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Toujours fidèle au bonjour
quotidien de "Monsieur Dico" dans « La
Libre Belgique », dont le billet de mardi dernier portait
sur le mauvais anglicisme que constitue l'usage erroné
du terme "provision" en lieu et place du terme "disposition",
j’ai sursauté en lisant : « J’ajoute,
quant à moi, qu’on pourrait aussi employer stipulation
ou clause, ce dernier mot étant fort prisé au Québec,
qui surveille de près l’entrée des mots en
provenance de leur grand voisin américain »
!
Jacques Mercier me permettra de ne pas marquer accord sur cette
analogie entre « disposition » d’une part, et
« stipulation » ou « clause » de l’autre.
« La loi dispose, le contrat stipule », enseignait-on
de mon temps à la Faculté de droit : seule se stipule
une condition, stipuler signifiant en droit romain, contracter
par la paille.
J’ai voulu vérifier l’exactitude de mon souvenir
dans les dictionnaires que j’ai sous la main, et au «
Lexique des termes juridiques » (15ème éd.)
publié en 2005 aux Editions Dalloz.
Le terme « disposition » n’y est pas défini,
mais il l’est dans le Robert : « Point
que règle un acte juridique, une loi ». Le Lexique
vise cependant la « disposition à titre gratuit
», soit le « transfert d’un bien au
profit d’un tiers avec une intention libérale, soit
par donation entre vifs, soit par testament ». La disposition
peut donc être déposée dans un acte privé,
comme dans une loi.
La « stipulation » en revanche y est définie
comme étant l’« expression de la volonté
énoncée dans une convention. Le législateur
dispose et les parties stipulent », précise
ce lexique.
Dans Le style des jugements, précis savant publié
en 1970 aux Editions techniques, Pierre Mimin, membre correspondant
de l’Institut et Premier Président Honoraire de la
cour d’appel d’Angers (que la page de couverture mentionne
avec des initiales majuscules, alors qu’il y a plusieurs
cours d’appel en France, comme chez nous !), retoque (page
41) un début d’arrêt selon lequel «
il est constant que la loi du 2 juillet 1931 stipule ….
». « Historiquement, écrit Mimin,
il n’y a de stipulation que par contrat : une loi ne stipule
pas. Grammaticalement, un acte stipule toujours quelque chose
; il faut un régime direct. Seule une personne pourrait
dire qu’elle stipule pour quelqu’un. Un jugement n’est
pas un contrat.
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Donc le juge non plus ne stipule pas » poursuit-il
en corrigeant un tribunal qui prétendait avoir stipulé
dans un jugement antérieur. En note au bas de la page 89
du même ouvrage, il est encore écrit que «
la loi a stipulé » peut être remplacé
par « la loi a spécifié ».
Une vérification s'imposait dans
les « Coups de règle » publiés
au « Journal des Tribunaux », que je collectionne
depuis mon entrée dans la vie professionnelle :
- 1970, J.T. n° 4707,
p. 440 : « … le décret …, ni l’arrêté…
ne peuvent stipuler, c’est-à-dire énoncer
comme une condition dans un acte ou un contrat. Les décrets,
les arrêtés, les codes ne stipulent pas ; ils disposent
».
- 1972, J.T. n° 4769, p. 52, à propos d’un «
article (qui) ne stipulait qu’un préavis de soixante
jours » : « Combien de fois devra-t-on dire encore
qu’on ne stipule qu’une condition ».
- 1972, J.T. n° 4789, p. 415, à propos du même
usage : « Non, (la loi) dispose, parce que seule se
stipule une condition, stipuler signifiant en droit romain,
contracter par la paille ».
- 1988, J.T. n° 5467, p. 399 : « Stipuler,
c’est préciser une clause. Disposer, c’est
ériger en règle, établir, régler…
On dit souvent par erreur que la loi stipule ».
Mais évidemment d’accord pour
éviter « provision ». En langage juridique
français, ce terme a plusieurs sens (la créance d’une
somme d’argent que possède le tireur contre le tiré
d’un effet de commerce, les sommes accordées par le
juge du fond ou par le juge des référés en
attendant le jugement définitif, la somme d’argent
versée à un adversaire pour qu’il puisse faire
face aux frais de l’instance, le montant permettant de constater
en comptabilité la dépréciation d’un
bien et les risques et charges qui ne sont pas encore réalisés
mais que les circonstances rendent probables »… ».
Mais il ne se confond jamais avec disposition.
Points
d'actualité antérieurs
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