Émile VERHAEREN

Emile VERHAEREN

La Patrie aux Soldats morts


 

« Vous ne reverrez plus les monts, les bois, la terre
Beaux yeux de mes soldats qui n’aviez que vingt ans
Et qui êtes tombés en ce dernier printemps
Où plus que jamais douce apparut la lumière.

On n’osait plus songer au réveil des champs d’or
Que l’aube revêtait de sa gloire irisée;
Seule, la sombre guerre occupait la pensée
Quand, au fond des hameaux, on apprit votre mort.

Depuis votre départ, à l’angle de la glace,
Votre image attirait et le cœur et les yeux;
Et nul ne s’asseyait sur l’escabeau boiteux
Où tous les soirs, près du foyer, vous preniez place.

Hélas! Où sont vos corps jeunes, puissants et fous ?
Où sont vos bras, vos mains et les gestes superbes
Qu’avec la grande faux vous faisiez dans les herbes ?
Hélas, la nuit immense est descendue en vous.

Vos mères ont pleuré dans leur chaumière close,
Vos amantes ont dit leur peine aux gens du bourg,
On a parlé de vous, tristement, tous les jours,
Et puis un soir de juin, on parla d’autre chose.

Mais je ne veux pas, Moi, qu'on voile vos noms clairs,
Vous qui dormez là-bas dans un sol de bataille
Où s'enfoncent encor les blocs de la mitraille
Quand de nouveaux combats opposent leurs éclairs.

Je recueille en mon coeur votre gloire meurtrie,
Je renverse sur vous les feux de mes flambeaux
Et je monte la garde autour de vos tombeaux,
Moi qui suis l'avenir, parce que la Patrie.»