Une main brûlée à Bruxelles, un coupeur de feu pour la soulager (1)

Olivier Bailly
Le brûlure sur la main droite de Madeleine, Bruxelles (Photo: Olivier Bailly, Février 2013)
Le brûlure sur la main droite de Madeleine, Bruxelles (Photo: Olivier Bailly, Février 2013)

Ma sœur et moi-même, distraits par notre conversation, nous apercevons des dégâts en voyant Mad(eleine), la larme à l’œil, la main sous l’eau froide du robinet. Elle lâche un "J’en ai marre…" entre deux sanglots hoquetés.

Le brûlure sur la main droite de Madeleine, Bruxelles (Photo: Olivier Bailly, Février 2013)
La brûlure sur la main gauche de Madeleine, Bruxelles (Photo: Olivier Bailly, Février 2013)

Je cours chez ma voisine, sollicite compresses et pommade. Elle redescend de sa pharmacie avec ces produits et me tend par ailleurs un bout de papier. "Appelle-là. C’est une coupeuse de feu. Elle stoppera le mal".

Je précise qu’excepté un compost urbain, je ne connais pas d’excentricité de la part de cette voisine qui pourrait me faire douter de sa santé mentale.

Rapidement revenu, Mad applique les premiers soins, traditionnels. Je lui tends le numéro de téléphone, insiste. Ma sœur se marre. Mad, incrédule, téléphone:

Euh, bonsoir, une amie m’a donné votre numéro. Je viens de me brûler et il paraît que vous arrêtez, enfin que vous pouvez stopper le feu à distance, enfin la douleur…

Je crois qu’au moment où elle parle, mon épouse saisit tout le ridicule de la situation…

Mais à l’autre bout du fil, Pascale confirme. Elle soigne la douleur. Elle barre le feu. Elle demande le prénom de mon épouse, elle demande à quel endroit elle s’est brûlée. Et comme si nous venions de commander une pizza, nous serons livrés d’ici 40 minutes. La douleur partira. Mad doit rappeler si ce n’est pas le cas.

Ah bon? Et c’est tout? C’est tout. Mad raccroche.

Quarante minutes

Quarante minutes plus tard, la douleur lancinante n’a pas quitté sa main, à présent marquée d’une coulée rouge. Mad rappelle. Pascale pense alors qu’il s’agit d’une brûlure au second degré. Il faut donc qu’elle fasse une seconde fois son office. Brûlure au 2e degré = 2x les soins. La médecine parallèle a le mérite de la simplicité.

Il est alors 20h. Les voisins vont arriver. Mad se retire prendre un bain. Une demi-heure plus tard, je remonte chercher des documents, passe la tête dans l’entrebâillement de la porte de la salle de bain. Comment va la main?

Mad arrête de lire, s’étonne de ne pas s’être posée la question, regarde sa main rougie. Elle ne sent plus aucune douleur.

Les coupeurs de Savoie

Cette douleur ne reviendra pas. Après quelques discussions avec des membres du corps médical (et même si leur avis ne se porte pas sur la brûlure précise de Mad), toute brûlure génère des douleurs pendant quelques jours, le temps que les tissus se régénèrent. Certes, mon épouse avait pris des calmants. Mais ni le lendemain, ni les jours suivants, la douleur n’est revenue.

Dingue… Depuis que le Standard a été champion en 2008, je reste méfiant mais cependant ouvert aux phénomènes paranormaux.

Je contacte le réseau IRIS Sud, différents hôpitaux bruxellois: aucun ne me signale travailler avec ces coupeurs de feu. L’hôpital des grands brûlés de Neder-over-Hembeek promet de me rappeler et ne le fera jamais

Sur le net, je trouve la thèse étonnante de Nicolas Perret : "Place des coupeurs de feu dans la prise en charge ambulatoire et hospitalière des brûlures en Haute-Savoie en 2007". On y lit que dans le coin d’Annecy, le corps médical et des patients sont réceptifs à l’intervention des coupeurs (ou barreurs) de feu.

Selon son travail, sur 149 patients brûlés, 82% croient en l’efficacité des coupeurs de feu. Et sur 134 des 177 soignants de trois services d’urgences qui ont accepté de remplir son questionnaire, plus des 2/3 qualifient de "forte" ou "totale" l’efficacité des coupeurs de feu sur la douleur.

81% de ces soignants considèrent même comme souhaitable, voire indispensable une collaboration entre les coupeurs de feu et les urgences. Un protocole de prise en charge des brûlures dans le service des urgences d’Annecy, précise d’ailleurs que "Il est possible de faire appel à un «coupeur de feu» avec l’accord du patient. Cet appel ne doit en aucun cas retarder les soins traditionnels. Coordonnées des coupeurs de feu en dernière page."

Et l’avis des patients? 92 personnes ont répondu aux questions de Nicolas Perret au sujet de l’évaluation de la douleur après l’action d’un coupeur de feu. Sur les 70 d’entre eux qui ont donné une note à l’intervention subie, 76% des cotes rendues étaient supérieures ou égales à 7/10.

Coupeurs de Suisse

Les coupeurs de feu? J’y suis assez favorable. Les gens que j’ai rencontrés sont très humbles, ce sont des personnes de grande qualité

Devenu depuis médecin, le thésard Nicolas Perret n’hésite pas à en parler à ses patients, si nécessaire. Outre les coupeurs de feu, il a également pris connaissance des coupeurs de sang qui bloquent les hémorragies dans le cadre de saignement de nez, d’hémorragie digestive, ou lors d’une délivrance. Faut-il pour autant intégrer ces ‘soigneurs’ dans le réseau de la médecine traditionnelle?

Je pense que c'est bien que cela reste dans un réseau parallèle, mais que des passerelles se créent. Le discours médical et le discours magique n’ont rien de commun. C’est un recours d’un autre ordre que l’on doit préserver. Si on le sort de son contexte, je pense qu’on pourrait perdre son efficacité symbolique.

Mais la Suisse se révèle être une autre patrie accueillante pour les coupeurs de feu. Mette Berger, Coordinatrice au Service de Médecine Intensive Adulte & Brûlés du CHU de Lausanne, botte en touche la demande d’informations:

En tant qu’institution universitaire, restons ouverts face à ces phénomènes même si cela ne fait pas partie de nos pratiques. Elles n’ont pas cours dans nos murs, et les soignants ne font pas appels à ces personnes. Donc merci de votre compréhension, mais nous n’avons rien de concret à apporter sur ce sujet. Meilleures salutations, Mette Berger.

Traces de feu (Photo: Pozek/ Octobre 2006/ Flickr-CC
Traces de feu (Photo: Pozek/ Octobre 2006/ Flickr-CC)

Du côté de l’association Flavie (Association Suisse Romande pour les victimes de brûlures), on reconnaît une collaboration entre hôpitaux et barreurs de feu. Selon Luis Bellaro, Responsable de projet, "Les HUG à Genève, Le CHUV à Lausanne fournissent aux patients qui le souhaitent, une liste de faiseurs de secret, coupeurs de feu et de sang".

En fait, il suffit de se pencher pour trouver des informations sur les coupeurs de feu suisses. Mieux, il y a carrément un bottin avec des centaines d’adresses répertoriées! Les Editions Favre eurent le nez fin en publiant le travail de l’anthropologue Magali Jenny, l’accompagnant d’un répertoire détaillé: le livre "Guérisseurs, rebouteux et faiseurs de secrets en Suisse romande" en est à sa cinquième réédition. Selon les éditions Favre, 67.000 exemplaires ont été écoulés!

Et en Belgique?

Et en Belgique, comment rentrer en contact avec un coupeur de feu sans bottin? "La meilleure solution à adopter pour choisir un guérisseur reste l’instinct", le conseil vient directement de Magali Jenny. Ca va être facile, tiens…

Je contacte Jean-Pierre Arnould, Administrateur délégué à la Fondation Belge des Brûlures:

Personnellement, je n’en ai jamais vu à l’œuvre. C’est plutôt décrit dans les villages. J’ai une approche cartésienne de la brûlure mais qui serais-je pour détenir la vérité? Cela dit, j’ai travaillé pendant vingt ans dans des centres de brûlés. Il y avait un volume important et je n’ai jamais été en présence de personnes qui avaient bénéficié de tel don. Je reste neutre par rapport à la question mais d’un point de vue éthique, il est fondamental que des solutions de ce type ne détournent pas le blessé des traitements connus et efficaces.

Via des articles de presse, je découvre qu’un pompier ardennais aurait également reçu le don. Je contacte la caserne où on me promet de rappeler... Ah mais je suis con! Pascale évidemment! J’ai son numéro de GSM.

Je l’appelle, lui explique. Elle est d’accord. Rendez-vous à…pardon? Sibret? C’est où? Dans la province du Luxembourg. Google Maps m’apprend que les soins de Pascale ont parcouru 157 kilomètres (s’ils ont pris l’autoroute et la N4) pour couper la douleur de Mad. Lundi 11 mars, je prends le chemin inverse.

  • Le mot d’Olivier Bailly, auteur de ce récit:

Je suis imperméable aux médecines traditionnelles qui modifient nos flux d’énergie sans toucher les corps. Je n’ai pas cru une seconde à l’apocalypse maya, je ne relève pas le numéro des marabouts qui veulent me rendre fortuné. Bref, tous les phénomènes paranormaux me laissent circonspect. Par ailleurs, cet article n’a été écrit sous l’influence d’aucune drogue.

Ceci étant dit, tout ce qui se trouve dans ce récit est le reflet le plus sincère des faits qui se sont déroulés (pas de la réalité-vérité remasterisé à la Marcela Iacub ou du journalisme romanesque avec BHL. On ne badine pas avec le monde).

 

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