woensdag 30 juni 2010

Déclaration d'amour

L’écrivain francophile Bart Van Loo a dîné, il y a quelques années, avec Jean-Marie Gustave Le Clézio. Pas encore Prix Nobel, l'auteur français avait déjà fait impression.
  • Amsterdam, mars 2004. C’est le soir de la présentation du livre Nice. Muze van azuur, recueil de textes sur le lien intime entre d’innombrables écrivains et cette ville. Le compilateur Dirk Leyman m’a proposé de participer à la présentation. En attendant, nous prenons des forces dans une brasserie. Nous sommes une dizaine de convives. Par hasard, je suis assis en face de JMG Le Clézio, l’hôte d’honneur dont un texte a été traduit pour le livre. Il me demande en quoi consiste ma contribution au recueil. Je lui raconte comment j’ai parcouru la ville dans les traces de Maupassant, comment la pernicieuse syphilis avait pris un ascendant définitif sur l'écrivain, que pour mon livre tout près de paraître, Parijs Retour, j’ai traversé, pour ainsi dire, toute la France afin d’arpenter, renifler, sentir tous les lieux de vie et de fiction de mes romanciers chéris du XIXème siècle. Il me regarde dubitatif, mais m’encourage tout de même d’un sourire quand je fais une pause. Que je veux faire de nouveau de la lecture une aventure. Silence. Un ange passe. J’aimerais lui dire comment j’ai dévoré Poisson d’or. Je me racle la gorge mais je suis interrompu par Bas Lubberhuizen, l’éditeur, qui, dans un élan intrépide, lance le premier exemplaire de Nice. Muze van azuur sur la table mouillée. Effaré, JMG Le Clézio agrippe un Telegraaf qui traînait sur une chaise, le glisse en un éclair sous le livre encore en l’air, sauvé ainsi in extremis d’un baptême assuré.
  • Le Clézio et moi quittons en même temps le café. Il voit que je trimballe une valise énorme. « Vous êtes parti, semble-t-il, pour un long séjour à Amsterdam », dit-il. Je lui raconte que ce n’est qu’une apparence et que la valise contient ma rémunération pour une postface à la traduction de L’Assommoir d’Émile Zola (De Nekslag, traduit par Hans van Cuijlenborg). « Une bonne rémunération apparemment », murmure-t-il de façon étonnée. Je lui dis que là encore, ce n’est qu’une apparence. La maison d’édition Veen avait, au dernier moment, refusé de me payer et m’avait proposé en échange de choisir une valise de livres dans leur fonds. Pour leur apprendre les bonnes manières, j'étais arrivé avec ma valise la plus grande. L’après-midi même j’avais dévalisé leur collection de classiques français traduits. Nous voilà dehors, en haut des escaliers typiques des hôtels particuliers d’Amsterdam. « Je vous donne un coup de main » , dit l’auteur français et avant que je m’en rende compte nous descendons l’escalier. Nous peinons. Lui au-dessus, moi en-dessous. Marche après marche, Le Clézio et moi emportons les chefs-d’œuvre de Balzac, Zola, Maupassant et Flaubert.
  • Nous y voilà. Il y a maintenant un canal à traverser. L’aimable Le Clézio me demande si ça va aller. Je crois que oui. Ma valise gigantesque a des roulettes. Je peux facilement la pousser devant moi. « Mais alors laissez- moi au moins prendre votre sac en plastique », me propose-t-il gentiment. Le sac pend à mon épaule. Terriblement mal pratique. Je le lui donne, il manque de le laisser tomber. Il y a une déchirure dans le sac. Tout à coup, je me rends compte qu’il tient mon manuscrit de Parijs Retour, que j’avais emmené pour le relire dans le train. Ma déclaration d’amour à la littérature française a atterri, comme par magie, dans les mains d’un des plus grands écrivains français vivants. Il faudrait être de pierre pour ne rien ressentir. Je m'immobilise et regarde le Clézio avancer flegmatiquement. « Si le sac tient jusqu’à l'autre rive sans se déchirer, tout ira bien pour mon livre », voilà ce qui me passe par la tête. Le cœur battant, je le vois marcher lentement vers l’autre bord. Sans problème. Arrivé à bon port, Le Clézio en se retournant s'aperçoit qu’il est seul. Il me demande s’il y a quelque chose. Un peu trop enthousiaste, je m'exclame : « Rien, il n’y a rien du tout ». En souriant, je le rejoins en courant, aussi vite que me le permettent les classiques français.

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