Mathieu, de Mensetsu, demande qu'est-ce qui est dur quand on rentre en France après une expatriation.
J'ai commencé à écrire une réponse sur le site, mais ça s'est tellement allongé qu'il m'a paru finalement plus simple d'en faire un post. J'avais déjà jeté quelques idées sur la question un an après le retour où j'avais surtout parlé des problèmes de transport. Lors du dernier voyage en France avant le retour, je savais déjà qu'on allait rentrer, et j'ai commencé à regarder les choses sous l'angle de l'anticipation du retour. J'avais bien pressenti que les courses, ça allait être compliqué.
Six ans après, mon avis n'a pas forcément beaucoup changé, mais j'ai un peu plus de recul. D'abord, je pense qu'il y a deux catégories de difficultés: les difficultés immédiates qui s'estompent par la suite et les difficultés qui sont permanentes (mais dont on ne se rend pas forcément compte tout de suite). En vrac, voici la liste du moment.
Difficultés immédiates
Une difficulté que beaucoup craignent, et nous les premiers, c'est d'affronter l'administration. La CAF, la sécu, tout ça... Dans mon cas particulier, on pensait que ce serait pénible, et finalement ça s'est très bien passé. En même temps, après des années de pratique du DMV et autres MVA américains, plus les renouvellements de visa, on est quand même entraînés.
Une vraie difficulté qu'on rencontrée quasiment tous les impats que je connais, c'est de trouver un logement. Parce qu'en règle générale, il faut plein de papiers qu'on a pas quand on rentre: avis d'imposition français au moins de l'année précédente, trois bulletins de salaire, un CDI hors période d'essai. Alors c'est un peu la galère à squatter chez famille et amis ou dans des sous locations à potentiel générateur d'emmerdes variable... Et puis au bout de quelques mois on finit par avoir les papiers qui vont bien alors ça s'arrange.
Une autre difficulté immédiate, c'est qu'il faut se réhabituer à tout. Changer les comportements et les attentes par défaut en quelque sorte. Je me rappelle avoir galéré pour acheter des ingrédients pour une recette de pâtes (le truc hyper simple) car la sauce tomate était conditionnée en brique au lieu de conserve, le parmesan était en poudre dans un sachet opaque au lieu d'être rangé avec le fromage râpé, et les quantités sont différentes donc il faut calculer des équivalences tout le temps au lieu de juste utiliser "une portion". Une autre fois, dans le métro, ma voisine avait des boucles d'oreilles sympa. Je lui ai dit. La fille m'a regardé de travers et elle descendue à la station suivante, je pense pour changer de wagon et échapper à la psychopathe qui venait de l'agresser - Aux Etats-Unis, c'est assez courant d'entamer une conversation avec un inconnu sur la pluie et le beau temps, surtout dans les transports. A Paris chacun regarde ses pieds (ou son téléphone) et fait la gueule. Bon. Mais au bout d'un moment, au fil des incidents on finit par se recadrer.
Difficultés permanentes
- vision générale des choses: beaucoup de gens en France n'ont jamais vécu ailleurs, même s'ils ont voyagé un peu. Je suis souvent choquée par des conversations où les gens se plaignaient du système de santé ou d'autres avantages sociaux comme les vacances sans se rendre compte à quel point la situation en France est avantageuse par rapport à d'autres endroits. Bien sûr, le fait que ça soit pire ailleurs n'empêche pas de vouloir améliorer les choses, mais bon, quand j'entends Pierre se plaindre qu'il n'a *que* N jours de RTT et qu'en plus il trouve ça nul parce que sa boîte décide des dates de la moitié, j'ai du mal à ne pas penser que ça fait déjà plus que l'ensemble des congés que beaucoup de gens ont aux Etats-Unis. De manière générale, le fait d'avoir vécu ailleurs apporte une ouverture et un regard peut-être nuancé sur beaucoup de choses, juste parce qu'on sait que ça peut être différent. Et je pense que savoir de manière théorique parce qu'on en a entendu parler ou parce qu'on l'a lu est bien différent de savoir empiriquement après avoir vécu les choses. C'est bien sûr vrai de toute situation, mais à mon avis l'expatriation est une expérience tellement intense qu'elle force ce constat. Après tout, ça reste vrai des gens qui n'ont pas voyagé en général, aux Etats-Unis et ailleurs. Mais la différence, c'est qu'en étant à l'étranger on a plus l'impression que c'est "normal" de ne pas être en phase avec les habitudes locales et la pensée dominante. Par contre, une fois de retour "à la maison" on s'attend à être "comme tout le monde" et à ne pas être en décalage culturel permanent.
- la notion de service: le service après vente, les horaires d'ouverture dans les magasins, la facilité d'organisation d'activités en général... Tout cela est source d'effort et de frustrations. Le service après vente est variable voire inexistant dans certains magasins. Typiquement, lorsqu'on signale un décalage entre l'étiquetage en magasin et le prix facturé en caisse, là où aux Etats-Unis on reçoit immédiatement des excuses et un remboursement du double de la somme encaissée en trop, en France on se fait recevoir sur le bout d'une fource et aiguiller vers un comptoir pour remboursement au centime près après une heure d'attente... Les magasins sont ouverts à des horaires restreints. Genre, 10h-19h au plus large, mais souvent il y a des coupures en milieu de journée, les horaires et les jours de fermeture ne sont pas les mêmes! Ça m'est même arrivé de trouver porte close en venant pendant les horaires d'ouverture affichés. Du coup, c'est difficile d'être efficace et de faire plein de courses sur une plage horaire donnée car il y aura toujours un endroit de fermé. Là, on a beau être prévenu, ça ne change pas et il faut s'organiser en conséquence. Voir aussi ce post pour une autre anecdote que j'aime particulièrement raconter...
- la langue: en France... ben, on parle français. Pour moi, c'est à la fois difficile et pas si difficile. D'un coté, je parle anglais chez moi, je parle anglais dans le cadre de mon travail, je continue à avoir des amis anglophones, je lis beaucoup, c'est facile de trouver des DVDs en VO même à la bibliothèque municipale et j'ai la chance de voyager un peu pour le boulot. Globalement ma vie reste assez bilingue. Par contre, pour les enfants c'est plus compliqué. L'école anglophone n'est pas super accessible et tous leurs interlocuteurs anglophones au quotidien parlent aussi français donc ça ne stimule pas trop la pratique. Ça me peine beaucoup, mais on verra comment les choses peuvent évoluer à moyen terme.
Je vais m'arrêter là, parce que ça commence à faire un joli pavé, mais je suis sûre qu'il y a plein de trucs que j'oublie... Du coup il y aura peut-être une suite, ou des compléments en commentaires...