au-delà du monde du spectacle vivant. Mais au cœur de ce monde, il était admiré, aimé, considéré comme un poète des tréteaux. Et il figure au générique de films singuliers.

Il aura travaillé avec les metteurs en scène de les plus exigeants de son époque. Pas seulement son exacte génération. Plus âgés pour certains, plus jeunes pour d’autres. Mais tous ayant en partage de fortes personnalités, un amour des textes, le sens de la troupe, du groupe.  Bruno Boeglin, Serge Valletti, Chantal Morel, Jean-Paul Wenzel, Georges Lavaudant, longtemps, Jérôme Derre fit partie de bien des aventures et fut intégré à la troupe de l’Odéon. Il travailla également avec Matthias Langhoff, Ariel Gracia-Valdès, Lukas Hemleb et aussi Emmanuel Meirieu, Jean-Yves Ruf.

Spectateur, on ne le voyait plus guère. On avait des nouvelles par les artistes établis à Hérisson, où il avait choisi de vivre, de survivre. Un destin tragique.

 

 

Les obsèques de Jérôme Derre auront lieu mardi prochain, le 23 avril 2024, à 15h00, au cimetière, 16, Rue Luylier de Couture, 03190 Venas.

 

 

 

En note, son chemin au théâtre, retracé par le site de la BnF :

Les Fils prodigues » (2018) de Jean-Yves Ruf

« Des Hommes en devenir » (2017) de Emmanuel Meirieu

« Mon traître » (2013) de Emmanuel Meirieu avec Jérôme Derre comme Acteur

« La tragédie du Roi Richard II » (2010) de Jean-Baptiste Sastre

« Laissez-moi seule » (2009) de Bruno Bayen

« Mesure pour mesure » (2008) de Jean-Yves Ruf

« Les folles d’enfer de la Salpêtrière » (2007) de Anne Dimitriadis

« La lamentable tragédie de Titus Andronicus » (2003) de Lukas Hemleb

« Les aventures de soeur Solange » (2002) de Bruno Boëglin

« Pawana » (1992) de Georges Lavaudant

« Un jour, au début d’octobre » (1990) de Chantal Morel

« Groom » (1985) de Chantal Morel

« Volcan » (1984) de Serge Valletti

 

 

Armelle Héliot 

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Judith Godrèche, MeToo et le cinéma : ces acteurs qui acceptent (enfin) de parler

Judith Godrèche, MeToo et le cinéma : ces acteurs qui acceptent (enfin) de parler | Revue de presse théâtre | Scoop.it

par Bruno Deruisseau dans Les Inrocks - 16 avril 2024 

Publié le 16 avril 2024 à 19h00
Mis à jour le 26 mars 2024 à 17h36



Nous avons sollicité une trentaine de comédiens. Seuls six d’entre eux, Melvil Poupaud, Niels Schneider, Reda Kateb, Jérémie Renier, Corentin Fila et Nahuel Pérez Biscayart, nous ont répondu.

“Depuis quelque temps, je parle, je parle, mais je ne vous entends pas.” Cette phrase prononcée par Judith Godrèche sur la scène de la 49e cérémonie des César résonnait toujours une fois la soirée terminée. Car son discours eut bien peu d’échos durant le reste de la soirée. Quasiment aucune parole masculine publique pour apporter un soutien à l’actrice-réalisatrice, que ce soit avant, pendant ou depuis la cérémonie. Ce silence des hommes sur les violences et le harcèlement sexistes et sexuels (VHSS) dans le milieu du cinéma devient assourdissant. C’est pour le briser que nous avons demandé à une trentaine d’acteurs du cinéma d’auteur français de s’exprimer sur la vague MeToo qui arrive enfin sous nos latitudes.

 

De l’absence de réponse au refus non justifié, en passant par la frilosité à se politiser sur ce sujet ou le manque de temps, le malaise de la plupart des acteurs est palpable. Seuls six d’entre eux ont accepté de répondre, avec, il faut le souligner, un vrai souci de précision dans leur parole et un investissement non feint : Melvil Poupaud, Niels Schneider, Reda Kateb, Jérémie Renier, Corentin Fila et Nahuel Pérez Biscayart.

“Nous avons tous quelque chose à nous reprocher”

Pour Melvil Poupaud, c’est “un sujet très sensible chez les hommes, comme chez les femmes ; pas facile pour une personne victime d’abus – et il y en a chez les garçons plus qu’on ne peut l’imaginer – d’oser parler ; délicat pour ceux qui n’ont pas la conscience tranquille d’oser faire leur examen de conscience, voire des excuses, voire des aveux. Sans parler de ceux qui risquent gros…Nous avons tous quelque chose à nous reprocher, de la mauvaise blague à des faits bien plus graves. Il faut du courage pour parler de ce qu’on a subi ; il en faut aussi pour reconnaître ses fautes”.

 

Si Nahuel Pérez Biscayart (la révélation de 120 Battements par minute) évoque la difficulté à “rompre une forme d’allégeance à la masculinité”, tous s’accordent pour témoigner de leur admiration devant le courage et la force des prises de parole de Judith Godrèche. Pour Niels Schneider, “on est arrivé à un moment où la société ne veut plus des VHSS. C’est important que les acteurs, et plus largement les hommes, écoutent et encouragent ces prises de parole dans un premier temps, puis expriment leur soutien par une parole privée, mais aussi médiatique quand cela est nécessaire et réclamé par les premières concernées”.

“J’ai le sentiment que nous, les hommes, avons plus de mal à nous investir dans une cause lorsque nous ne nous sentons pas directement concernés” Jérémie Renier

Tandis que Jérémie Renier observe chez la plupart des hommes une plus grande difficulté à être sensibilisé sur ce sujet : “Je le vois même à travers mon implication dans Cut, une association qui promeut la transition écologique du secteur du cinéma : c’est une majorité de femmes qui s’engagent sur ces questions. Que ce soit les VHSS ou l’écologie, j’ai le sentiment que nous, les hommes, avons plus de mal à nous investir dans une cause lorsque nous ne nous sentons pas directement concernés. Nous avons collectivement une marge de progression sur nos capacités d’écoute et d’engagement.”

Des éducations féministes

La dialectique du privé et du public semble au cœur du soutien des hommes. En plus d’un indispensable mais souvent douloureux examen de conscience, les acteurs prêts à soutenir la parole des actrices ont souvent à leurs côtés une femme engagée sur ces questions, que cela soit une compagne, une fille ou une mère qui a participé à leur éducation féministe. Il s’agit aussi d’hommes dont le parcours est marqué par une mise à distance des clichés liés au patriarcat.

“Si je suis sensible à ces questions, c’est aussi parce que je ne me suis jamais reconnu dans une forme de masculinité hégémonique. J’ai très tôt trouvé ça assez archaïque de devoir réserver la douceur, la tendresse et le soin au genre féminin. Cette binarité n’a, pour moi, pas de sens”, nous dit Niels Schneider.

 

“Il s’agit simplement de protéger la moitié de l’humanité d’agressions graves” Reda Kateb

 

 

De son côté, Corentin Fila, César du meilleur espoir masculin pour Quand on a 17 ans en 2016, revendique l’influence de sa compagne, l’actrice Daphné Patakia, cofondatrice de l’ADA (Association des acteur·rices), dans son éveil sur ces questions : “Elle a fait mon éducation et m’a permis de prendre conscience du caractère systémique de ces violences, des liens avec d’autres formes de discriminations comme le racisme et des ravages en matière de troubles et de pathologies chez les victimes. Je lui suis énormément reconnaissant pour cela. À son contact, j’ai pris conscience des comportements problématiques que j’ai pu avoir par le passé et j’ai réalisé que chaque homme est conditionné à être un potentiel agresseur.” Melvil Poupaud rend quant à lui hommage à sa fille, “très concernée par ces causes, et qui a (re)fait [son] éducation” : “Sans elle, je serais un encore plus gros boomer !”

 

Être un allié consiste notamment pour Reda Kateb à “choisir consciencieusement ses collaborateurs et collaboratrices en plaçant l’éthique au centre”, à militer pour généraliser la présence de référent·es VHSS sur les plateaux et de coordinateur·rices d’intimité sur les scènes de sexe “pour travailler dans un climat sain et rassurant pour tout le monde” et, enfin, à récuser le terme de “chasse aux sorcières, alors qu’en fait il s’agit simplement de protéger la moitié de l’humanité d’agressions graves”.

Des collaborations problématiques

Alors, que se passe-t-il lorsqu’on fait remarquer aux acteurs ayant accepté de répondre qu’ils ont travaillé avec des cinéastes accusés d’agressions ou de harcèlement sexuels, que cela soit Woody Allen (Melvil Poupaud et Niels Schneider), André Téchiné (Nahuel Pérez Biscayart et Corentin Fila), Benoît Jacquot (Nahuel Pérez Biscayart et Niels Schneider) et Roman Polanski (Melvil Poupaud) ?

Il y a ceux qui affirment en toute bonne foi qu’ils n’étaient pas au courant à l’époque du tournage, ceux qui revendiquent le fait de ne pouvoir se substituer à la justice et ceux qui jugent le sujet trop complexe pour motiver leur décision en quelques mots. Complexe, le sujet l’est assurément, les faits reprochés et les situations judiciaires de chacun des cinéastes étant tous différents.

“Je n’ai rien remarqué de particulier sur le tournage. Cependant, avec ce que je sais aujourd’hui, ce que raconte le film m’interroge” Nahuel Pérez Biscayart

Comme le souligne Niels Schneider : “Il est important de laisser aussi la possibilité d’une rédemption, dans certains cas et selon la gravité des faits, sans parler de justice, car la façon dont la justice peine à condamner les agresseurs est un autre débat tout aussi important. Mais le préalable à toute rédemption, c’est la reconnaissance de la souffrance infligée aux femmes. Le fait d’accepter que, non, ce n’était pas rien, qu’au contraire, c’est très grave. La négation de la parole des femmes est insupportable et pourtant quasi systématique. C’est à cet endroit que la révolution que nous vivons se joue.”

D’autres se désolidarisent des cinéastes en question ou mettent en perspective leur œuvre avec les accusations dont ils font l’objet. “Quand j’arrive sur le tournage du film de Benoît Jacquot, je ne parle pas un mot de français., se souvient Nahuel Pérez Biscayart. Je comprends assez vite que l’actrice principale du film, Isild Le Besco, a été en couple avec le cinéaste. Mais je n’ai rien remarqué de particulier sur le tournage. Cependant, avec ce que je sais aujourd’hui, ce que raconte le film m’interroge.

J’y joue une sorte de sauvage qui ensorcelle le personnage d’Isild pour l’amener à lui. Pour moi, le film parle clairement du consentement : est-elle avec mon personnage parce qu’elle le veut ou parce qu’elle est sous emprise ? Quant à Téchiné, avec qui j’ai fait un film qui va sortir, je lui reproche des choses qui n’ont rien à voir avec les VHSS. Il a été méprisant et violent verbalement avec moi. J’ai dû mettre un frein à son comportement.”

La fin de l’impunité sur les plateaux ?

Pour Jérémie Renier, signataire comme Nahuel Pérez Biscayart d’une tribune contre le sexisme dans le cinéma français lors du dernier Festival de Cannes, apporter son soutien à la cause des femmes passe aussi par le choix d’incarner de nouveaux récits : “En choisissant de faire un film comme Slalom de Charlène Favier, où je joue un coach de ski qui exerce une emprise et abuse sexuellement de son élève, il y a, entre autres, le désir de participer à l’ouverture d’un nécessaire débat sur ces questions.

Tous ont vu ou entendu des histoires de harcèlement ou  d’agressions durant leur carrière, comme l’affirme Nahuel Pérez Biscayart : “Depuis cinq ans, j’entends des histoires qui me glacent le sang. L’abus de pouvoir des cinéastes et des producteurs en France est très grave. Tout le monde est au courant. Ce que nous savons aujourd’hui n’est que la partie émergée de l’iceberg.” Alors comment réagir ?

“Ce qui est révoltant, c’est que le cinéma ait servi à certains de couverture à des comportements qui n’ont rien à voir avec de l’art” Niels Schneider

“Il est arrivé que j’apprenne que plusieurs actrices avaient été agressées par un acteur avec qui je devais tourner. J’ai prévenu le producteur que s’il se passait le moindre problème sur le tournage, je quitterais le projet”, affirme Niels Schneider. Corentin Fila nous confie qu’en 2018, il a “été témoin des attouchements auxquels s’est livré un chef opérateur libidineux d’une cinquantaine d’années sur une actrice de 17 ans. Personne n’a rien fait, je n’ai rien osé dire, ce serait différent aujourd’hui”.

Quant à l’impunité particulière dont jouissent les auteurs de VHSS en France, tous s’accordent à dire qu’il existe particulièrement chez nous une confusion entre liberté créatrice et abus de pouvoir : “Ce qui est révoltant, c’est que le cinéma ait servi à certains de couverture à des comportements qui n’ont rien à voir avec de l’art”, dit Niels Schneider, tandis que selon Reda Kateb, “la pire période va des années 1970 aux années 1990. Durant cette période, il y a eu une vague d’abus dont la presse était d’ailleurs complice. Abus dont ne sont pas seulement victimes les femmes d’ailleurs. Au-delà de la condition féminine, le débat mérite d’être aussi élargi à la protection des enfants et des personnes vulnérables”.

“Un système d’allégeance et de complicité envers les agresseurs”

Pour Nahuel Pérez Biscayart, “il y a une grande confusion entre le travail et la vie intime en France. C’est arrivé qu’après que j’ai décroché un rôle, le réalisateur m’écrive pour réclamer qu’on se mette au travail et qu’on s’aime, comme si ça allait de pair. Il n’y a qu’en France que l’expression ‘on ne peut plus rien dire’ est si populaire. Je crois que ces personnes confondent liberté d’expression et privilèges. Il n’y a aussi qu’en France qu’on parle de ‘la grande famille du cinéma’.

 

Quand on sait à quel point les VHSS sont d’abord intrafamiliales, ce terme est révélateur et symbolise bien le système d’allégeance et de complicité envers les agresseurs, système dont le CNC [Centre national du cinéma et de l’image animée] fait partie en conservant à sa tête un président accusé d’agression sexuelle par son filleul. En tant qu’hommes, nous avons comme devoir d’écouter et de croire la parole des femmes, d’être solidaires de leur combat. J’essaie pour ma part de tisser un réseau de tendresse et de bienveillance avec les gens avec qui je travaille. Il faut faire comprendre aux agresseurs qu’il y a de moins en moins de complices de leurs actes”.

 
 
 

Légende photo : Reda Kateb et Melvil Poupaud © Francois Berthier et Sebastien Vincent//Contour by Getty Images

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Coupes budgétaires : vers la fin de “l’exception culturelle” française ?

Coupes budgétaires : vers la fin de “l’exception culturelle” française ? | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Jean-Marie Durand dans Les Inrocks - Publié le 16 avril 2024 

 

 

Le 4 avril dernier, le ministère de l’économie annonçait des baisses conséquentes de subventions pour des grandes institutions théâtrales, musicales et muséales. Une mise en péril d’un service public.

 

À quelques semaines du lever de rideau sur les festivals d’été, qui du théâtre à la danse, de la performance au cirque, de l’art à la musique, traduisent la vitalité en France du spectacle vivant et de la création contemporaine, le sens de la fête risque d’être affecté par un sentiment d’inquiétude généralisé : l’État sonne la fin de la “party”, en activant ce que Pierre Bourdieu appelait “la main droite de l’État” (jamais généreuse avec le culturel et le social).

 

En annonçant le 4 avril dernier des baisses conséquentes de subventions pour des grandes institutions théâtrales, musicales et muséales (Comédie française, Théâtre national de la Danse-Chaillot, Théâtre de la Colline, Louvre, Philharmonie, Opéra de Paris…), Bercy contraint le ministère de la rue de Valois à faire plus de 200 millions d’euros d’économies, dont 99,5 millions d’euros sur le patrimoine et 96 millions d’euros sur la création. 10 % du budget de la création (doté d’un millard) va être ainsi amputé. Ce qui, observe le Syndicat des entreprises artistiques et culturelles (Syndeac), va impacter l’ensemble de l’activité culturelle en France, dont l’emploi des artistes et des technicien·nes. Certes, pour le moment, les scènes nationales et les centres dramatiques nationaux semblent passer à travers les gouttes du dessèchement annoncé. Mais tous·tes les directeur·trices de théâtre, de compagnies, de collectifs, de centres de création…, déjà affecté·es par la hausse des coûts de l’énergie, l’inflation et les charges financières de plus en plus pesantes, mesurent bien à quoi iels seront tenu·es dans les mois à venir : la diète, sur les cendres de la fête. Les publics curieux des formes aventureuses et de la jeune création en subiront probablement les effets. Car des millions d’euros d’économies imposés signifient à terme moins de créations, moins de prises de risque artistique, comme le regrettait le directeur de la Colline, Wajdi Mouawad, le 2 avril sur France Inter.

La mise en péril d’un service public de la création

Au-delà du spectacle vivant, ce régime sec touche aussi les centres d’art. Et même les écoles d’art, depuis que la ministre de la Culture Rachida Dati a estimé qu’il fallait tailler dans leur “jungle”. Ce à quoi répondait une tribune collective de 110 enseignant·es en école d’art, défendant ces écoles qui “abritent des conversations et des rencontres, des conférences, des ateliers, des expositions et des performances”, qui alimentent la vie culturelle. “Attaquer les écoles, c’est refermer l’horizon de la création contemporaine française”, écrivent les auteur·trices. “Les étudiant·es qui font la vie de ces écoles sont nos futur·es artistes, nous ne pouvons accepter que leurs vies soient ainsi empêchées. Si nous commençons à vouloir mesurer les écoles d’art en termes de ‘performance’, à les évaluer et les traiter comme des entreprises, comment maintenir l’idée même d’un service public de l’art ?“.

C’est bien ce que la crise budgétaire actuelle traduit : la mise en péril d’un service public de la création, qui plus de quarante ans après la volonté de Jack Lang de sanctuariser son périmètre, est définitivement devenu un secteur comme les autres. “L’exception culturelle”, expression que l’ancien ministre des années 1980 avait inventée, s’est faite avaler par la norme financière.

 

Jean-Marie Durand / Les Inrocks

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Chatouiller les pleurs par le rire : "Les Chatouilles" d'André Bescond, reprise par l'autrice dix ans après la création 

Chatouiller les pleurs par le rire : "Les Chatouilles" d'André Bescond, reprise par l'autrice dix ans après la création  | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Callysta Croizer dans La Croix - 15 avril 2024

 

Dix ans après sa création au Théâtre du Chêne noir, à Avignon, Andréa Bescond reprend « Les Chatouilles » au Théâtre de l'Atelier. Seule en scène, la comédienne-danseuse raconte l'horreur d'un viol pédophile et ses séquelles, avec une énergie sans faille et un humour cathartique.


Créé au Chêne noir d'Avignon en 2014, « Les Chatouilles ou la danse de la colère » a d'abord été adapté au cinéma. Dix ans, un Molière et deux Césars plus tard, le seule-en-scène d'Andréa Bescond n'a (hélas) pas pris une ride. Au Théâtre de l'Atelier, dans la mise en scène d'Eric Métayer, la danseuse comédienne replonge dans le récit d'Odette (son quasi-double fictionnel) pour exorciser un traumatisme de viol par la danse et le rire.

 

Ce titre enfantin de « Chatouilles » renvoie, non pas à d'innocents jeux tactiles, mais bien aux manipulations d'un adulte pédophile. En l'occurrence, Gilbert profite de ses visites chez un couple d'amis pour retrouver Odette, 8 ans à peine, en cachette dans la salle de bains.

Pour échapper à la douleur de ces rendez-vous interdits, la jeune fille se sauve dans et par la danse, les shots et les rails de coke. Devenue jeune femme, elle veut recoller les morceaux de son enfance et renouer avec sa mère, emmurée dans le déni. Au fil des allers-retours entre souvenirs, séances de thérapie et fantasmes, Andréa Bescond donne corps et voix à une vie de tabous.

 

Exutoire salutaire

Avec ses jeux de lumières et ses transitions rythmées, la mécanique du spectacle est d'une précision impeccable. Du gala de danse du village aux tournées mondiales des comédies musicales, Odette danse sur « Coppélia » et sur « Mamma Mia » comme il lui chante. Dans cette odyssée intérieure où l'imagination ne souffre d'aucune limite, Andréa Bescond prend tous les rôles à bras-le-corps.

 

Passant d'un personnage à l'autre avec une fluidité et une énergie brillantes, elle maîtrise aussi bien le phrasé occitan de la prof de danse que le verlan de Manu, le pote alcolo-toxico d'Odette. Entre sketch et confessions, la comédienne et féministe engagée met aussi le doigt sur des stéréotypes qui infusent le monde de l'art chorégraphique. Assignations genrées, hypersexualisation des corps, précarité des contrats, autant de violences qu'elle traverse par ses gestes convulsifs et contorsionnés.

 

Face à ces sujets lourds, l'autrice a su trouver un subtil équilibre entre une ironie mordante et irrévérencieuse, et une pudeur tout en délicatesse. A l'évocation des agressions traumatisantes lors du procès de Gilbert, ses mots restent muets tandis que la musique et la danse prennent le relais.

Entre la création et la reprise actuelle, #MeToo et #BalanceTonPorc sont passés par là. Aujourd'hui, son texte entre en résonance avec les voix qui ébranlent le monde du cinéma et évoque les affaires de violence policière et judiciaire. En une décennie, Andréa Bescond a fait des « Chatouilles » un exutoire salutaire et poursuit son chemin de résilience, main dans la main avec son enfance.

 

 

LES CHATOUILLES OU LA DANSE DE LA COLÈRE  d'Andréa Bescond.

Mise en scène d'Eric Métayer. 1 h 40.

Jusqu'au 1er juin, au Théâtre de l'Atelier (Paris).

theatre-atelier.com

 

Callysta Croizer / LA CROIX 

 

 

 

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« Moman », un beau moment   -  Critique de Jean-Pierre Thibaudat 

« Moman », un beau moment   -  Critique de Jean-Pierre Thibaudat  | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Jean-Pierre Thibaudat dans son blog de Mediapart - 11 avril 2024

 

En couple dans la vie, voici enfin l’actrice Clotilde Mollet et le comédien Hervé Pierre ensemble sur une scène dans « Moman » sous-titré « pourquoi les méchants sont méchants », un texte fait main …

 

« L'ENFANT. Moman ?

MAMAN. Mets ton pyjama !

L. Moman !

M. Quoi acore ? »

Ça commence comme ça.

 

C’est l’histoire d’un petit garçon (Clotilde Mollet) qui vit seul avec sa mère, « moman » (Hervé Pierre), le « popa » est ailleurs, pire, il ne paie plus « l’électric » de la maison. Comme tous les enfants de son âge, l’enfant pose des questions.

 

« L. Pourquoi la nuit on dort moman ?

M. Pasque c'est comme ça depuis la nuit des temps. On cause le jour, on dort la nuit. Dors !

L. Même quand c'est la guerre moman ?

M. C'est pas la guerre j'te dis ! Ferme les yeux, compte les moutons !

L. Quels moutons moman ?

M. Les moutons que t'as dans ta tête.

L. Quand je ferme les yeux, c'est-pas des moutons que je vois moman.

M. C'est quoi ?

L. Des méchants.

M. Et c'est qui ces méchants-méchants ?

L. Je sais pas moi moman. Dès que je ferme les yeux y sont là. Y profitent de ce que tu dors pour venir me voir, dans le noir, dans mon lit. 

M. Pourquoi ils viennent te voir toi et pas moi ?

L. Pour me prendre. Pasque c'est la guerre moman.

M. Aaaaaaah !

L. Et que pendant la guerre on prend les enfants

M. Bon, acoute-moi bien !»

La guerre n’est jamais très loin dans les écrits de l’auteur dont le père (juif), arrêté par la police française, n’est jamais revenu des camps. La guerre comme l’enfance, motifs récurrents, traversent bien des textes de Jean Claude Grumberg, frontalement ou pas. « Pourquoi t’es ma moman à moi et pas celle d’un autre ? » demande l’enfant lequel est en bois comme une marionnette et aime une fille qui a « un cœur de pierre » et qui en aime un autre. Comme Moman, certains jours, l’enfant a « la blouse » (le blues). Grumberg sème de la tendresse partout. C’est ce qu’il connaît de mieux pour réparer les jouets cassés de la mémoire.

Dans un épilogue littéralement renversant, Hervé Pierre devient l’enfant devenu grand et Clotilde Mollet la Moman devenue vieille. Le plaisir du jeu s’en trouve redoublé comme celui du spectateur. Le temps a passé. le petit Louistiti est devenu Louis et sa moman veut qu’on l’appelle madame. «Madame ma maternelle »  dit Louis qui gagne sa vie et veille sur sa mère qui subit les assauts de la vieillesse comme l’auteur.

« Je suis heureux et fier comme un p’tit banc, d’avoir Clotilde et Hervé pour donner voix et vie, à ma Moman de papier et à son Chipounet chéri » écrit Jean-Claude Grumberg dans la programme. Plaisir partagé. La salle piccolo en forme d’œuf de la Scala est parfaite pour ce duo aux multiples complicités, mis en scène, avec les comédiens, par la jeune Noémie Pierre. On reste en famille, à la ville comme à la scène.

 

Jean-Pierre Thibaudat dans son blog Balagan 

 

 

Scala de Paris , le mardi à 21h30, le mercredi à 14h et 21h30 jusqu’au 19 juin.

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Bordeaux : avec Fanny de Chaillé, le TNBA se réinvente pluriel

Bordeaux : avec Fanny de Chaillé, le TNBA se réinvente pluriel | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Hanna Laborde dans La Scène - 15 avril 2024

 

Un pas de côté. Est-ce le geste opéré par la nouvelle directrice du TNBA (Théâtre national de Bordeaux en Aquitaine) et de l’ESTBA (École supérieure de théâtre Bordeaux Aquitaine), Fanny de Chaillé, qui a succédé à Catherine Marnas en janvier 2024 ? Un pas de côté pour que s’ouvrent les portes du TnBA et que se réorientent certains de ses axes. Même intention pour son école adossée, une particularité de ce CDN qui « intéressait beaucoup » la metteuse en scène. Fanny de Chaillé ne « se sent pas perdue dans cette énorme maison », puisque son labeur de directrice s’articule autant avec ses expériences d’artiste associée qu’avec son travail de création. 

 

Ses deux dernières pièces, Le Chœur (2020), et Une autre histoire du théâtre (2022-2023), mettent en abyme la question de la transmission, qui lui est chère, et l’art dramatique, du point de vue de l’acteur. Ces problématiques irriguent ainsi ses intentions pour la direction du TNBA et de l’ESTBA : « La question de l’école est vraiment née de manière cohérente, à partir de ces créations-là. » Le projet de l’école s’élaborera avec un collège pédagogique composé surtout d’acteurs et actrices, afin de « penser la pratique du jeu avec celles et ceux qui l’exécutent », et de replacer la figure de l’acteur au centre de l’enseignement. Il s’agit d’« opérer un vrai décalage par rapport à ce qui se fait dans les écoles ».

 

Dynamique d’ouverture 


Malgré l’implantation de sa compagnie Display à Bordeaux, Fanny de Chaillé ne connaît pas autant la ville que sa fidèle collaboratrice, Isabelle Ellul, directrice déléguée du TNBA. Elles ont postulé en duo avec un projet qui manifeste leur « envie de rouvrir le TNBA », notamment à des « collaborations étroites », soit avec La Manufacture CDCN, le CAPC (musée d’Art contemporain de Bordeaux), la Scène nationale Carré-Colonnes (Saint-Médard-en-Jalles), et le festival Trente Trente. Des dialogues qui font sens dans une ville « où se manifeste à présent un vrai désir de fabriquer ensemble ». Ces projets seront dévoilés en septembre dans la programmation 2024-2025 parmi de « gros spectacles de théâtre » et les créations des neuf artistes associés, dont cinq régionaux. Le choix de ces compagnonnages, allant de Gwenaël Morin au bordelais Collectif Rivage, en passant par Rébecca Chaillon, témoigne d’une volonté de « diversité d’esthétiques et de pratiques ». Avec eux, Fanny de Chaillé entend mener « un accompagnement sur mesure », fondé sur l’écoute de chacun. 

Un soin de l’autre matérialisé jusque dans le Projet Kids, qu’elle a expérimenté à Chambéry (Savoie), et qui entrelace la question de l’ouverture et de la transmission. Une « université d’arts pour les enfants et adolescents » qui leur permet de pénétrer les coulisses du théâtre pendant les vacances : « Partager nos pratiques aux enfants et leur raconter ce qui se passe dans un théâtre est très important », dit celle qui y sera animatrice. Pas de distinction, donc, entre le théâtre de la relation créé par la metteuse en scène et celui que bâtit la directrice.

 

Hanna Laborde / LA SCENE

En partenariat avec La Lettre du Spectacle n°556

 

Légende photo : Fanny de Chaillé

Crédit photo : D. R.

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Quand le cirque a l’esprit de famille

Quand le cirque a l’esprit de famille | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Rosita Boisseau dans Le Monde - 12 avril 2024

 

Les dynasties de circassiens existent jusque dans les formes plus contemporaines, où il s’agit pour chaque génération de trouver une voix propre, au-delà de l’héritage.




Lire l'article sur le site du "Monde" : 
https://www.lemonde.fr/culture/article/2024/04/11/quand-le-cirque-a-l-esprit-de-famille_6227279_3246.html

On connaît les familles Pinder, Zavatta ou Bouglione. Leurs noms sont devenus des labels lorsqu’ils ne signent pas en lettres plus nobles des dynasties. Alors qu’Alexis Gruss, dont les ancêtres ont démarré en 1854, est mort le samedi 6 avril, sa compagnie, forte de ses enfants et petits-enfants, maintient haut la barre de la virtuosité équestre. « Chez nous, travailler ensemble a une particularité : la télépathie est vive, souligne Firmin Gruss, directeur. On utilise les mêmes formules, on a le même esprit, et ça crée une communion unique. Et, dans les moments difficiles, cela donne une énergie supplémentaire. »

 

Ce phénomène familial constitutif des arts traditionnels de la piste se déploie aussi dans le contemporain. Depuis le 13 mars jusqu’au 21 avril, le festival Spring, programmé dans 70 lieux en Normandie, met en avant quelques-unes de ces tribus. Le Circus Ronaldo, piloté par le clown Danny Ronaldo, sixième génération Ronaldo, cousine avec les performances burlesques d’Alain Reynaud, qui se produit avec sa femme et leurs deux enfants, « tombés dedans quand ils étaient petits ».

 

« Le canal familial est celui du cirque traditionnel, alors que ce sont les écoles qui forment les artistes contemporains, rappelle Yveline Rapeau, directrice de Spring. Il existe néanmoins une minorité de troupes aujourd’hui dont les spectacles s’enracinent dans la famille en ouvrant de nouvelles voies esthétiques. »

Défricher sa route

A la tête de Circus Ronaldo, originaire de Malines (Belgique), Danny Ronaldo aime raconter l’histoire du grand-père de son arrière-grand-père qui quitta Gand à l’âge de 15 ans pour s’enrôler en 1842 dans le cirque Wulff. « Il était tombé amoureux de l’atmosphère du chapiteau, de la liberté et des chevaux, dit-il. Il devient palefrenier, puis acrobate à cheval. On a retrouvé des gravures de lui au cirque impérial de Saint-Pétersbourg. Il s’est marié à une comédienne itinérante et, ensemble, ils ont créé leur compagnie. » Depuis, l’aventure Ronaldo additionne ses chapitres, plus rocambolesques les uns que les autres.

 

En tournée, Da capo témoigne de cette mirifique saga où le cirque, le théâtre ambulant et la variété font copain-copain. « Cette longue histoire donne de la force, confie Danny Ronaldo. Je sens derrière moi une armée d’artistes vivants. Je sens leur soutien, leur pression même, et je suis fier d’être leur héritier. » Parallèlement à La Cucina dell’arte, interprété avec son frère David, et énorme succès, Danny Ronaldo joue Sono io ? avec son fils Pepijn, 25 ans, à l’affiche du 30 mai au 16 juin, au Théâtre du Rond-Point, à Paris. « Le pari est de profiter de la puissance que donne cette transmission et de s’en détacher aussi, précise-t-il. Pour mes quatre enfants, qui ont tous eu envie de cirque, il s’agit de trouver sa propre personnalité. Pepijn est très différent de moi, mais on a le même désir de faire rire et de comprendre nos émotions. Il n’y a malheureusement pas de GPS pour ça. »

 

Ce besoin de défricher sa route, Marie Molliens, fil-de-fériste et directrice de la compagnie Rasposo, l’a vécu de façon douloureuse. En 2012, celle qui a participé aux spectacles de ses parents dès l’âge de 4 ans prend la succession de sa mère, Fanny Molliens. Elle se heurte au poids de vingt-cinq ans de productions grand public. « J’ai donné des coups de poing pour casser les habitudes, et amener mon univers nourri de théâtre et de danse contemporaine avec ce côté provocation qui vient de la rue », déclare-t-elle. Les « anciens » partent. « Ça a été un tournant difficile », glisse celle dont les engagements féministes et sociétaux explosent bien crus dans des pièces telles que La Dévorée.

 

Pour la trapéziste Liam Lelarge, 24 ans, fille de Danielle Le Pierrès et Christophe Lelarge, à la tête du P’tit Cirk depuis 2004, l’enjeu est là. Celle qui a grandi, comme son frère Louison, acrobate et musicien, au gré des tournées de ses parents et appris sur le terrain, a choisi de monter ses propres projets. « Je n’avais pas envie d’être “la fille de”, assure-t-elle. J’avais besoin de séparer ma famille et le travail. Ce qui ne nous empêche pas de nous voir, de nous conseiller mutuellement. » En 2023, Liam Lelarge, en duo avec Kim Marro, s’est fait connaître avec La Boule, superbe casse-tête vivant.

Etat d’esprit indépendant

Si la transmission du geste par les parents opère dans la continuité du quotidien, elle n’empêche pas aujourd’hui la fréquentation des écoles spécialisées. Liam Lelarge a étudié au Centre national des arts du cirque (CNAC), à Châlons-en-Champagne. Léna Reynaud, fille du clown Alain Reynaud, a intégré l’école Balthazar, à Montpellier. L’expert en corde lisse et metteur en scène Fragan Gehlker, fils de l’acrobate Jörn Gehlker, a peaufiné sa technique au Centre national des arts du cirque, tandis que sa sœur Nolwen, voltigeuse équestre, a fréquenté l’Académie Fratellini, au début des années 2000. « C’est la particularité de ces artistes de ne pas se contenter du patrimoine familial, mais de chercher une identité, une autonomie et une reconnaissance de leur individualité dans les écoles, confirme Gaëtan Rivière, responsable de la recherche au CNAC. Au-delà la tradition de la famille que l’on retrouve dans certains spectacles, ils explorent d’autres manières d’exprimer leur singularité par de nouvelles esthétiques, souvent issues d’une écriture de soi. »

 

Actuellement en tournée, Nolwen Gehlker présente le duo Métamorphoses, avec trois chevaux. « Ma mère était comédienne et mon père, auprès de qui j’ai commencé le trapèze à 8 ans, était danseur, bricoleur, acrobate, raconte-t-elle. J’avais 9 ans lorsque, sur la route, on a rencontré des gens en roulotte qui avaient des chevaux. » La suite file vite : les collaborations avec le Théâtre du Centaure et le cirque équestre Pagnozoo s’enchaînent. Avec son mari, Calou Pagnot, et leurs deux enfants, elle fonde la Compagnie Lawen en 2023.

 
 

Au-delà de la technique, l’héritage du cirque s’inscrit dans un état d’esprit indépendant. Après sa pièce sidérante Le Vide (2014), Fragan Gehlker, programmé le 15 mars à Cherbourg-en-Cotentin (Manche), dans le cadre de Spring, avec Suzanne : une histoire (du cirque), a conservé de son enfance l’amour de la marge et une ardeur à la défendre. « On n’allait pas à l’école, on vivait en camion, en squat, en roulotte, à cheval, on participait à la vie d’artiste de mes parents. J’ai gardé un goût pour cette marge. Je ne me suis jamais senti “dans les clous” où que je sois. » Alors qu’il entame les répétitions de La Nostalgie de l’acrobate, il évoque les figures de l’acrobate et du guerrier, « entre honneur, admiration et une certaine marginalisation ».

 

Quant à la communauté, elle enveloppe et protège les membres de ces familles de cirque toujours en vadrouille. « C’est une dimension dont j’ai hérité, poursuit-il. Il y avait beaucoup d’entraide, de solidarité, d’engagement au sein des troupes. Les gens faisaient communauté autour d’un projet de spectacle. Je trouve que ma génération a vécu un renversement plus individualiste dans sa manière de travailler, chaque artiste est devenu une sorte de microentreprise. »

 

 

Les Etablissements Félix Tampon chez vous, d’Alain Reynaud. Festival Spring, du 21 au 26 mai, Communauté de communes Lyons-Andelle (Eure). Festival-spring.eu

 

Oraison, de Marie Molliens. Les 19 et 20 avril à Saint-Céré (Lot) ; du 24 au 28 avril à Tarbes.

 

Métamorphoses, de Nolwen Gehlker. Du 16 avril au 3 mai à Hennebont (Morbihan).

 

La Boule, de Liam Lelarge et Kim Marro. Le 25 avril à Trévou-Tréguignec (Côtes-d’Armor) ; le 27 avril à Bagneux (Hauts-de-Seine) ; les 18 et 19 mai à Metz.

 

Rosita Boisseau / LE MONDE

Légende photo : « Sono io ? », de Danny et Pepijn Ronaldo, lors de la création du spectacle au cirque Miramiro, à Gand (Belgique), en juillet 2021. JEAN PHILIPSE
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Accusé de “liens” avec Israël, Wajdi Mouawad voit sa pièce annulée au Liban et quitte le pays

Accusé de “liens” avec Israël, Wajdi Mouawad voit sa pièce annulée au Liban et quitte le pays | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Kilian Orain dans Télérama, le 11 avril 2024

 

 

Le dramaturge libano-québécois fait l’objet d’une campagne de harcèlement. Au théâtre Le Monnot, à Beyrouth, sa “Journée de noces chez les Cromagnons” ne se jouera finalement pas. Hier, il a quitté le territoire libanais.

 

Ce mardi 9 avril, Wajdi Mouawad, le directeur du Théâtre de la Colline, à Paris, a été notifié d’une plainte à son encontre émanant du parquet militaire de Beyrouth. Le metteur en scène franco-libanais était alors en répétition pour sa nouvelle création, Journée de noces chez les Cromagnons. Dans un communiqué transmis à la presse, le théâtre Le Monnot, à Beyrouth, qui devait accueillir ce spectacle indique « devoir annuler la première mondiale de la pièce […] programmée le 30 avril prochain ». Contactée, Josyane Boulos, la directrice du théâtre, explique cette décision de renoncer à jouer la pièce par le climat de tension qui régnait ces derniers jours. « Depuis dix jours, l’ensemble des équipes fait l’objet d’une campagne de boycott et de harcèlement sur les réseaux sociaux. »

 

En cause, notamment, les anciennes collaborations de Wajdi Mouawad avec des artistes israéliens. Le metteur en scène avait écrit et monté, en 2017, la pièce Tous des oiseaux, centrée autour de personnages israéliens. Plus récemment, il a accueilli au Théâtre de la Colline House, de l’artiste israélien Amos Gitaï.

Éviter une arrestation

Au nom de la loi libanaise, qui interdit à ses ressortissants la normalisation des relations avec Israël, l’organisation CBSI (Campagne de boycott des partisans d’Israël au Liban) a plusieurs fois appelé publiquement les comédiens du nouveau spectacle de Wajdi Mouawad à se retirer, et l’ensemble des artistes libanais à se mobiliser pour faire interdire la pièce. L’organisation ne serait cependant pas en mesure de mener une action en justice, n’ayant pas la personnalité juridique nécessaire. De son côté, le Comité des représentants des prisonniers et détenus libérés des geôles israéliennes, par la voix de son avocat, a saisi le tribunal de Beyrouth, évoquant les chefs d’accusation suivants : liens (ou communications) avec l’ennemi israélien, et non-respect de la Loi sur le boycott d’Israël.

 

 

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Ce mercredi 10 avril, Wajdi Mouawad a quitté le Liban (son pays natal, qu’il a fui à l’âge de 10 ans pour la France, puis le Québec) où il travaillait depuis plusieurs jours. « C’est très triste d’en arriver là, regrette Josyane Boulos. Wajdi Mouawad est un homme d’une humanité peu commune et un artiste très apprécié des Libanais. Pour nous, ce spectacle est une œuvre de paix. Nous continuerons à résister ! » Désormais, Journée de noces chez les Cromagnons doit être jouée au Printemps des comédiens de Montpellier du 7 au 9 juin. Le rendez-vous devrait vraisemblablement être honoré. Wajdi Mouawad s’apprêterait à poursuivre les répétitions de son nouveau spectacle dans les locaux de la Colline.

 

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Beyrouth : la nouvelle création de Wajdi Mouawad annulée après des menaces

Beyrouth : la nouvelle création de Wajdi Mouawad annulée après des menaces | Revue de presse théâtre | Scoop.it

par Lara Clerc et AFP publié par Libération le 11 avril 2024

 

Le directeur du théâtre de la Colline à Paris devait mettre en scène sa nouvelle pièce au théâtre Le Monnot dans la capitale libanaise à partir du 30 avril. Mais en raison d’une campagne contre lui, que certains jugent trop pro-israélien, la direction a été contrainte d’annuler les représentations.

 

 

 

 

Une nouvelle conséquence du conflit au Proche-Orient. Le théâtre Monnot à Beyrouth a annoncé mercredi 10 avril l’annulation de la nouvelle pièce de théâtre de Wajdi MouawadJournée de Noces chez les Cromagnons. La création du dramaturge devait démarrer dès le 30 avril dans la capitale libanaise, pays en proie à de vives tensions en raison de la guerre entre le Hamas et Israël.

La cause de cette rétractation : une campagne menée contre l’auteur libanais et québécois, directeur du théâtre de la Colline à Paris depuis huit ans, accusé par des militants de «normalisation avec Israël». Cette campagne a entraîné des «pressions inadmissibles et de menaces sérieuses faites au théâtre Le Monnot et à certains artistes et techniciens», selon le communiqué de l’établissement. «Les acteurs ont été harcelés via leur téléphone» précise Josyane Boulos, la directrice du théâtre.

Une ONG demande l’interdiction de la pièce et l’arrestation de Wajdi Mouawad

En plus de ces pressions, l’ONG The Commission of Detainees Affairs (chargée du bien-être des prisonniers palestiniens dans les prisons israéliennes) a annoncé lundi avoir demandé au Parquet militaire «l’ouverture d’une information judiciaire contre Wajdi Mouawad […] pour délit de communication avec l’ennemi israélien, en contravention de la loi sur le boycott d’Israël». L’ONG demande aussi l’interdiction de la pièce et l’arrestation de Wajdi Mouawad. Pour cette ONG créée en 1998, les pièces du dramaturge seraient «financées par l’ennemi israélien» et feraient «la promotion de la normalisation» avec Israël.

 

En cause, la pièce Tous des Oiseaux en 2017 sur le conflit israélo-palestinien et l’identité, création accusée par des militants d’avoir été financée par l’ambassade d’Israël à Paris et le théâtre Cameri de Tel-Aviv – ce que Wajdi Mouawad a réfuté dans un entretien à L’Orient - Le Jour en 2017 : «l’ambassade a payé les billets d’avion des artistes israéliens qui sont sur ce plateau, comme il se fait très régulièrement dans le théâtre. Rien de plus». Autres points de tensions : la présence d’une actrice israélienne dans Tous des Oiseaux, et la collaboration du dramaturge en 2023 avec le réalisateur israélien Amos Gitai dans l’adaptation théâtrale de sa trilogie documentaire House. Autant d’éléments qui ont poussé le 6 avril le collectif «Campagne de boycott des partisans d’Israël au Liban» à demander l’interdiction de la pièce de Mouawad, mentionnant son «passif de normalisation et de promotion de l’occupation israélienne».

 

 

Ce «passif» est également alimenté par les prises de position de Mouawad sur le conflit israélo-palestinien loin de correspondre à la ligne de «boycott d’Israël» portée par le Hezbollah, qui interdit à ses ressortissants de se rendre en Israël ou d’avoir des contacts avec cet Etat. Un mois après l’attaque terroriste du Hamas en Israël, le dramaturge publiait une tribune dans Libération avertissant des risques de montée d’antisémitisme et expliquant comment il s’est émancipé d’une haine «par héritage». Le 2 avril, il expliquait au micro de France Inter que «depuis toujours, l’artiste a pris position dans les guerres», et que la solution dans ce conflit était un cessez-le-feu et une empathie pour les deux camps.

Son équipe rentre donc en France pour la suite des répétitions de sa nouvelle création. La première de Journée de Noces chez les Cromagnons aura lieu à Montpellier au Printemps des Comédiens, du 7 au 9 juin 2024.

 

 

 Lara Clerc avec AFP / LIBERATION

 

Légende photo : La pièce du dramaturge libano-québécois fera finalement sa première à Montpellier le 27 juin 2024. (Stéphane de Sakutin/AFP)

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Le Mandat, respecté à la lettre

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Par Nadja Pobel dans Sceneweb -  23 avril 2024

 

Fidèle à la profonde nature de vaudeville qu’est Le Mandat, Patrick Pineau livre une mise en scène échevelée pour ses retrouvailles avec Erdman. Derrière les rires en cascade, la terreur des personnages face au nouvel ordre politique est abyssale.

Rien ne ressemble plus à un Labiche que cette pièce de Nicolaï Erdman. Et rien ne lui ressemble moins. Le Mandat a la structure des vaudevilles, ce parfait enchainement des situations qui pousse constamment au rire avec les personnages cachés (derrière une porte, sous un tapis, dans une malle…) qui déclenchent ou achèvent des quiproquos à une folle allure. Mais Le Mandat a un propos bien plus ambitieux et raide que celui d’une comédie de mœurs entre bourgeois de la fin XIXe. 1900 a été enjambé. Cela fait sept ans que le tsar est tombé en Russie, la Nouvelle politique économique (NEP) est enclenchée et tout l’ordre social est à terre. Les possédants n’ont plus droit de cité, la propriété est interdite et le nouvel horizon est d’avoir sa carte au parti communiste, un « mandat ». Ainsi donc deux familles, l’une bourgeoise ruinée par les révolutions de 1917 et d’anciens tsaristes encore riches trouvent un arrangement : marier leurs enfants. La dot ? le frère de la future mariée qui s’engage à s’encarter au PCUS pour assurer la protection de tous dès lors qu’il aura entre les mains le fameux mandat.

Jouer sur les apparences

Dans l’espace réduit d’un appartement communautaire, les hystéries s’enchainent les unes aux autres tant la matriarche Nadejda Goulatchkine est inquiète. Il n’y a plus aucun repère. L’affolement est général, toute action prend des proportions immenses à commencer par ce voisin qui ne décolère pas que sa casserole de vermicelles au lait ait fini sur sa tête parce que Pavel, le fils Goulatchkine, donnait des coups de marteaux de l’autre côté du mur (fin) pour accrocher maladroitement des peintures. Tout est en place dans cette scène d’ouverture avec ce personnage qui sera le plus lucide d’entre tous déjouant tous les faux-semblants que Pavel entretient avec un tableau réversible : Marx d’un côté, des paysages de l’autre et une représentation religieuse pour combler les ecclésiastiques. Contenter tout le monde, ne froisser personne. Pas pour le plaisir gratuit de duper ses visiteurs mais pour survivre dans une URSS naissante dont ils ne connaissent pas encore tous les codes mais ont saisi violemment les changements.

 

 

Ce texte de Nicolaï Erdman ne sera pas publié avant la perestroïka mais joué 350 fois en 1925 alors que son écriture n’a pas eu le temps de sécher tant Meyerhold réclame à ce jeune auteur né en 1900 de la lui livrer. Dans la salle, les spectateurs crient « Ah bas Staline ! » Le succès est total, l’arrêt brutal. Elle ne sera reprise qu’à la mort du dictateur. Mais elle existera tout de même plus que la seule autre pièce que fera Erdman, Le Suicidé, interdite avant même d’être jouée et qui vaudra à son auteur non pas la déportation comme Daniil Harms ou Mandelstam mais d’être réduit à ne plus participer qu’à des scénarii de films et mourir en 1970 sans avoir produit d’autres grandes œuvres. Sur les fiches techniques du Théâtre Meyerhold (TIM) de Moscou, figurent les réactions des spectateurs et ceux-ci riaient plus de 350 fois sur la durée du spectacle ! ; l’acteur incarnant Pavel deviendra célèbre du jour au lendemain. La pièce sera jouée dans de nombreuses autres villes russes, dans différentes mises en scène jusqu’en 1930 rappelle Jean-Philippe Jaccard, dans la première traduction française qu’il fait de ce texte et publié en 1998.

Sauve qui peut

La version que monte Patrick Pineau est celle d’André Markowicz qui a enrichi son propre travail avec des scènes supplémentaires. Avec sa troupe conséquente de 13 personnes (beaucoup pour aujourd’hui, nettement moins pour l’époque de Erdman), il manie au millimètre la cadence infernale de la terreur, sachant déborder dans la salle, parfois éclairée, pour établir un lien avec les musiciens – cette catégorie sociale qui ne change pas vraiment de statut en passant d’un régime à l’autre – avant que tout le monde ne soit assis ou quand le dénouement approche et que les vérités se resserrent. Le metteur en scène et surtout acteur est aussi à l’aise là qua dans des formes plus modestes, au service des mots de Serge Valletti (John a-dream) récemment sous les indications de sa complice de longue date Sylvie Orcier. Leurs enfants, comme dans Black March sont avec eux au plateau dans ce travail d’une véritable famille d’artistes bien au-delà des liens sanguins (les anciens comme Yasmine Modestine et Aline Le Berre ou les plus nouveaux comme Ahmed Hammadi-Chassin en Pavel déboussolé et pilier ou Virgil Leclaire, locataire des Goulatchkine).

 

 

Avec les pantomimes autour de la vraie/fausse robe de la vraie/fausse impératrice, les balbutiements de prières autour d’un électrophone qu’écrit Erdman, les clins d’œil que rajoute Patrick Pineau via l’intervention de la régie qui lance « la lutte finale » au moment du triomphe des petits arrangements ou les amorces de pas dansés d’Anatole Smetanitch comme un aveu supplémentaire de perdition, cette adaptation du Mandat est fluide et comme pouvait l’être Un chapeau de paille d’Italie quand Georges Lavaudant dirigeait un certain… Patrick Pineau. L’acteur n’a rien perdu de cette dextérité qu’il met ici au service d’un texte infiniment sombre sous sa drôlerie. « Ils refusent de nous arrêter » dit au final Pavel. Il ne leur reste plus rien dans la vie. Erdman et Pineau font exister celles et ceux qui ont été asphyxiés par la folie du pouvoir dans une Russie « qui n’existe plus » disent-ils, à cette époque-là…

 

 

Nadja Pobel – www.sceneweb.fr

Le Mandat
De Nicolaï Erdman


Mise en scène : Patrick Pineau / Compagnie Pipo
Avec François Caron, Ahmed Hammadi-Chassin, Marc Jeancourt, Aline Le Berre, Nadine Moret, Sylvie Orcier, Elliot Pineau-Orcier, Yasmine Modestine, Lauren Pineau-Orcier, Jean-Philippe Levêque, Virgile Leclaire, Arthur Orcier, Patrick Pineau
Traduction : André Markowicz
Dramaturgie : Magali Rigaill
Costumes : Gwendoline Bouget
Scénographie : Sylvie Orcier
Création lumières : Christian Pinaud
Création sonore : Jean-Philippe François
Régie générale : Florent Fouque
Production déléguée : Théâtre-Sénart, Scène nationale
Production : Théâtre-Sénart, Scène nationale
Coproduction : Les Célestins, Théâtre de Lyon, Espace Des Arts — Scène nationale de Chalon-Sur-Saône, Maison de la Culture de Bourges, L’Azimut — Antony / Châtenay-Malabry, Compagnie Pipo

Durée 2h15

Au théâtre des Célestins – Lyon
Du 6 au 16 mars 2024

Au Théâtre-Sénart, Scène nationale
Du 26 au 29 mars 2024

du 2 au 4 avril 2024
L’Azimut – Antony / Châtenay-Malabry

du 18 avril au 5 mai 2024
Théâtre de la Tempête – Paris

https://www.la-tempete.fr/saison/2023-2024/spectacles/le-mandat-714

 

 

dates en cours
Maison de la Culture – Bourges
Espace des Arts – Châlon-sur-Saône

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Matthieu Lemeunier, artiste-orchestre

Matthieu Lemeunier, artiste-orchestre | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Armelle Héliot dans son blog - 22 avril 2024

 

A La Flèche, il donne vie à un scénario presque sans paroles qu’il a mis au point avec son ami de vingt ans, Alexandre Philip. Dans tes rêves ! est un spectacle étourdissant.

 

Un homme seul. Seul sur le plateau de La Flèche. A proximité des spectateurs. Seul, accompagné des lumières d’Anne-Laurence Badin, et suivant la mise en scène d’Alexandre Philip, l’un des acteurs de la série Machine, actuellement diffusée sur Arte ou encore de Marianne, de Balle perdue. Alexandre Philip écrit des scénarios, réalise (Handicops). Il est un metteur en scène qui sait qu’il peut demander et rapidité et énergie à l’époustouflant Matthieu Lemeunier. Ensemble, ils ont écrit Dans tes rêves !

Une promenade dans les pensées et l’imagination délirante d’un personnage qu’incarne Matthieu Lemeunier. Sans aucun accessoire. Ou presque. Une heure durant, il est cet homme qui se bat avec ses rêves, mais qui joue toutes les figures qui s’y présentent. Animaux, humains, objets…Il les joue de tout son corps et aussi de sa voix, sans tenir en place. Une heure durant, il court, il vole, il traverse le plateau, il se plie, se déplie, se ploie, se casse, prend des airs, saute. Il mime toutes ses aventures et l’on comprend tout. Il est la bande-son du spectacle. Souffle et sifflements, borborygmes et autres gazouillis, émissions sonores dont on ne comprend pas d’où elles naissent, bruitages, soupirs, chuchotis, cris, chant montant jusqu’aux sommets lyriques, tout est convoqué. On saisit ses regards, ses mimiques : son visage, cadré par une barbe taillée de près, cheveux courts, regard ferme et tendre, est tout aussi expressif que son corps. Le « personnage » ne parle presque pas, il nous observe parfois, nous prend à témoins sans un mot. Et l’on comprend tout, bousculé que l’on est d’aventure en aventure, précipité que l’on est dans ces rêves, ces bouffées de cauchemars, ces angoisses, ces paniques.

On sourit tout le temps, et l’on rit énormément. Qui résisterait à un talent aussi formidable, aussi rare ! Comment fait-il pour exécuter cette danse hallucinante, d’une précision rigoureuse, d’une fluidité fascinante, et toujours accompagnée des prouesses de sa voix, comment fait-il pour ne même pas donner le sentiment du moindre essoufflement, à la fin, aux saluts ?

 

Avouons-le, on ne connaissait pas Matthieu Lemeunier, et pourtant, puisqu’il a travaillé avec Olivier Py, on l’a sans doute déjà vu !  Alexandre Philip, et lui, se sont connus il y a vingt ans au Conservatoire de Tours. L’un est donc plutôt du côté de l’écriture. L’autre est un athlète des plateaux qui s’était frotté aux difficiles défis des (bonnes) improvisations et est passé par l’Erac, l’école de Cannes, en 2005, travaillant tous les registres de la comédie, de l’art dramatique. On peut prendre la mesure de sa forte personnalité dans certains sketches de Groland et dans des réalisations de Samuel Bodin. La compagnie qui les accompagne à La Fièche, leur compagnie sans doute, s’intitule « Elucubrations tragi-comiques (etc) ». Tout un programme !

Il faut courir les applaudir et donner à ce moment exceptionnel la large audience qu’il mérite !

 

Armelle Héliot 

https://www.billetreduc.com/341321/evt.htm

 

Théâtre La Flèche, 77 rue de Charonne, 75011 Paris. Chaque jeudi à 19h00, jusqu’au 6 juin 2024. Durée : 1h00. Tél : 01 40 09 70 40. info@theatrelafleche.fr

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« Mandat » de Nicolaï Erdman : Feydeau au pays des soviets

« Mandat » de Nicolaï Erdman : Feydeau au pays des soviets | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Marie-José Sirach dans L'Humanité - 21 avril 2024

 

Patrick Pineau met en scène avec brio la pièce de Nicolaï Erdman. Écrit en 1924, censuré en 1930, le Mandat est un vaudeville soviétique, une tragi-comédie féroce et salutaire.

 

Voilà sept ans que la révolution d’Octobre a ébranlé le monde. Chez les tenants de l’ancien régime, tsaristes convaincus ou reconvertis et autres petits-bourgeois, on cherche à sauver sa peau. Le mariage entre la fille Goulatchkine et le fils Smetanitch avec, pour dot, un communiste, ferait bien les affaires des uns et des autres.

 

Comme aucun d’eux ne connaît de communiste dans son entourage, qu’on ne va pas « en prendre un dans la rue, ça ne se fait pas », le fiston Goulatchkine est tout désigné pour devenir cet homme nouveau, ce communiste prêt à servir de dot à sa sœur.

Les préparatifs du mariage vont bon train, mais, de quiproquos en malentendus, de petits mensonges en vérité arrangée, rien ne se déroule comme prévu. Vrais et faux communistes, vraie robe impériale et fausse tsarine, tout ce petit monde se croise à vive allure, parlant, piaillant, piaffant à tout bout de champ. Les portes claquent, les entrées et sorties se font au pas de charge, on se cache sous les tapis, on accroche au mur des icônes du Christ qui, si on les retourne, dévoilent un portrait de Karl Marx.

Ne pas s’en tenir à la bienséance

Le temps est compté. Le fameux mandat est une sorte de sauf-conduit, une carte du parti qui n’en est pas une, un bout de papier. Lorsque Pavel Goulatchkine le brandit à la barbe du voisin (prolétaire) et au nez des Smetanitch (tsaristes), il claque le bec au premier et rassure les seconds. Mais rien ne va se dérouler comme prévu.

C’est tout l’art de Nicolaï Erdman de ne jamais s’en tenir aux évidences ou à la bienséance ; de se saisir de la moindre faille ou défaillance de ses personnages pour dérouler, sans temps mort ni accroc, la mécanique du rire. Nous sommes en 1924 et dans la Russie post-tsariste et encore révolutionnaire, on peut rire de (presque) tout et même avec n’importe qui. C’est dans cet interstice de l’Histoire qu’Erdman va écrire ses deux seules pièces, le Mandat en 1924, à tout juste 24 ans, et le Suicidé en 1928.

Deux pièces irrévérencieuses, infiniment drôles, qui se jouent de l’absurde de situation, se moquent allègrement de la bureaucratie qui commence à gangrener la révolution. Erdman n’en écrira pas d’autres. Rattrapées par la machine stalinienne à broyer les hommes et la liberté, ses pièces seront censurées à partir des années 1930.

Celui qui faisait dire à ses personnages : « Vous croyez en Dieu, jeune homme ? – À la maison oui, pas au travail » (dans le Mandat), ou encore « Camarades ! Je vous en supplie, au nom des millions de gens, accordez-nous le droit de chuchoter » (dans le Suicidé), passera sous les fourches caudines du stalinisme mais mourra, en 1970, sans jamais avoir vu ses pièces rejouées.

L’esprit farcesque conservé

En 2011, Patrick Pineau avait monté le Suicidé au Festival d’Avignon, à la Carrière de Boulbon. Aujourd’hui, c’est le Mandat qu’il met en scène. Avec, toujours, cette même furieuse énergie, cette joie de jouer sans cesse renouvelée. Sa mise en scène est montée sur ressorts, rien n’est laissé au hasard, entrées et sorties sont réglées au cordeau. Chaque réplique, chaque déplacement, chaque geste relance la machine, tout s’accélère.

Entre la première partie, l’appartement étroit, légèrement décati des Goulatchkine, et la deuxième, qui se déroule dans celui des Smetanitch, grand, vide, sombre, l’histoire s’emballe. Il faut une grande maîtrise, connaissance et compréhension du théâtre d’Erdman pour ne pas se laisser dominer par cette mécanique et préserver l’esprit farcesque et clownesque de la pièce. C’est comme si le Mandat avait été taillé sur mesure pour Pineau.

Avec Sylvie Orcier, qui joue et signe la scénographie, on retrouve des acteurs compagnons de longue date et on découvre de nouveaux venus. Chacun est en place, dans la place, à sa place. Il y a là, dans ce théâtre de saltimbanques, un esprit de troupe comme on en voit peu, un travail collectif où s’entremêlent complicité et générosité.

 
 
Légende photo : Deux pièces irrévérencieuses, infiniment drôles, qui se jouent de l’absurde de situation.
©Simon Gosselin service de presse
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Anne Tanguy accède à la direction du Quartz, scène nationale de Brest

Anne Tanguy accède à la direction du Quartz, scène nationale de Brest | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Publié sur le site d'Artcena  - 19 avril 2024

 

De ses années d’études en géo-architecture vécues à Brest, Anne Tanguy conserve un souvenir marquant, auquel Le Quartz est nullement étranger. « Découvrir cette salle à l’histoire exceptionnelle a complètement bouleversé mon parcours », confie-t-elle.

 

 

Fédérateur, son projet se construira autour de trois valeurs cardinales : la coopération, l’altérité et la solidarité envers les artistes.

De ses années d’études en géo-architecture vécues à Brest, Anne Tanguy conserve un souvenir marquant, auquel Le Quartz est nullement étranger. « Découvrir cette salle à l’histoire exceptionnelle a complètement bouleversé mon parcours », confie-t-elle. C’est pourquoi la nouvelle directrice de la scène nationale se réjouit aujourd’hui de renouer avec un territoire artistiquement et culturellement très riche, mais aussi de disposer d’un magnifique outil rénové après trois ans de travaux impulsés par des partenaires (Ville, Métropole, Région et Département) qui ont fortement contribué, et contribuent encore, à son rayonnement sur les plans régional, national et international.

Dans la lignée de ses prédécesseurs, proche (Matthieu Banvillet) ou plus lointain (le tout premier directeur, Jacques Blanc), Anne Tanguy poursuivra le « travail exemplaire » accompli sur les champs de la danse et des musiques populaires en maintenant – tout en les réinterrogeant – ces deux festivals emblématiques que sont No Border et Dañsfabrik. Durant la saison, son goût de l’éclectisme la portera vers des propositions pluridisciplinaires (le théâtre et la marionnette, entre autres)

 

comme transdisciplinaires (un axe qu’elle a beaucoup creusé à la scène nationale de Besançon), aptes aussi à rassembler un large public. Une nécessité, compte tenu de la jauge conséquente – 1 500 places, l’une des plus grandes de l’Hexagone – du Quartz. « Je ferai en sorte d’allier spectacles fédérateurs et productions audacieuses, afin de former non pas le public de demain, mais celui d’aujourd’hui », ajoute la directrice, qui introduira également une programmation jeune public et familiale, jusqu’ici peu présente. Cette inflexion satisfera un double objectif : favoriser, dès l’enfance, la rencontre avec l’art, et attirer de nouveaux spectateurs qui fréquentent rarement la scène nationale en famille. Enfin, l’accueil de productions internationales reposera sur la coopération avec d’autres scènes et festivals, notamment européens, Anne Tanguy initiant, par exemple, un jumelage avec Charleroi Danse à Bruxelles.

 

Plus globalement, sa démarche s’articulera autour de trois fondamentaux appliqués à l’ensemble des activités du Quartz. « L’Alliance » tout d’abord, illustre une volonté de consolider les partenariats avec des lieux de dimensions diverses, des associations, des compagnies et des structures sociales afin de mener des actions culturelles mais aussi optimiser la production et la diffusion. « L’Altérité » ensuite s’incarnera dans l’ouverture du lieu à de multiples usages, d’ores et déjà induite par l’organisation régulière de congrès dans l’établissement. « Partager l’équipement avec d’autres professionnels issus de secteurs différents est très enrichissant et permet d’éviter l’écueil de l’entre soi », fait valoir Anne Tanguy ; laquelle mettra aussi à profit les nouveaux espaces de convivialité aménagés lors de la rénovation du Quartz. « La Solidarité » enfin s’exercera en priorité à l’adresse des artistes, la scène nationale prévoyant une augmentation du budget de production. En matière de diffusion, la directrice s’attachera à développer une permanence artistique (gage de diversification des publics), grâce à la présence d’artistes associés (dont Nina Laisné et Renaud Herbin), la mise en œuvre de résidences d’infusion in situ et de projets culturels de territoire. Ces derniers seront facilités par la dynamique partenariale qui s’est amplifiée à la faveur de plusieurs saisons passées par Le Quartz hors les murs. Désireuse de promouvoir d’autres modes d’action culturelle, Anne Tanguy accordera une attention particulière aux quartiers populaires brestois, imaginant avec eux des jumelages sur plusieurs années.

 

 

Dans le déploiement de cet ambitieux et foisonnant projet, qui suscite de nombreuses attentes, la nouvelle directrice entend « avancer tranquillement », au regard des turbulences provoquées au sein de l’équipe par le départ prématuré de Maïté Rivière en mars 2023. Grâce à « l’intérim remarquable » réalisé par Paul-Jacques Hulot, elle se dit néanmoins confiante en l’avenir, assurée de pouvoir s’appuyer sur des collaborateurs et des partenaires partageant son enthousiasme et sur la fidélité non démentie du public depuis la réouverture du Quartz voici quelques mois. 
 

 

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Virginie Colemyn, une comédienne en ses variations poétiques

Virginie Colemyn, une comédienne en ses variations poétiques | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Fabienne Darge dans Le Monde - 18 avril 2024

 

L’actrice, dont le jeu marie précision et virtuosité, tragique et comique, est à l’affiche du Théâtre de l’Odéon, à Paris, dans la reprise de la pièce d’Arne Lygre, « Jours de joie », mise en scène par Stéphane Braunschweig.

 

Lire l'article sur le site du "Monde" : 
https://www.lemonde.fr/culture/article/2024/04/18/virginie-colemyn-une-comedienne-en-ses-variations-poetiques_6228522_3246.html

Virginie Colemyn s’assied en face de vous, dans un grand café du centre de Paris, et d’emblée s’installe un sentiment de douce étrangeté. Sur elle, vous ne trouverez ni fiche Wikipédia ni notice biographique. Pas de traces non plus sur les réseaux sociaux. Pour un peu, la comédienne de 52 ans passerait sous les radars. Et pourtant, depuis vingt ans, les critiques de théâtre rivalisent de superlatifs – dans ces colonnes et ailleurs – pour saluer son talent : « subjuguante », « bluffante », « irradiante », « hors normes », « formule 1 », « douée d’une infinie palette de jeu »… N’en jetez plus.

A chacune de ses apparitions – trop rares –, Virginie Colemyn imprime quelque chose de fort et d’inédit. C’est le cas dans Jours de joie, d’Arne Lygre, un spectacle de Stéphane Braunschweig aujourd’hui repris aux Ateliers Berthier du Théâtre de l’Odéon, à Paris, que l’on peut aller voir pour elle. Pour voir ce qu’est un rire gorgé de larmes : l’incarnation d’une joie qui se cherche et résiste au milieu de l’impuissance éprouvée face à un monde qui semble chaque jour courir un peu plus vers l’abîme.

 

De ce drôle de parcours dans le théâtre français, qui jusque-là ne lui a pas fait la place qu’elle mérite, malgré de beaux compagnonnages avec Ariane Mnouchkine, Gwenaël Morin ou le plasticien Christian Boltanski (1944-2021), elle parle avec des mots concrets et poétiques, entourés de silence. Elle ne prononcera pas le terme de « transfuge de classe », trop sociologique pour elle. Mais elle s’interroge sur une forme d’endogamie du théâtre français, elle qui est née dans les quartiers nord et gitans de Bordeaux, et dans une « grande famille du monde ouvrier ».

« En perpétuel décalage »

Sa mère tenait un salon de coiffure, et ce fut son premier théâtre. « Elle coiffait des entraîneuses et des bourgeoises. C’est l’endroit où j’ai beaucoup écouté et regardé la vie, un univers de femmes que j’ai retrouvées ensuite dans le cinéma de Chantal Akerman que j’aime tant », raconte-t-elle. Comme beaucoup d’autres à qui l’art n’a pas été offert en héritage, elle a découvert le théâtre grâce à une professeure de français. Et dès le jour de cette « épiphanie » vécue à 12 ans, elle s’est consacrée à l’art dramatique, corps et âme.

Le chemin ne fut pas simple. « Je n’avais pas les codes, j’étais en perpétuel décalage », constate-t-elle. Elle intègre néanmoins la classe libre du Cours Florent, où le célèbre pédagogue la surnomme sa « petite Meryl Streep ». « Je n’ai jamais compris s’il faisait allusion à sa capacité de convoquer l’émotion ou à sa faculté de transformation », s’interroge Virginie Colemyn. Elle, ce qu’elle veut, c’est entrer au Théâtre du Soleil : « J’avais vu Les Atrides mis en scène par Mnouchkine, qui avait provoqué chez moi une forme de sidération. L’impression d’une splendeur totale, d’acteurs comme des dieux volant sur le plateau… Une odyssée dans laquelle je rêvais de m’inscrire. »

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Le chemin sera encore long : il passera par l’Ecole Jacques Lecoq, ouverte sur d’autres formes de création que le théâtre classique à la française. Elle y découvre la notion de « fonds poétique commun », qui continue de la nourrir aujourd’hui. Et elle entre enfin au Soleil, en 2002, à 31 ans, où l’on découvrira son talent singulier dans Le Dernier Caravansérail (2003) et, surtout, dans Les Ephémères (2006), magnifique création collective de la troupe. « Les années les plus belles de ma vie, des années de rêve », dit-elle, songeuse. Se brûle-t-on quand on est trop près du Soleil ? Au bout de cinq ans, elle quitte la troupe d’Ariane Mnouchkine. « Je ne me voyais pas y rester trente ans, comme d’autres », répond-elle, laconique. « Mais j’ai gardé du Soleil le goût de l’exigence, de la discipline, du rituel. »

Goût de la troupe et de l’épique

Le goût de la troupe et de l’épique, aussi, qui l’amène à une autre rencontre capitale : celle, en 2009, avec le metteur en scène Gwenaël Morin, qui lance aux Laboratoires d’Aubervilliers (Seine-Saint-Denis) son Théâtre permanent, un des rares gestes révolutionnaires qu’ait connus le théâtre français depuis trente ans. « Faire du théâtre avec lui, c’est un peu comme être à cru sur un cheval, s’amuse-t-elle. Morin est un metteur en scène nietzschéen : il lui faut du feu, de l’incandescence, et des acteurs peu soucieux de leur image. C’est très subversif et très reposant par rapport à l’imagisme actuel : c’est de nouveau l’enfance, le bac à sable. L’imaginaire carbure, tout est possible dans un grand dénuement. »

Virginie Colemyn accompagne l’aventure, avec ses hauts et ses bas, pendant quinze ans, jusqu’à ce Songe shakespearien en folie, créé au Festival d’Avignon en 2023, dans lequel elle atteint des sommets dans l’alliage entre l’improbable et le sublime, un art dans lequel elle est désormais passée maîtresse. « Comme le disent les sorcières de Macbeth, le beau est laid, le laid est beau », lance-t-elle comme un manifeste.

 

Entre-temps, elle a croisé l’univers plus sage de Stéphane Braunschweig, dans lequel elle amène une dissonance, une vibration poétique qui manquent parfois aux spectacles du directeur de l’Odéon. Qu’il s’agisse de jouer Tennessee Williams, Shakespeare, Racine ou les pièces ludiques, abstraites et mystérieuses de l’auteur norvégien Arne Lygre. « C’est un théâtre qui offre la possibilité de déployer une palette très riche. Tout miroite, tout est instable dans ses dispositifs textuels, c’est un peu comme un courant alternatif. Les deux mères que je joue sont malaisantes, à l’intérieur de codes assez classiques. »

Ce parcours à trous et à fulgurances a formé un art d’actrice bien particulier, qui marie précision et virtuosité, tragique et comique, avec une immense liberté. « Il y a quelque chose du clown chez elle, une part d’enfance très forte, très belle, une sorte d’étonnement fondamental », dit d’elle la réalisatrice Emmanuelle Mougne, qui l’a fait tourner dans son film La Vie naturelle du pou (2020). Sur le « fonds poétique commun », Virginie Colemyn joue bien ses propres variations. « La scène, c’est l’endroit du monde où je ne me sens pas errante », avoue-t-elle dans un souffle.

 

Voir le teaser vidéo de "Jours de joie" 

 

 

Jours de joie, d’Arne Lygre. Mise en scène : Stéphane Braunschweig. Odéon-Théâtre de l’Europe aux Ateliers Berthier, Paris 17e, du 20 avril au 5 mai.

 

 

Fabienne Darge / LE MONDE 

Légende photo : Virginie Colemyn, le 13 avril 2024, à Paris. CAROLE BELLAÏCHE

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Au collège Léo-Lagrange, à Charleville-Mézières, le théâtre comme « bulle » d’évasion et d’émotions

Au collège Léo-Lagrange, à Charleville-Mézières, le théâtre comme « bulle » d’évasion et d’émotions | Revue de presse théâtre | Scoop.it

REPORTAGE de Sandrine Blanchard dans Le Monde - 16 avril 2024

 

Dans l’établissement ardennais, à l’initiative d’un enseignant, les élèves volontaires s’initient avec bonheur à la pratique scénique, qu’Emmanuel Macron entend étendre au niveau national.

 

Lire l'article sur le site du "Monde" : 

https://www.lemonde.fr/culture/article/2024/04/16/au-college-leo-lagrange-a-charleville-mezieres-le-theatre-comme-bulle-d-evasion-et-d-emotions_6228199_3246.html

« Cela m’aide à être moins timide, à m’ouvrir aux autres. Ici, je me sens bien, je ne suis pas stressée, ni oppressée, c’est comme une bulle. » Ainsi parle Ambre, élève de 3e au collège Léo-Lagrange de Charleville-Mézières, quand on lui demande pourquoi elle a ajouté « théâtre » à son emploi du temps. Dans cet établissement classé REP+ (réseau d’éducation prioritaire), c’est Fayçal Abderrezek, professeur de français, qui anime cet atelier depuis 2008. Chaque lundi et vendredi, après les cours, Ambre, Rachid, Yzae, Juan, Aaliyah, Madison, Eléa… âgés de 11 à 16 ans, poussent les tables du réfectoire, s’installent en cercle avec lui, partagent un goûter, puis se lancent pendant une heure trente dans des exercices d’improvisation et de répétitions théâtrales. « Cela m’aide à mieux montrer mes émotions », se réjouit Rachid, élève de 6e. « Cela me permet d’être plus à l’aise pour parler devant des gens et puis ça donne plus d’idées et de mots pour les rédactions », complète Yzae, élève de 4e.

 
 

Combien y a-t-il en France d’ateliers, de clubs ou de troupes de théâtre dans les collèges et d’enseignants impliqués comme Fayçal Abderrezek ? Faute d’état des lieux, les ministères de l’éducation nationale et de la culture ne sont pas en mesure d’apporter une réponse. « On ne part pas de rien, mais il n’existe pas de statistiques au niveau national sur les pratiques théâtrales dans les établissements scolaires », explique-t-on Rue de Grenelle. Pourtant, développer le théâtre à l’école est devenu une injonction présidentielle. « Je souhaite que le théâtre devienne un passage obligé au collège dès la rentrée prochaine. Parce que cela donne confiance, cela apprend l’oralité, le contact aux grands textes », déclarait Emmanuel Macron lors de sa conférence de presse du 16 janvier.

 

 

« Cela m’aide à être moins timide, à m’ouvrir aux autres. Ici, je me sens bien, je ne suis pas stressée, ni oppressée, c’est comme une bulle. » Ainsi parle Ambre, élève de 3e au collège Léo-Lagrange de Charleville-Mézières, quand on lui demande pourquoi elle a ajouté « théâtre » à son emploi du temps. Dans cet établissement classé REP+ (réseau d’éducation prioritaire), c’est Fayçal Abderrezek, professeur de français, qui anime cet atelier depuis 2008. Chaque lundi et vendredi, après les cours, Ambre, Rachid, Yzae, Juan, Aaliyah, Madison, Eléa… âgés de 11 à 16 ans, poussent les tables du réfectoire, s’installent en cercle avec lui, partagent un goûter, puis se lancent pendant une heure trente dans des exercices d’improvisation et de répétitions théâtrales. « Cela m’aide à mieux montrer mes émotions », se réjouit Rachid, élève de 6e. « Cela me permet d’être plus à l’aise pour parler devant des gens et puis ça donne plus d’idées et de mots pour les rédactions », complète Yzae, élève de 4e.

 
 

Combien y a-t-il en France d’ateliers, de clubs ou de troupes de théâtre dans les collèges et d’enseignants impliqués comme Fayçal Abderrezek ? Faute d’état des lieux, les ministères de l’éducation nationale et de la culture ne sont pas en mesure d’apporter une réponse. « On ne part pas de rien, mais il n’existe pas de statistiques au niveau national sur les pratiques théâtrales dans les établissements scolaires », explique-t-on Rue de Grenelle. Pourtant, développer le théâtre à l’école est devenu une injonction présidentielle. « Je souhaite que le théâtre devienne un passage obligé au collège dès la rentrée prochaine. Parce que cela donne confiance, cela apprend l’oralité, le contact aux grands textes », déclarait Emmanuel Macron lors de sa conférence de presse du 16 janvier.

 
Le président de la République et son premier ministre ont tous deux fréquenté des ateliers théâtre dans leur jeunesse et en connaissent les bienfaits. Au lycée jésuite de La Providence à Amiens, Emmanuel Macron a suivi celui de sa professeure de français et future épouse Brigitte Trogneux et a joué, à 15 ans, dans l’adaptation de La Comédie du langage, de Jean Tardieu. A l’Ecole alsacienne à Paris, Gabriel Attal est monté sur scène tout au long de sa scolarité. « J’en ai fait dès le CE2 et j’interprétais “Le Chat botté”. Au collège, j’ai joué Molière, Goldoni… Je n’ai pas l’impression pour autant de camper aujourd’hui un personnage en politique, mais ces expériences m’ont aidé en termes de gestion du trac et de prise de parole publique », développait-il en août 2023 dans une interview au magazine Gala.
 
Le président de la République et son premier ministre ont tous deux fréquenté des ateliers théâtre dans leur jeunesse et en connaissent les bienfaits. Au lycée jésuite de La Providence à Amiens, Emmanuel Macron a suivi celui de sa professeure de français et future épouse Brigitte Trogneux et a joué, à 15 ans, dans l’adaptation de La Comédie du langage, de Jean Tardieu. A l’Ecole alsacienne à Paris, Gabriel Attal est monté sur scène tout au long de sa scolarité. « J’en ai fait dès le CE2 et j’interprétais “Le Chat botté”. Au collège, j’ai joué Molière, Goldoni… Je n’ai pas l’impression pour autant de camper aujourd’hui un personnage en politique, mais ces expériences m’ont aidé en termes de gestion du trac et de prise de parole publique », développait-il en août 2023 dans une interview au magazine Gala.


La Fameuse Invasion de la Sicile par les ours, Joconde jusqu’à cent, Candide, L’Auberge rouge, Arrête ton cinéma… Dans une salle de classe, un mur est recouvert des affiches des spectacles créés au fil des ans grâce à l’atelier. Fayçal Abderrezek aime écrire et mettre en scène. Chaque année, il monte un projet nouveau en adaptant un roman ou une pièce classique. « Ce type d’atelier se monte assez facilement mais demande beaucoup de temps et de l’investissement personnel, c’est important d’y trouver du plaisir », insiste l’enseignant.

C’est pourquoi, selon lui, « on ne peut pas dire “faites du théâtre !” en l’imposant, ça ne marchera ni du côté des élèves ni du côté des professeurs ». Le chef d’établissement est sur la même longueur d’onde. L’injonction présidentielle d’un « passage obligé » le laisse dubitatif. « Quelle est l’ambition ? Qu’est-ce qui est attendu ? C’est une belle idée dans la construction de l’élève mais ça dépend énormément du dévouement de l’enseignant et du projet. Pourquoi systématiser ? Chaque élève peut se réaliser dans des disciplines différentes, la danse, la musique, etc. »

 

Philippe Guyard, directeur de l’Association nationale de recherche et d’action théâtrale, qui rassemble depuis quarante ans artistes et enseignants engagés dans des actions de transmission du théâtre en milieu scolaire, constate que l’annonce présidentielle « a suscité davantage de crainte que d’adhésion. Il faudrait partir des forces vives existantes, réfléchir au cadre des partenariats artistiques et faire de la pédagogie de projet, liste-t-il. L’enjeu est la pratique, pas seulement d’aller voir des spectacles. Beaucoup d’enseignants seraient prêts à s’investir car ce type de projet donne du souffle, permet de retrouver du sens par le sensible ».

Cinq représentations de fin d’année

Cette année, deux spectacles sont montés au collège Léo-Lagrange : l’adaptation de Cendrillon, de Joël Pommerat, et d’Ubu roi, d’Alfred Jarry. C’est l’enseignant qui a distribué les rôles. Aaliyah, élève en 6e, jouera Cendrillon. « C’est amusant de jouer pour de faux », se réjouit-elle. Madison, elle, interprétera la reine Rosemonde et s’amuse beaucoup à chercher « la bonne interprétation et les bonnes intonations pour dégager des émotions ».

Les cinq représentations de fin d’année, « cet enjeu de la réussite collective », comme le résume le professeur, est la grande affaire de l’atelier théâtre. Tout commence au premier trimestre par des exercices d’improvisation. Puis, pendant les vacances (en février et à Pâques) sont organisés trois jours de résidence au collège. « La première résidence permet de prendre conscience de l’avancée du projet, d’en éprouver le rythme et la seconde a pour objectif de s’achever par une quasi-répétition générale », détaille l’enseignant. Quant aux costumes, ils sont trouvés chez Emmaüs.

En parallèle, des sorties gratuites sont organisées au Théâtre de Charleville-Mézières grâce à la part collective du Pass culture. Au programme de cette année : Antigone, dans la mise en scène chorégraphique d’Emma Gustafsson et Laurent Hatat, et Dimanche, de Julie Tenret, Sicaire Durieux et Sandrine Heyraud, un spectacle jeune public, fable moderne sur l’urgence climatique mêlant marionnette et jeu théâtral. « Pour certains élèves, c’est leur première occasion d’aller au centre-ville », souligne le chef d’établissement.

Rencontrer des comédiens

Et aussi de rencontrer des comédiens. Si au collège de Charleville-Mézières, l’atelier théâtre est géré par un professeur, ailleurs, il peut aussi associer enseignants et comédiens. Combien d’artistes interviennent en milieu scolaire ? Impossible à savoir. Seule certitude, lorsqu’une compagnie fait une demande de subvention auprès des collectivités territoriales, le fait qu’elle participe à des actions culturelles auprès des jeunes peut jouer en sa faveur.

Dix ans déjà que Sébastien Nivault intervient, entre deux tournées, dans des établissements scolaires en association avec des scènes nationales. « Il faut faire preuve de patience, déconstruire l’image rideau rouge, vieillotte, que le théâtre peut avoir auprès des jeunes. Mais de cet espace collectif de liberté peuvent naître des histoires magnifiques et aider les jeunes à se dire “Je peux y entrer” quand ils passent devant un théâtre », témoigne ce comédien.



« L’atelier théâtre est un endroit où je fais aussi pleinement mon métier, ça me nourrit », considère Sébastien Nivault. Pour lui, la proposition présidentielle peut avoir le mérite de « pousser chaque artiste à se poser la question de l’intervention en milieu scolaire, mais le caractère obligatoire pour les élèves me fait peur car il risque de renforcer l’image poussiéreuse du théâtre ». Le ministère de l’éducation nationale vise désormais la rentrée 2026 pour mettre en place « une refonte globale des enseignements artistiques comprenant un enseignement de l’histoire de l’art et un renouvellement de l’apprentissage des pratiques artistiques : théâtre, musique, arts plastiques ».

Dans le réfectoire du collège Léo-Lagrange, les élèves écoutent avec attention les indications de leur professeur. Certains, au départ, avaient peur de l’ampleur du texte à apprendre. « En fait, constate Madison, ça passe crème parce qu’on le joue. »

 

 

Sandrine Blanchard  -  Charleville-Mézières, envoyée spéciale du Monde 

 

Légende photo : Atelier de théâtre au collège Léo-Lagrange, à Charleville-Mézières (Ardennes), le 9 avril 2024, avec, de gauche à droite, Nathanaël, Rachid et Madison. BENJAMIN GIRETTE POUR « LE MONDE »

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Véronique Felenbok : "Les artistes minorisés seront les premiers touchés"

Véronique Felenbok : "Les artistes minorisés seront les premiers touchés" | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Propos recueillis par Samuel Gleyze-Esteban dans L'Oeil d'Olivier - 16 avril 2024

Fin mars, une enquête flash menée par LAPAS auprès d'administrateurs du spectacle augurait d'une casse inédite dans la saison à venir. Sa coprésidente, Véronique Felenbok, directrice de production et fondatrice du Bureau des filles, alerte des conséquences sur le secteur tout entier, et en premier lieu sur les artistes en position de minorité.

 

Le rapport de l’Association des professionnels de l’administration du spectacle (LAPAS) est tombé à peu près en même temps que l’annonce de coupes drastiques dans le budget de la Culture… Comment avez-vous réagi à ces annonces ?

 

Ces coupes vont toucher tout le secteur, mais notre problème est ailleurs. Il est directement connecté au souci d’inflation qui se pose depuis qu’a augmenté le prix des matières premières. Nous l’avions identifié dès que nous avions collecté les retours du dernier Festival d’Avignon. En discutant entre adhérents de Lapas, nous nous étions aperçus aperçus que contrairement aux autres années, où les retours des professionnels en sortie de salle nous permettaient de projeter l’importance des tournées des spectacles présentés, cette fois, les programmateurs et programmatrices ne s’engageaient pas. Les mois passant, ces engagements ne venaient toujours pas. Finalement, la saison 24-25 n’a plus rien eu à voir avec ce que l’on pouvait projeter. 

Les résultats de votre enquête, qui concernent 272 artistes et compagnies de différentes disciplines, sont plutôt catastrophiques : -54% de représentations prévues pour 24/25 par rapport à la saison actuelle et 22% des artistes en passe de jeter l’éponge. Côté administration, ce sont 27% des bureaux de production et 40% des compagnies qui pensent devoir renoncer à ces emplois pourtant essentiels à leur bon fonctionnement…

 

Au niveau des compagnies que je produis, je compte une baisse encore plus importante des représentations prévues la saison prochaine : -64%. Ce que l’on ne comprenait pas, c’est pourquoi les chiffres que donnaient les structures étaient à ce point en-deçà de ce que nous pouvions noter au quotidien [l’ACDN prévoit entre 15% et 20% de baisse des dates—ndlr].

Comment en est-on arrivés là ?

Il y a plusieurs facteurs cumulés. L’inflation a impacté très durement les structures, avec l’augmentation des matières premières et d’autres éléments dont le transport et l’hébergement. À la suite, la négociation annuelle des salaires (NAO), indexant les salaires sur l’inflation, a fait augmenter les masses salariales. Ces augmentations, associées à des coupes catastrophiques des collectivités territoriales et de la DRAC, ont laissé une marge artistique très réduite. Celle-ci s’est d’abord manifestée dans la baisse des parts de coproduction. Déjà la saison dernière, les théâtres et les structures commençaient à donner des parts de coproduction nettement inférieures à celles qu’elles accordaient auparavant. Là où, avant, ils mettaient 10 000€, il donnent maintenant 5000€. Même s’il y a eu des indications de la part de l’ACDN et de l’association des Scènes nationales incitant leurs adhérents à pas donner de coproductions en-dessous de 10 000€, mais les compagnies peuvent témoigner depuis longtemps de parts de coproduction nettement inférieures. Désormais, c’est au niveau des tournées que cela devient catastrophique. Je pense que l’on doit s’attendre à une hécatombe. Pour l’heure, celle-ci n’est anticipée par personne. Un grand nombre d’artistes vont arrêter leurs compagnies : 22% dans notre enquête, avec une répartition assez équitable entre les compagnies subventionnées, celles qui ne le sont pas, et celles qui sont aidées au projet.

Y a-t-il des facteurs qui différencient les compagnies qui survivront quand même et celles qui s’apprêtent à mettre la clé sous la porte ?

 

Oui, et c’est multifactoriel. Je pense que le théâtre jeune public sera relativement préservé, puisque les théâtres et les centres chorégraphiques ont une obligation de diffuser des spectacles jeune public. En revanche, les œuvres avec de nombreux interprètes sur le plateau sont impactées très fortement, puisque les théâtres, moins dotés, programment désormais davantage de petites formes à un, deux ou trois interprètes, au coût plateau moins élevé. Le plus inquiétant, c’est que cette situation va favoriser les valeurs sûres. Jusqu’à présent, les programmations opéraient un équilibre entre des valeurs sûres et des spectacles plus singuliers, moins identifiés. Mais à terme, on aboutira sur un paysage des compagnies bipolarisé. D’un côté, des compagnies très institutionnalisées, les plus soutenues. Et de l’autre, des compagnies très précaires qui, par envie ou besoin vital, accepteront de créer sans payer les répétitions, pour ne jouer leur spectacle qu’une poignée de fois…

Que faisiez-vous, déjà, de l’injonction à réduire le nombre de productions ?

 

Ce que l’on pense, c’est que la DGCA n’a pas pris les décisions qui s’imposaient. Le plan « mieux produire, mieux diffuser » vient d’un constat avec lequel nous sommes d’accord : il y a trop de productions, qui tournent chacune pour un nombre de dates trop faible. Mais le ministère de la Culture appelle en réalité de ses vœux, depuis longtemps, à une diminution du nombre de compagnies, et ce n’est pas la solution. La solution serait de produire moins et mieux, et on a déjà émis de nombreuses recommandations allant dans ce sens. En premier lieu, reconnaître et subventionner le travail de recherche. Aujourd’hui, les compagnies sont contraintes de créer un spectacle chaque année pour pouvoir demander chaque année des aides. Mais s’il était possible de demander des subventions sur deux ans — un an pour la recherche et les premières répétitions, une deuxième année pour la création — pour un montant égal à l’année, cela imposerait un ralentissement naturel du rythme des créations, ainsi qu’un plus grand nombre de représentations pour chaque projet. Il faudrait une entente à l’échelle du secteur, qui engage les subventions des DRAC mais aussi les structures accueillant les compagnies en résidence. 

Nous avons alerté le ministère d’un autre souci auquel il est resté sourd : la question du nombre de dates requises pour être conventionné. Aujourd’hui, en théâtre, il faut 90 dates sur trois ans. Qui les atteint ? Surtout, quelles femmes y parviennent ? En 2024, seules 36% de créations de théâtre et « arts associés » sont mises en scène par des femmes, et aujourd’hui, en Île-de-France par exemple, aucun des huit compagnies conventionnées par la DRAC à quatre ans n’est dirigée par des femmes. Le même problème se posera pour toutes les catégories sous-représentées sur les plateaux, puisqu’elles réalisent moins de dates. Les artistes les plus minorés et les plus fragiles seront les premiers touchés par la crise. Et en général, ce sont les mêmes. Cette crise aboutira ainsi à une diminution de la représentativité, qui est déjà à un niveau très bas. Pourtant, c’est une cause du manque de diversité dans le public.

Doit-on craindre que cette situation laisse une plus grande mainmise du politique sur la création, même indirecte ?

 

Indirecte, elle l’est moins en moins. On voit de manière croissante que certaines communes ou régions refusent de programmer des projets qui recueillent pourtant des avis positifs des comités d’experts, des rapporteurs ou des conseillers, et cela pour des raisons politiques. Pour l’instant, cela ne s’observe qu’au niveau des collectivités territoriales. On l’entend de plus en plus depuis deux, trois ans. Cela aura un impact sur les sujets qui pourront être abordés. On sait d’avance lesquels posent problème. Et en ce moment, avec la droitisation de tout le paysage politique, cette emprise est à craindre de plus en plus. 

On imagine qu’à ce titre, toutes les collectivités sont concernées, en dépit des volontés politiques…

 

On est étonnés : même des régions que l’on pensait préservées ont opéré des coupes. L’inflation a mis toutes les collectivités territoriales en situation de faiblesse et de fragilité. Bien sûr, une collectivité comme la région Rhône-Alpes a ouvert le bal avec une très forte emprise du politique sur la culture. Mais depuis que l’inflation s’est aggravée, on voit des régions et des départements tailler dans les budgets de la culture alors que celle-ci était jusqu’à présent au centre de leurs préoccupations. Pour en avoir discuté ensemble, on sait qu’une partie d’entre elles ne sabre pas dans la culture de gaieté de cœur : c’est pour ne pas avoir à le faire dans l’éducation ou la santé.

Qu’en est-il, dans ce contexte, des professionnels de l’administration représentés par Lapas ?

 

L’année dernière, un peu plus de 300 professionnels de l’administration adhéraient à l’association, représentant environ 1200 compagnies. Une chose qui nous inquiète beaucoup depuis le Covid, c’est la pénurie dans nos métiers. Cette crise rendra les choses encore plus tendues. Les administrateurs sont aujourd’hui obligés soit de prendre plus de compagnies, donc travailler plus pour gagner autant, soit gagner moins pour travailler autant.

Quelle réponse politique peut-on trouver à cette crise ?

 

C’est un choix politique de couper dans toutes les politiques régaliennes : l’éducation, la santé… on est tous logés à la même enseigne. Ce n’est pas que ce pays manque d’argent. Mais petit à petit, les choses qui rapportaient de l’argent à l’état ont été abandonnées. Avec la crise énergétique, beaucoup d’entreprises françaises ont réalisé des superprofits, qu’elles ont pu redistribuer à leurs actionnaires. C’est un problème de répartition des richesses. De notre côté, ça devient un massacre. Même les coupes qui sont faites dans les grandes maisons rejaillissent sur l’ensemble du secteur. De l’argent enlevé à l’Opéra, c’est de l’argent enlevé aux artistes et aux techniciens. Ce n’est donc qu’en s’unissant dans la bataille que notre secteur se rendra audible. Concernant les perspectives… il y a eu des périodes, dans l’histoire politique française, où la culture tenait une place importante. Ce n’est plus le cas d’aucune des missions de service public de l’État, dont la culture fait pourtant partie.

 

 

Propos recueillis par Samuel Gleyze-Esteban dans L'Oeil d'Olivier

 

 
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Claudine Galea : « On a autant besoin d’art que de pain »

Claudine Galea : « On a autant besoin d’art que de pain » | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Marie-José Sirach dans L'Humanité - 14 avril 2024

 

Après Je reviens de loin l’automne dernier, Trois fois Ulysse est la deuxième pièce de Claudine Galea à l’affiche de la Comédie-Française. Rencontre avec une autrice qui ne renonce ni à la poésie, ni à l’utopie.

 

Laëtitia Guédon, qui met en scène Trois fois Ulysse, dit que vous avez accepté « d’entrer dans le grand poumon lyrique » de la tragédie. C’est-à-dire ?

Je parle d’un lyrisme fracassé, pas celui de la tragédie telle qu’on l’écrivait il y a plusieurs siècles. Ce n’est plus possible aujourd’hui. D’abord parce qu’il n’y a plus de transcendance, parce que mon écriture a sa propre logique, sa propre cohérence et, en relisant l’Odyssée, que j’ai relu dans trois traductions différentes pour pouvoir l’appréhender autrement, ce qui m’a sauté aux yeux, c’est la guerre, les massacres, l’épopée d’un héros qui n’a cessé de saccager le monde. Dès lors, il fallait que la poétique, terme que je préfère au lyrisme, soit brisée. Il y a beaucoup d’humour dans ce que j’ai écrit, inséparable de la distance nécessaire que j’éprouve avec ce grand mythe.

 

On a l’habitude de vous lire dans des monologues, des dialogues intérieurs très intimes. Ici, vous explorez plusieurs registres d’écriture, le chant, l’histoire, le poème… C’était une sorte de défi ?

C’était un vrai questionnement. Pendant six mois, j’ai lu, je me suis laissée imprégner et je savais que je trouverais ce que j’avais à raconter dès lors qu’Ulysse m’apparaîtrait autrement. Un jour, j’ai compris qu’il cheminait vers sa mort. Cette vulnérabilité me l’a rendu touchant, humain. Quant aux femmes, Calypso et Pénélope sont très peu présentes dans l’Odyssée.

 

Pénélope n’a droit qu’à quelques lignes ; on ne dit rien sur Calypso, qui pourtant partage sa vie pendant sept ans avec Ulysse. Ce que vit Hécube est d’une violence inouïe. Elle apparaît à peine dans l’Iliade, ses six enfants sont morts assassinés. Tous m’apparaissent comme des fantômes… On a toujours regardé Ulysse uniquement sous l’angle du héros, du surhomme, du vainqueur. Que pouvaient ressentir ces figures féminines ? On n’a jamais pris le temps de les regarder…

 

 

Votre approche d’Ulysse est-elle une manière de déconstruire ce héros de la mythologie ?

Je ne cherche ni à déboulonner, ni à déconstruire. Je cherche juste à regarder, à tenter de comprendre ce qui s’est passé, sachant que c’est Homère qui écrit. L’évidence s’impose : les trois femmes ne sont que des faire-valoir d’Ulysse. Elles n’ont ni sentiment, ni émotion, ni destin, ni futur et tout tourne autour de lui.

Or, ce sont elles qui m’intéressent. C’est effectivement une forme de déconstruction nécessaire. Il y a la façon critique de regarder un grand mythe, puis il y a la langue qu’on lui donne. Il faut trouver une langue qui ne soit pas uniquement une langue de déconstruction qui serait descriptive ou agressive, ça ne m’intéresse pas. On peut nier la figure du super-héros mythologique mais on ne peut pas nier la puissance de la langue d’Homère.

« Ce qui est paradoxal dans les mythes, c’est que dans l’horreur, il y a de la beauté. »

Votre pièce est une commande. Cela a-t-il eu des incidences sur votre écriture ?

L’enjeu le plus important a été de trouver la langue. Il s’agissait de se mesurer au lyrisme tout en le rendant contemporain. J’avais des contraintes et il s’agissait d’avancer au milieu d’elles, de tracer un chemin. J’ai exploré la langue dans des endroits qui ne m’étaient pas encore familiers, un mélange de trivialité et de poétique, une friction de registre, une friction de temporalité. Je l’ai compris en écrivant.

Pourquoi dit-on des mythes, des contes millénaires travaillés par le temps, par les hommes, par les guerres qu’ils font écho à notre présent ?

C’est le présent qui fait écho au passé, c’est l’avenir qui fait écho au présent… Quand j’ai commencé à écrire, je pouvais entendre ce qui se passait en Ukraine, puis en Palestine. Les récits mythologiques ne se situent pas dans l’actualité. Ils parlent du rapport des hommes entre eux.

Ulysse est une figure guerrière masculine qu’on retrouve aujourd’hui dans la figure du pouvoir, de la domination, qui n’a de cesse de vouloir réduire le monde pour se l’approprier, détruire tout sur son passage pour posséder ce qu’il ne possède pas. Ce qui est paradoxal dans les mythes, c’est que dans l’horreur, il y a de la beauté. Les mythes sont un vertige de beauté et un gouffre d’horreur.


 
 

Comment voyez-vous l’arrivée de l’intelligence artificielle dans votre vie d’écrivaine ?

Je ne suis pas certaine que l’IA soit une langue, c’est-à-dire une possibilité d’inventer, de transgresser, une possibilité artistique. Je suis écrivaine, d’autres sont peintres, compositeurs, nous créons des œuvres sensibles. L’art ne peut pas être remplacé par du savoir-faire, de la fabrication, de l’information. Or, l’art n’est pas l’endroit du consensus mais de l’inattendu. L’art, c’est l’insoumission à tout. Je ne pense pas que l’IA occupe cette place.

En revanche, cette place est à défendre parce qu’elle est en permanence menacée comme si on n’avait plus besoin de l’art. Et c’est terrifiant car c’est une question de civilisation, au-delà d’une question de culture. Que serait une société sans écrivain, sans musicien, sans artiste ? Un monde où l’on ne pourrait outrepasser les règles, les habitudes, les usages, un monde sans invention ? L’IA peut-être utile à plein d’endroits mais tout dépend de l’usage qu’on en fait. Il y a l’usage qu’en fait le pouvoir et l’usage qu’en font les êtres vivants.

 

Le budget de la culture va diminuer de 200 millions d’euros. Parmi les « économies » annoncées, moins 6 millions pour l’Opéra et moins 5 millions pour le Français. Comment réagissez-vous ?

C’est une fuite en avant des gouvernements successifs face à la nécessité de l’art et de la culture. Aujourd’hui, ce sont les institutions qui sont touchées et, symboliquement, ce n’est pas rien par rapport à la place qu’elles occupent dans le monde de la culture. Frapper les institutions à cette hauteur annonce un démantèlement de notre trésor culturel français.

C’est extrêmement grave mais il ne faut pas oublier que cette politique a commencé il y a fort longtemps et que les compagnies, qui font vivre le théâtre sur tout le territoire, ont été les premières à être impactées. Il faudrait un soulèvement, un mouvement pour renverser ces politiques-là. Nous sommes dans une situation qui met le monde de la culture au même endroit que les employés, les ouvriers.

Nous sommes tous en danger par rapport à ce qui nous est nécessaire dans la vie : manger, se loger, lire, voyager, aller au théâtre, au concert. On a autant besoin d’art que de pain. Ce sont les mêmes combats. Amputer le budget de la culture raconte une volonté politique de porter atteinte à l’art et à la culture.

 

Propos recueillis par Marie-José Sirach / L'Humanité

 

Trois fois Ulysse se joue à la Comédie-Française, salle du Vieux-Colombier, jusqu’au 8 mai. Rens. : comedie-française.fr et 01 44 58 15 15. Le texte est publié par les éditions Espaces 34.

 

 

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« Trois fois Ulysse » : Laëtitia Guédon crée un oratorio théâtral d’une grande beauté sur un texte de Claudine Galea

« Trois fois Ulysse » : Laëtitia Guédon crée un oratorio théâtral d’une grande beauté sur un texte de Claudine Galea | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Manuel Piolat Soleymat dans La Terrasse - 11 avril 2024

 

Fruit d’une commande passée à l’autrice Claudine Galea, Trois fois Ulysse éclaire trois des figures féminines prenant part à l’existence du héros grec : Hécube, Calypso et Pénélope. La metteuse en scène Laëtitia Guédon crée un oratorio théâtral d’une grande beauté : entre jeu, chants et arts visuels.

 

Elles viennent de loin, d’un hier mythologique dont les ombres, les résonnances, les fulgurances percent et impressionnent notre présent. Elles nous adressent des récits intemporels, universels, qui touchent nos imaginaires, des histoires d’amour, de bataille, de souffrance, de violence, de rupture, de temps qui passe… Hécube, reine de Troie donnée à Ulysse après le sac de sa cité, se lance en premier. La veuve de Priam a vu les siens massacrés par les grecs. Elle place le combattant face à ses actes de guerre, avant qu’il ne prenne la mer pour sa longue odyssée. Calypso, la nymphe qui recueille le roi d’Ithaque après un naufrage, poursuit. Elle le retient auprès d’elle, dans sa grotte, durant sept années. Puis, à son grand désespoir, elle le voit s’arracher à son amour pour retrouver le chemin de son île. Pénélope, l’épouse fidèle et délaissée, ferme la marche. Elle voit Ulysse revenir à Ithaque après vingt ans d’absence, lui dit ce qu’aimer veut dire, éclaire la puissance des sentiments et la force de l’instant. Toutes trois parlent, tonnent, s’enflamment, font vibrer la partition du juste et de l’injuste. Ce sont elles, les héroïnes de ce triptyque théâtral. Ulysse, lui, tombe de son piédestal. Il n’existe plus que par le prisme de leur conscience et la grâce de leur volonté.

 

Un lyrisme du fond de l’âme

 

Densité poétique du texte et de la mise en scène ; beauté des corps, des images, des tableaux. D’un lyrisme revendiqué, Trois fois Ulysse est l’occasion d’une expérience singulière. La scénographie de Charles Chauvet, les lumières de Léa Maris, les vidéos de Benoît Lahoz, les costumes de Charlotte Coffinet, les chants du chœur Unikanti tendent vers un unique point de fuite. Le grand art de Laëtitia Guédon est de parvenir à équilibrer toutes ces énergies, à les faire se rejoindre dans un même accomplissement. Aucun de ces talents ne cherche à briller de façon solitaire. Les comédiennes et comédiens (Clotilde de Bayser, Baptiste Chabauty, Éric Génovèse, Marie Oppert, Séphora Pondi, Sefa Yeboah) participent, eux aussi, à la vigueur tranchante de ces trois face-à-face. A la fois charnelle et minérale, la gravité de leur présence confère un souffle souverain aux cavalcades de mots imaginées par Claudine Galea. Des cris nous bousculent, nous transpercent. Des silences nous apostrophent. Les horreurs du contemporain se rappellent à nos esprits. Une forme de communion relie, peu à peu, interprètes et publics. Brouillant la frontière entre salle et plateau, Trois fois Ulysse tend les bras aux spectatrices et spectateurs. Heureux qui, comme elles, comme eux, a fait ce beau voyage.

 

Manuel Piolat Soleymat / La Terrasse

 

Trois fois Ulysse
du mercredi 3 avril 2024 au mercredi 8 mai 2024
Comédie-Française - Théâtre du Vieux-Colombier
21 rue du Vieux-Colombier, 75006 Paris.

Du mercredi au samedi à 20h30, le dimanche à 15h, le mardi à 19h. Tél. : 01 44 58 15 15. Durée : 1h40.

 

Légende photo : Trois fois Ulysse de Claudine Galea, mis en scène par Laëtitia Guédon. © Christophe Raynaud de Lage

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A la Ferme du buisson, fondu enchaîné pour le théâtre et le ciné 

A la Ferme du buisson, fondu enchaîné pour le théâtre et le ciné  | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Anne Diatkine dans Libération - 15 avril 2024

 

A Noisiel, première édition d’un festival qui explore, durant quatre jours, les rapports entre les deux disciplines, sous les auspices de la comédienne Ludivine Sagnier.

 

 

Qu’est-ce qui différencie un acteur d’un comédien ? Est-il aisé de circuler d’un monde à l’autre, du théâtre au cinéma et réciproquement ou ce mouvement fructueux est-il réservé à une petite minorité ? Quand on a l’habitude d’investir un plateau, se sent-on comme un éléphant hagard dans un magasin de porcelaine face à la brièveté des plans ? Pourquoi le métier de monteur n’existe pas au théâtre, alors que les spectacles ont tout autant besoin de rythme que les films ? Et l’âge ? S’appréhende-t-il différemment sous la loupe de la caméra que sur les planches ?

C’est avec une foule de questionnements et surtout parce qu’il est possible d’aimer à la fois le théâtre et le cinéma que la nouvelle directrice de la Ferme du buisson, Marion Fouilland-Bousquet, a imaginé un festival sobrement intitulé Théâtre & Cinéma dont la première édition, sous les auspices de Ludivine Sagnier, aura lieu du 24 au 27 avril.

«Frontière poreuse»

Théâtre et cinéma ? Ce n’est pas un scoop : les deux arts ne cessent de se nourrir mutuellement. Et pourtant, aussi évident soit-il, un tel festival axé sur les relations fécondes des deux disciplines n’existait pas alors même que de nombreux théâtres publics abritent en leur sein un cinéma Art et Essai, et partagent parfois même une même salle polyvalente.

 

C’est notamment le cas de 22 scènes nationales. Tout au long de sa carrière, que ce soit au Havre, à Narbonne, ou aujourd’hui, à Noisiel (Seine-et-Marne) où la Ferme du buisson abrite tout autant un théâtre, un centre d’art, et un cinéma, Marion Fouilland-Bousquet a travaillé dans des structures artistiques mixtes, où les spectateurs ne s’embarrassaient d’aucune frontière. Jointe au téléphone, elle remarque : «C’est grâce au cinéma qui propose des films sept jours sur sept, que la structure ne fait jamais relâche. C’est beaucoup les salles de cinéma qui insufflent de la vitalité au lieu. Les spectateurs entrent pour voir un film, prennent un verre à la cafétéria et reviennent pour une pièce. Ils vérifient empiriquement à quel point la frontière est poreuse.»

Masterclass à foison

Ce qu’on pourra nous aussi constater durant ces quatre jours effervescents où seront invités aussi bien la grande figure du théâtre Marilú Marini, en chair et en os et sur les écrans grâce au portrait que le consacre Sandrine Dumas, l’épatante Barbara Carlotti qui revisite des chansons de films français cultes en rejouant certains dialogues, la projection de films de cinéma de metteuses en scène assorties de rencontres avec Julie Deliquet, Judith Davis et d’autres, ou encore une soirée mise en scène sous forme de workshop par la directrice de casting Elodie Demey. Sans compter des masterclass à foison : ne pas rater celle de Ludivine Sagnier qui mêlera projections, discussions et performances avec les élèves de l’école Kourtrajmé en Seine-Saint-Denis.

Théâtre & Cinéma à la Ferme du Buisson, allée de la Ferme à Noisiel (77), du 24 au 27 avril. Rens. : Lafermedubuisson.com/fr/theatre-cinema

 

Légende photo : La nouvelle directrice de la Ferme du buisson, Marion Fouilland-Bousquet, a imaginé un festival sobrement intitulé Théâtre & Cinéma. (DR)

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A Beyrouth, le dramaturge Wajdi Mouawad face à l’intimidation et aux accusations, par Claire Fercak

A Beyrouth, le dramaturge Wajdi Mouawad face à l’intimidation et aux accusations, par Claire Fercak | Revue de presse théâtre | Scoop.it
par Claire Fercak publié par Libération  le 12 avril 2024
 

A quelques jours de la première mondiale de la nouvelle création du dramaturge, le théâtre beyrouthin a été contraint d’annuler les représentations en raison de menaces et d’appels au boycott pour de supposés liens avec «l’ennemi israélien».

 

A l’occasion du Festival du livre de Paris les 12, 13 et 14 avril, nos journalistes cèdent la place à des autrices et auteurs pour un numéro exceptionnel et un supplément de 8 pages spécial Québec. Hervé Le Tellier et Dany Laferrière sont les rédacteurs en chef de cette 17e édition du Libé des écrivains. Retrouvez tous les articles ici.

 

 

«J’ai tellement envie que ce soit un moment de rencontre.» C’est ce que disait Wajdi Mouawad le 2 avril sur France Inter au sujet de sa pièce Journée de noces chez les Cromagnons programmée le 30 avril au Liban, son pays natal. L’histoire d’une famille libanaise qui prépare le mariage de leur fille au rythme des bombardements pendant la guerre civile (1975-1990). Les répétitions ouvertes au public, la pièce devait être jouée en arabe, la plupart des rôles interprétés par des acteurs libanais. Le 10 avril, quelques jours après l’arrivée de Wajdi Mouawad à Beyrouth, le théâtre le Monnot a annoncé l’annulation de la première mondiale. Dans son communiqué officiel, l’établissement exprime «son regret» de prendre cette «décision difficile» en raison d’intimidations sérieuses à l’encontre du théâtre, des techniciens et des artistes, et de la plainte déposée contre Wajdi Mouawad auprès du parquet militaire.

 

Le théâtre de la Colline, dont le dramaturge est le directeur, précise : «Le Comité des représentants des prisonniers et détenus libérés des geôles israéliennes s’est constitué partie civile, au nom d’un groupe de prisonniers individuellement nommés, pour saisir le parquet du tribunal militaire requérant “la suspension de la pièce et l’arrestation de Wajdi Mouawad”.» De quelle façon le procureur se saisira-t-il de cette plainte ? Peut-il décider d’interroger Mouawad, de l’arrêter ? Mouawad et son équipe étaient prêts à continuer, malgré la plainte, malgré l’appel au boycott, les fausses rumeurs et les menaces des opposants dénonçant «les liens et communications avec l’ennemi israélien» et le «non-respect de la loi sur le boycott d’Israël». Donner la parole à ceux «qu’on nous apprend à détester», faire du théâtre un lieu où «un langage commun serait potentiellement possible», tel est le projet de Wajdi Mouawad. Les billets se vendaient très bien, les Libanais voulaient voir cette pièce. Les répétitions vont reprendre en France, elle sera jouée au Printemps des comédiens à Montpellier. Nous avons cette chance : la voir en juin.

 
 
 
Légende photo  :   Le dramaturge Wajdi Mouawad, à Paris, le 20 septembre 2021. (Stéphane de Sakutin/AFP)
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Conflit Hamas-Israël : vous n’aurez pas notre haine, par Wajdi Mouawad - Tribune publiée le 9 nov. 2023

Conflit Hamas-Israël : vous n’aurez pas notre haine, par Wajdi Mouawad - Tribune publiée le 9 nov. 2023 | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Tribune publiée par Libération le 9 novembre 2023

 

Le dramaturge libano-québécois, directeur du Théâtre de La Colline, appelle à ne pas tomber dans le piège tendu depuis le 7 octobre par l’esprit destructeur du Hamas qui veut faire en sorte que «l’après» soit avant tout la haine du Juif.

 

par Wajdi Mouawad, auteur libano-québécois et directeur du théâtre de la Colline

publié le 9 novembre 2023 
 

Cela vient à peine de commencer et il nous faut déjà «panser» l’après. Un après qui, au rythme où vont les choses, nous arrivera aussi meurtri que l’effroyable 7 octobre dernier. «Panser» l’après, c’est se préparer à accueillir quelque chose dont nous ignorons encore tout, c’est tenter de soigner un temps pas encore arrivé, pour que, défait de ses pulsions de meurtres, il puisse être un réel après.

La volonté des gouvernements qui nous dirigent tout comme leurs enjeux géopolitiques échappent à notre volonté. Et si nous pouvons nous exprimer, nous ne pouvons pas, sur un temps court, agir sur les événements qui nous impactent et cette incapacité, à partir du moment où la question de l’action se pose, crée chez chacun un insupportable sentiment d’impuissance.

 

 

Qu’y puis-je, moi, contre le Hamas ? Qu’y puis-je contre la frange suprémaciste du gouvernement israélien ? Qu’y puis-je contre le Hezbollah ? Qu’y puis-je contre le gouvernement iranien ? Qu’y puis-je contre la politique américaine au Moyen-Orient ? Qu’y puis-je contre le cynisme sanglant de Vladimir Poutine ? Qu’y puis-je contre la zizanie qui mine la communauté européenne ? Qu’y puis-je contre l’opportunisme de Xi Jinping ? Peut-être que la question ne devrait pas se poser en ces termes et au lieu de viser ce qui est hors de ma portée, rapprocher la cible et me demander : «Sur quoi suis-je capable d’agir ?»

 

A cette question la réponse la plus concrète est aussi la plus simple : sur moi. Je peux commencer par agir sur moi et me demander, à l’aune de la situation, qui suis-je réellement. Qu’est-ce que cette situation est en train de faire de moi ? Comment est-elle en train de me transformer ? Comment me révèle-t-elle à moi-même ? Qu’est-ce qu’elle dit sur ce que je suis et sur ce que je crois être ? Quel est l’œdème qu’elle met en lumière et qui menace mon cerveau ?

Si «panser» dès à présent l’après c’est faire en sorte que ce qui l’a précédé ne se reproduise plus, alors un changement drastique incombe à chacun. Il ne suffit pas de dire que les autres, Israéliens ou Palestiniens, doivent changer, mais reconnaître que quelque chose en moi doit se transformer. Pour de bon. C’est la somme de la transformation de chacun qui fera en sorte que cet après en sera un.

Une fleur immortelle et indéracinable : la détestation

Né au Liban en 1968 au sein d’une famille chrétienne maronite, je n’ai nullement manqué d’amour. Mes parents ont tout sacrifié pour moi, fuyant la guerre civile libanaise dans le seul but de me permettre d’étudier sereinement. Mais, du fait de l’ignorance et des préjugés ; du fait, aussi, que le Liban a vécu cinq siècles sous le joug ottoman obligeant chaque confession à se refermer sur elle-même, du fait de paramètres autant historiques qu’intimes, mes parents, en plus de l’amour et l’affection, ont aussi planté en moi la graine d’une fleur immortelle et indéracinable : la détestation. Et dès mon plus jeune âge j’ai su détester ceux qui n’étaient pas de mon clan. A l’âge de huit ans, j’ai dansé à l’annonce de la mort du chef druze Kamal Joumblatt et en septembre 82 j’ai considéré qu’après l’assassinat de Bachir Gemayel [trois semaines après son élection à la présidence du pays, ndlr], les civils palestiniens des camps de Sabra et Chatila, massacrés par les miliciens chrétiens, n’avaient eu que ce qu’ils méritaient.

 
 

Je n’ai pas eu à apprendre à détester : je détestais par héritage. Et si je détestais consciemment, heureux de détester, heureux de haïr, je n’avais pas conscience de combien j’étais esclave de cette détestation car ma haine était viscérale et, ne m’animant pas de manière intelligible, je n’avais aucun moyen de l’interroger. Car cette détestation vient de loin et se transmet de génération en génération. En prendre conscience est difficile, comme il est difficile à celui qui porte un sac à dos vide de sentir le poids s’additionner si, de jour en jour, quelqu’un y déposait un caillou. Le poids augmente sans que l’on s’en aperçoive. Ainsi en est-il de cette détestation. Elle pousse à notre insu, grandit, fait des ramures, s’enracine à jamais, s’intrique tant à notre identité que l’on finit par élaborer des schémas de pensée pour la légitimer, nous transformant par la même occasion en victime éternelle.

Paradoxalement, il a fallu la guerre, l’exil, la découverte d’une autre langue, la découverte de l’art, la qualité de certains professeurs (Gérard Pouchain, Sylvette Montale, Philippe Guettier, soyez ici éternellement remerciés) ; il a fallu l’amitié, la mort de ma mère, Sophocle, Kafka, François Ismert, le théâtre, des voyages, des mots, des poèmes, des histoires d’amour, pour que je prenne conscience de sa présence. Elle m’est apparue dans toute son horreur, sorte d’épiphanie impitoyable et, réalisant ma monstruosité, j’ai voulu l’arracher de moi. Mais la détestation plantée dès la naissance ne se déracine pas. C’est une plante immortelle, imbriquée à jamais et, chez qui elle a été semée, elle demeure. Me découvrant une terre propice à sa floraison, je ne pouvais plus me fier à moi-même, je ne pouvais plus présumer de moi. Je me devais à jamais de monter la garde, faire preuve de prudence et m’assurer constamment que rien n’allait ni la nourrir ni l’abreuver car si on ne peut pas s’en débarrasser, on peut cependant l’isoler, la mettre sous verre, cesser de nourrir sa terre, travailler jour après jour à l’assécher pour l’empêcher de fleurir.

Mais pour y parvenir, il faut commencer par ne plus nier sa présence et, au contraire, l’assumer. Se souvenir que tout fleuve a un marécage qui le tient en santé. Marécage où vont se déposer les poisons et les pollutions qui pourraient le tuer. Si c’est vrai des fleuves, c’est vrai aussi des humains. Cette plante de la détestation est mon marécage où se dépose tout ce qui est nauséabond chez moi. Ma responsabilité consiste alors à empêcher le débordement du marécage, l’empêcher, par des digues fortes, d’envahir mon esprit, putrifiant mon lien au monde. Cette responsabilité, ces digues, cette vigilance, sont ce que j’appelle effort d’empathie, d’humanité, de sensibilité et d’amour.

Volontés inhumaines

Delphine Horvilleur [rabbin et philosophe, ndlr] m’a fait remarquer qu’une image biblique qui pourrait correspondre à celle du marécage pourrait être celle de l’arbre de la vie du jardin d’Eden. Pourquoi au paradis fallait-il un arbre interdit ? Justement pour rappeler que le mal n’est pas séparé de la vie, rappeler la vigilance constante que nous devons avoir face à sa présence. En ce sens, ce n’est pas le marécage qui est mauvais : il rend puissant le fleuve ; ce ne sont pas les sentiments que nous éprouvons qui sont mauvais : ils nous apprennent à les dépasser ; c’est le fait de nous laisser aller à leur bestialité qui est mauvais.

 

Or, si la plante de la détestation a la capacité de donner des fleurs de haines multiples, chacune déployant un parfum différent envers un groupe différent à haïr (musulman, noir, homosexuel), il se trouve qu’une des fleurs qui se déploie le plus aisément en nos contrées et qui dégage le parfum le plus envahissant, est la fleur de l’antisémitisme. Je l’ai observée partout où j’ai vécu. Au Moyen-Orient, en Europe, en Amérique du Nord. Un instant de distraction et la voilà qui refleurit. Tous les clichés qui incombent à cette détestation sont au fond de nous. Il est si aisé de détester le Juif. C’est un peuple d’une commodité extraordinaire. Tout est de sa faute. Maux passés, maux présents, et même maux futurs, il est x dans l’équation de nos frustrations, l’inconnue qui s’accorde comme on veut à nos haines.

 

A l’heure où les images de Gaza nous parviennent dans toute leur violence, où les morts se comptent par milliers, à l’heure où la colonisation de la Cisjordanie se poursuit, que des volontés inhumaines issues du pire de l’extrême droite ont droit de parole dans un gouvernement israélien ouvertement raciste et pour qui la brutalité militaire est la seule réponse possible, à l’heure où des forces d’une obscurité folle travaillent des deux côtés pour empêcher le moindre espoir, où les empathies vont vers les civils palestiniens mais où la mémoire des victimes israéliennes du 7 octobre est en train de se diluer et que les otages ne sont plus, pour l’opinion publique, qu’un détail secondaire, il est vital de voir le piège dans lequel nous jette le Hamas en nourrissant et abreuvant la plante de la détestation faisant fleurir partout l’antisémitisme. Deux mille ans d’un christianisme dont une partie de la propagande consistait à répéter que les Juifs ont assassiné le Christ nous ont formatés pour en être une terre fertile. Cela l’Europe le sait bien.

Jamais la fleur de l’antisémitisme n’aura été si bien nourrie

Ce qui se passe à Gaza est monstrueux. Il faut que les bombardements cessent, que les morts cessent, que les otages soient libérés. Il faut trouver comment faire pour que le Hamas ne puisse pas recommencer son ouvrage de destruction, lui qui n’a de cesse d’affirmer qu’il recommencera. Il faut trouver une autre voie à la justice qui ne soit pas celle de la destruction dont les Palestiniens depuis si longtemps paient un effroyable prix. Il faut que le gouvernement israélien accepte de s’intégrer en intégrant les Palestiniens et les pays arabes dans cette bataille contre le Hamas et qu’il cesse de croire qu’Israël seul contre tous peut assurer sa survie. Mais pour que tout cela advienne je n’ai, pour ma part, que des vœux. Par contre, je sais que jamais la fleur de l’antisémitisme n’aura été si bien nourrie, si bien arrosée par les images qui nous proviennent d’Israël et de Gaza, jamais depuis longtemps elle n’aura été aussi opulente. L’islamophobie gronde partout en France et c’est une lèpre aussi dévastatrice que l’est toute forme de détestation. Un constat pourtant s’impose. Bien des personnes à qui l’ont dit «antisémitisme» répondent avec raison «oui, mais il ne faut pas faire l’impasse de l’islamophobie», et ils ont absolument raison. Mais lorsqu’on dit «islamophobie», la plupart d’entre nous qui ne sommes pas juifs n’avons pas le réflexe de dire «oui, mais il ne faut pas faire l’impasse de l’antisémitisme». Cette petite différence est un des symptômes du danger qui nous guette.

 

 

Je dois, à la lecture de l’actualité de chaque jour, ériger en moi des digues de plus en plus hautes pour empêcher le débordement du marécage. Or c’est précisément là que se trouve le piège tendu depuis le 7 octobre par l’esprit destructeur du Hamas : faire en sorte que l’après soit avant tout antisémite. Que l’après soit un tombeau pour tout Juif où qu’il se trouve. Que l’après soit un temps où chaque Juif vive dans l’effroi, terrorisé, viscéralement méfiant envers le monde. Que l’après soit une autre forme de diaspora. Que l’après soit synonyme d’exil pour tout Juif. C’est contre ce piège que nous devons lutter, chacun. A cet endroit il est possible d’agir : prendre conscience de ce que la situation tente de faire de moi, lutter contre elle, faire en sorte que le marécage ne déborde pas et par tous les moyens assécher la plante de la détestation pour espérer que les prochaines générations, sans doute encore lointaines, parviennent un jour à couper le fil macabre de sa transmission.

 
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“Trois fois Ulysse”, sacrée et troublante odyssée autour de la masculinité

“Trois fois Ulysse”, sacrée et troublante odyssée autour de la masculinité | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Fabienne Pascaud dans Télérama - 10 avril 2024

TTT   Très Bien

 

 

L’autrice Claudine Galea et la metteuse en scène Laëtitia Guédon revisitent le mythe. Face à trois femmes qui l’ont affronté, aimé – Hécube, Calypso, Pénélope – on découvre un Ulysse tiraillé entre doutes, désirs, envies de fuite et de retour. Jusqu’au 8 mai au théâtre du Vieux-Colombier.

C'est un spectacle-poème, un spectacle-rituel comme on n’en voit peu. Comme peu d’artistes ont le courage d’en rêver, d’en écrire, d’en mettre en scène en nos temps où l’emportent les obsessions et angoisses quotidiennes. Sauf que les mythes disent autant nos tourments que la photographie théâtralisée de nos existences actuelles.

 

Depuis longtemps passionnée par ces légendes visionnaires, Laëtitia Guédon, directrice des Plateaux sauvages à Paris, a l’habitude de commander à des dramaturges des pièces qui s’en inspirent. Ayant déjà travaillé sur la guerre de Troie (Troyennes. Les morts se moquent des beaux enterrements, en 2014), cité rayée de la carte par les Grecs sous prétexte d’y récupérer la belle Hélène, elle a ainsi demandé à Claudine Galéa, un texte sur Ulysse, tiré d’Homère. Et c’est merveille de redécouvrir grâce à la belle autrice féministe, un modèle masculin qu’on a tant dit « rusé, ingénieux, sagace, divin, unique, brillant, vaillant, avisé, subtil et à la langue de miel », et qui se révèle ici face à trois femmes qui l’ont affronté, aimé — Hécube, Calypso, Pénélope — dans toute sa violence forcenée comme sa vulnérabilité, son désarroi comme sa solitude.

Sur le sable pâle qui couvre la scène, le blanc squelette d’une énorme tête de cheval. Symbole de l’immense statue de bois laissée aux Troyens sur la plage par les Grecs faisant mine de s’enfuir après dix ans à assiéger la ville. Une ruse d’Ulysse : la statue est pleine de guerriers qui ravageront Troie dès qu’elle y sera emportée. Et sur le plateau, le crâne bougera selon les trois femmes confrontées à Ulysse dans une langue à la fois archaïque et pleinement actuelle, brutale et douce, incantatoire et guerrière. Derrière le squelette, un immense écran vidéo, comme un tableau aux couleurs changeantes et lancinantes : Laëtitia Guédon est fille du peintre martiniquais Henri Guédon (1944-2006).

Un héros clé de notre humanité

Tout au long du spectacle, se promènera encore de la salle à la scène le chœur chanté d’Unikanti, pour accompagner la tragédie. Ou plutôt la révéler. Car Hécube (Clotilde de Bayser, impressionnante de puissance meurtrie), Calypso (la spectaculaire Séphora Pondi, éclatante de sensualité), Pénélope (la lumineuse Marie Oppert) vont ici rendre Ulysse à sa vérité trop souvent tronquée. Face à celle qui lui a été donnée en butin comme esclave, Hécube, épouse aux dix-neuf enfants du roi de Troie Priam (la plupart massacrés par les Grecs), le premier Ulysse (Sefa Yeboah, étonnant tragédien) prend conscience de sa rage destructrice et combien l’instinct de mort, la mort même lui sont intimes. Face à l’amante Calypso qui aura su le retenir amoureusement sept ans avant de le laisser repartir, le second Ulysse (Baptiste Chabauty) endure le doute, l’angoisse de la séparation, le questionnement sur le retour, l’amour. Face à Pénélope, enfin, celle qui l’aura attendu vingt ans et sur laquelle, justement, le temps n’a plus de prise, le troisième Ulysse (Éric Génovèse, bouleversant) découvre l’énigme d’une existence : « qu’est ce que nos yeux nous empêchent de voir ? / qu’est-ce que nos paroles remplacent ? / as-tu remarqué : / dans l’obscurité le silence est plus vaste / le repos plus grand », lui murmure l’épouse.

 

Prélude à une vie nouvelle, à la mort ? « Marchons », ainsi Pénélope conclut-elle cette épique traversée, où l’on aura avec beauté redécouvert un héros clé de notre humanité, de ceux qui ont forgé des millions de petits hommes après lui. Au travers de ses femmes délaissées ou maltraitées, Claudine Galea interroge majestueusement la masculinité. Non sans compassion et tendresse pour cet Ulysse ballotté entre doutes, désirs, envies de fuite et de retour, toujours en quête de femmes protectrices que raconte vaillamment Laëtitia Guédon. Sacrée et dérangeante odyssée…

 

Fabienne PASCAUD - Télérama 

 

2h. Mise en scène Laëtitia Guédon. Jusqu’au 8 mai, Théâtre du Vieux-Colombier, Paris 6e.

Le texte est publié aux Éditions espaces 34. 13,50 euros.
 
 
 

 

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